
Michel Santi
Seule l’intervention stimulatrice de l’Etat à même d’encourager l’investissement et la création d’emplois peut sauver l’économie en l’absence d’initiative privée et dans le cadre d’une demande anémique. Et seule l’action déterminée des banques centrales dans le sens d’une compression des coûts de financement motive les entreprises à investir dans l’économie réelle, pour peu que le système de l’intermédiation bancaire joue le jeu. L’objectif étant la fameuse « euthanasie des rentiers » qui favorise la canalisation de l’épargne vers l’investissement et donc vers l’emploi. Autant de mesures d’urgence préconisées même par les grands-prêtres du monétarisme, Milton Friedman et Anna Schwarz. Et même appliquées avec gourmandise dès 2001 par le Président de l’époque de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, et bien-sûr par son successeur Ben Bernanke – pourtant adepte fidèle de Friedman – dès l’intensification de la crise à l’automne 2008. A la faveur de ses multiples baisses de taux quantitatives, ce dernier n’a-t-il pas provoqué haine et critiques virulentes de la part des néo-libéraux, qui préfèrent très nettement le chômage élevé à des menaces inflationnistes susceptibles de remettre en question leurs richesses ? Le candidat Républicain à la dernière élection présidentielle américaine, Mitt Romney, ne s’est-il pas empressé d’exiger la tête de Bernanke ?
D’ailleurs, restons chez les Républicains et chez les gens de droite persuadés que les réductions d’impôts sont une trouvaille néo-conservatrice…et qui semblent ignorer que c’est Keynes qui, le premier, avait préconisé de dynamiser une économie chancelante en diminuant la taxation des privés et des entreprises. Alors que le grand représentant de l’école autrichienne, Friedrich Hayek, était strictement contre la réduction des impôts tant que l’Etat ne réduisait pas aussi son train de vie. N’est-ce pourtant pas la voie diamétralement opposée qui fut choisie par le plus digne rejeton du mouvement « néo-con » – à savoir le Président George W. Bush – qui devait tout à la fois présider dès son avènement à des baisses d’impôts (surtout chez les plus aisés), accompagnées d’une envolée sans précédent des dépenses de l’Etat fédéral américain ? Keynes partait en effet du principe que le gros des réductions d’impôts devait se concentrer sur une classe moyenne ainsi encouragée à consommer davantage, car elle dépense quasiment tout ses revenus, quand les riches, eux, ont une nette tendance à l’épargne.
Dans le même ordre d’idées, c’est l’Etat qui doit prendre le relais lorsque le secteur privé n’est plus capable de stimuler l’économie. Et pourquoi ne serait-il pas « dépenseur » en dernier ressort, exactement comme il est prêteur en dernier ressort ? Pourtant, gens de gauche et de droite sont à l’unisson dès lors qu’il s’agit pour l’Etat de réduire ses déficits. En effet, les Démocrates comme les Républicains américains ne sont-ils pas unanimes à exiger de l’Etat qu’il coupe drastiquement dans ses dépenses afin d’éviter de chuter de la falaise fiscale ? Le choix même de cette expression n’est-elle pas de nature à entretenir les angoisses parmi une population – pas forcément au fait de la technicité du débat – à qui l’on fait croire que le cataclysme est imminent ? Et que la seule issue consiste en des sacrifices – encore et toujours plus de sacrifices – pendant que l’élite financière festoie et que les 1% s’engraissent davantage… Le fait est que l’intégralité des pistes énoncées ci-dessus – intervention salutaire de l’Etat dans un contexte d’économie sinistrée, maintien de taux d’intérêts bas, réduction de la taxation – sont caduques et restent sans effet si l’Etat décide de réduire drastiquement son train de vie.
Keynes nous l’enseignait déjà : les dettes ne doivent être remboursées qu’en cas d’embellie économique. Sinon : la croissance est condamnée à être étouffée dans un environnement où l’activité est très fragile. Hausses d’impôts, remboursement des dettes et réduction de la dépense publique ne peuvent se concevoir sans risque que dans un cadre économique sain. Sachant que, contrairement au mythe – ou à l’histoire d’horreur – que nous content économistes orthodoxes et politiciens traditionnalistes, il est parfaitement possible de parvenir à ce stade d’économie saine en dépit et en présence d’une dette publique importante. C’est ainsi que la vraie falaise fiscale serait de mettre aujourd’hui en place aux Etats-Unis des mesures d’austérité comparables à la démence rigoriste imposée en Europe. Il n’est pas possible – ni honnête – de s’inspirer à moitié de Keynes dont les préceptes forment un tout cohérent. « J’imagine que nous sommes tous keynésiens lorsque nous sommes dans la renardière», se plaisait à dire en 2008 Robert Lucas – Nobel d’économie en 1995 – et digne représentant de la très conservatrice Chicago School of Economics.
C’est pourquoi les néo-libéraux n’ont aucune crédibilité lorsqu’ils mettent en garde contre la falaise fiscale alors qu’ils prônent au même moment des réductions d’impôts. Ils ont beau afficher leur dégoût face aux théories qu’ils jugent pernicieuses de Keynes, mais alors comment justifient-ils la politique de taux zéro de Greenspan – une de leurs idoles – ayant contribué à la formation de multiples bulles spéculatives ?
Michel Santi
Economiste et Analyste Financier (indépendant)
www.gestionsuisse.com
D’ailleurs, restons chez les Républicains et chez les gens de droite persuadés que les réductions d’impôts sont une trouvaille néo-conservatrice…et qui semblent ignorer que c’est Keynes qui, le premier, avait préconisé de dynamiser une économie chancelante en diminuant la taxation des privés et des entreprises. Alors que le grand représentant de l’école autrichienne, Friedrich Hayek, était strictement contre la réduction des impôts tant que l’Etat ne réduisait pas aussi son train de vie. N’est-ce pourtant pas la voie diamétralement opposée qui fut choisie par le plus digne rejeton du mouvement « néo-con » – à savoir le Président George W. Bush – qui devait tout à la fois présider dès son avènement à des baisses d’impôts (surtout chez les plus aisés), accompagnées d’une envolée sans précédent des dépenses de l’Etat fédéral américain ? Keynes partait en effet du principe que le gros des réductions d’impôts devait se concentrer sur une classe moyenne ainsi encouragée à consommer davantage, car elle dépense quasiment tout ses revenus, quand les riches, eux, ont une nette tendance à l’épargne.
Dans le même ordre d’idées, c’est l’Etat qui doit prendre le relais lorsque le secteur privé n’est plus capable de stimuler l’économie. Et pourquoi ne serait-il pas « dépenseur » en dernier ressort, exactement comme il est prêteur en dernier ressort ? Pourtant, gens de gauche et de droite sont à l’unisson dès lors qu’il s’agit pour l’Etat de réduire ses déficits. En effet, les Démocrates comme les Républicains américains ne sont-ils pas unanimes à exiger de l’Etat qu’il coupe drastiquement dans ses dépenses afin d’éviter de chuter de la falaise fiscale ? Le choix même de cette expression n’est-elle pas de nature à entretenir les angoisses parmi une population – pas forcément au fait de la technicité du débat – à qui l’on fait croire que le cataclysme est imminent ? Et que la seule issue consiste en des sacrifices – encore et toujours plus de sacrifices – pendant que l’élite financière festoie et que les 1% s’engraissent davantage… Le fait est que l’intégralité des pistes énoncées ci-dessus – intervention salutaire de l’Etat dans un contexte d’économie sinistrée, maintien de taux d’intérêts bas, réduction de la taxation – sont caduques et restent sans effet si l’Etat décide de réduire drastiquement son train de vie.
Keynes nous l’enseignait déjà : les dettes ne doivent être remboursées qu’en cas d’embellie économique. Sinon : la croissance est condamnée à être étouffée dans un environnement où l’activité est très fragile. Hausses d’impôts, remboursement des dettes et réduction de la dépense publique ne peuvent se concevoir sans risque que dans un cadre économique sain. Sachant que, contrairement au mythe – ou à l’histoire d’horreur – que nous content économistes orthodoxes et politiciens traditionnalistes, il est parfaitement possible de parvenir à ce stade d’économie saine en dépit et en présence d’une dette publique importante. C’est ainsi que la vraie falaise fiscale serait de mettre aujourd’hui en place aux Etats-Unis des mesures d’austérité comparables à la démence rigoriste imposée en Europe. Il n’est pas possible – ni honnête – de s’inspirer à moitié de Keynes dont les préceptes forment un tout cohérent. « J’imagine que nous sommes tous keynésiens lorsque nous sommes dans la renardière», se plaisait à dire en 2008 Robert Lucas – Nobel d’économie en 1995 – et digne représentant de la très conservatrice Chicago School of Economics.
C’est pourquoi les néo-libéraux n’ont aucune crédibilité lorsqu’ils mettent en garde contre la falaise fiscale alors qu’ils prônent au même moment des réductions d’impôts. Ils ont beau afficher leur dégoût face aux théories qu’ils jugent pernicieuses de Keynes, mais alors comment justifient-ils la politique de taux zéro de Greenspan – une de leurs idoles – ayant contribué à la formation de multiples bulles spéculatives ?
Michel Santi
Economiste et Analyste Financier (indépendant)
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