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Suisse | L’audit au banc d’essai

Par Philipp Hallauer, Head of National Quality and Risk Management - KPMG.


Suisse | L’audit au banc d’essai
Les activités d’audit relèvent du droit privé et poursuivent par conséquent un but lucratif. Si leur nationalisation a déjà souvent fait l’objet de débats, celle-ci n’a pas rencontré un large soutien au niveau mondial, et ce pour diverses raisons. Une concurrence saine et des prestations de révision axées sur les besoins du client sont généralement considérées comme des conditions sine qua non pour réaliser un audit efficace et efficient qui crée de la valeur ajoutée pour l’entreprise et ses propriétaires.

Grâce au rapport d’audit, à l’obligation de déclaration et à l’obligation d’information lors de l’assemblée générale, l’organe de révision contribue à assurer la transparence, ce qui compense le droit de regard limité des actionnaires. L’organe de révision est également une source d’information et un interlocuteur important pour le conseil d’administration et, le cas échéant, le comité d’audit. L’audit réalisé par l’organe de révision renforce la confiance du public dans les comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises. L’organe de révision assume donc une fonction d’intérêt public en ce qui concerne les sociétés ouvertes au public et les entreprises ayant une importance économique. S’agissant des petites et moyennes entreprises en revanche, l’audit vise principalement à préserver les intérêts privés des parties prenantes et à assurer la protection des créanciers.

Des exigences élevées doivent donc être posées en matière de valeurs éthiques, de comportement professionnel et d’indépendance de l’auditeur. Afin d’éviter d’éventuels conflits d’intérêts et de réaliser un audit aussi objectif que possible, des prescriptions d’indépendance détaillées devant être respectées par les auditeurs ont été édictées au niveau tant national qu’international.

Réactions réglementaires à la crise financière

La récente crise financière, qui a confronté les investisseurs à des marchés inactifs quasiment du jour au lendemain, a incité les régulateurs à procéder à une évaluation critique des banques, des hedge funds, des agences de notation, des autorités de surveillance et même des banques centrales, mais elle a surtout entraîné un renforcement de la réglementation des établissements financiers. Aujourd’hui, le secteur de l’audit fait lui aussi l’objet d’un examen critique, bien que la crise financière ait été déclenchée par l’effondrement des marchés financiers mondiaux, un évènement que les auditeurs ne pouvaient prévoir au niveau des entreprises individuelles et n’étaient pas non plus tenus de l’identifier dans le cadre de leurs mandats d’audit. On peut attendre des auditeurs qu’ils examinent et vérifient la juste valeur des actifs financiers des banques, mais pas qu’ils identifient les risques systémiques du système financier mondial pouvant entraîner rapidement un effondrement soudain des marchés et du système bancaire.

Au niveau de l’Union européenne, le commissaire européen Michel Barnier a publié le 30 novembre 2011 un projet de nouvelle ordonnance européenne concernant l’audit des comptes annuels des entreprises d’intérêt public (ci-après «sociétés ouvertes au public»). Les préoccupations du régulateur européen concernent essentiellement les relations clientèle de longue date, la fourniture de services supplémentaires et la concentration du marché entre les mains des «Big 4» (les quatre principaux cabinets d’audit d’envergure mondiale). Selon le commissaire européen, tous ces aspects compromettent l’objectivité et le raisonnement critique.

C’est dans ce contexte que les propositions étendues de ce dernier doivent être comprises :
- Les cabinets d’audit ne doivent quasiment plus offrir des services de conseil à leurs clients d’audit d’intérêt public. A partir d’une certaine taille, les activités d’audit et de conseil doivent être entièrement séparées.
- Tous les six ans, les sociétés ouvertes au public doivent attribuer le mandat de révision à un nouveau cabinet d’audit («obligation de rotation»). En cas d’«audit conjoint» (volontaire), c’est-à-dire lorsque l’audit est réalisé conjointement par deux cabinets d’audit, le délai peut être étendu à neuf ans. Le cabinet d’audit ne peut être à nouveau choisi qu’après une période de quatre ans.
- Les clauses contractuelles, par exemple dans les contrats de crédit, qui prévoient l’intervention de l’un des «Big 4», doivent être interdites.
- L’appel d’offres préalable à l’attribution du mandat d’audit doit se dérouler dans une certaine transparence et être suivi étroitement par le comité d’audit. Afin d’ouvrir le marché, au moins un cabinet d’audit présentant une part de marché inférieure à 15% en ce qui concerne l’audit de sociétés ouvertes au public doit être invité à soumettre une offre.
- Au moins deux membres du comité d’audit doivent être des membres indépendants et au moins un membre doit avoir des connaissances en matière d’audit. La recommandation du comité d’audit quant au choix d’un nouvel organe de révision doit être discutée lors de l’assemblée générale.
- Le rapport de l’organe de révision au conseil d’administration, du conseil de surveillance et de l’assemblé e générale doit être amélioré.

Du point de vue de la gouvernance d’entreprise, les propositions visant à renforcer le comité d’audit, à assurer la transparence du processus d’offre en vue de l’attribution du mandat d’audit et à améliorer le rapport de l’organe de révision doivent être saluées.

D’autres propositions, si elles étaient mises en oeuvre telles quelles, modifieraient radicalement la profession d’auditeur et pourraient entraîner un affaiblissement des marchés des capitaux:

- L’interdiction de proposer des services de conseil à des clients d’audit entraîne la perte de la valeur ajoutée créée par l’audit. Si des spécialistes et des conseillers chevronnés sont contraints de quitter le secteur de l’audit parce qu’ils ne peuvent plus travailler pour des clients d’audit, il en résulte un affaiblissement de toute la profession et donc une détérioration de la qualité de l’audit. En effet, ces spécialistes sont engagés non seulement comme conseillers, mais aussi comme membres d’équipes d’audit, ou bien mettent leur savoir-faire à la disposition de ces dernières si besoin est. Le transfert des activités de conseil vers les clients non-audit sera en outre plus difficile du fait que, en raison du principe de rotation, un client non-audit peut devenir un client d’audit dans les six ans au plus tard. La réalisation de projets de conseil à long terme, au moins un à deux ans avant la mise au concours du mandat, ne serait donc plus possible que de manière limitée.

- L’obligation de rotation au bout de six ans est censée renforcer l’indépendance, mais l’expérience montre que, s’agissant des groupes d’envergure mondiale, elle présente un risque plus élevé en termes de qualité au cours des premières années d’intervention d’un nouvel organe de révision. En effet, celui-ci doit d’abord se familiariser avec la complexité du mandat et avec le groupe au niveau mondial. La reprise d’un mandat d’audit mondial exige de la part de l’organe de révision un travail initial considérable qui ne vaudra la peine que s’il peut être actif sur une période prolongée. Une obligation de rotation de six ans entraînerait donc une augmentation drastique des coûts de l’audit. De plus, en raison de la fréquence et du nombre d’appels d’offres, les cabinets d’audit seraient confrontés au défi considérable de mobiliser à temps les ressources appropriées pour tous les mandats potentiels. Les entreprises en question ne pourraient donc probablement pas participer à tous les appels d’offres et la marge de manoeuvre des comités d’audit dans le choix du meilleur prestataire serait ainsi restreinte.

- L’objectif déclaré de briser le prétendu pouvoir de marché des «Big 4» (par le biais de l’externalisation des services de conseil, d’une part, et du transfert, sous la contrainte réglementaire, de parts de marché à des cabinets d’audit de moyenne envergure, d’autre part) compromet l’audit professionnel des grands groupes internationaux et l’application cohérente au niveau
mondial des normes internationales d’audit et de présentation des comptes telle qu’exigée par les régulateurs. Les investissements nécessaires à cet effet dans la formation et le développement des collaborateurs, la mobilité internationale des réviseurs responsables et des spécialistes et la mise en place de processus d’assurance qualité uniformes au niveau mondial pour l’audit des grands groupes sont considérables et exigent que ces cabinets d’audit aient une taille critique. Il n’est donc pas dans l’intérêt de l’économie et, en particulier, du marché des capitaux d’«atomiser» les «Big 4».

Dans l’attente d’une solution raisonnable

Entre-temps, la Commission juridique du Parlement européen a examiné les propositions de la Commission européenne et donné une orientation plus raisonnable aux débats. Elle suggère en effet:
- de renoncer à la séparation des activités d’audit et de conseil,
- de désigner explicitement les services supplémentaires qui ne sont pas compatibles avec l’audit au sens des directives internationales existantes,
- de rejeter les propositions concernant les audits conjoints, et
- de limiter les mandats de l’organe de révision à 25 ans au plus.

Il reste ainsi à espérer que les propositions étendues de la Commission européenne seront ramenées à un niveau raisonnable lors de la suite des discussions. Cela étant, si le Parlement européen et les Etats membres approuvent les propositions de la Commission, celles-ci pourraient rapidement devenir une réalité au sein de l’UE. Au vu des liens étroits qui unissent l’économie helvétique à l’UE, leur empreinte se ferait tôt ou tard sentir en Suisse également.

Mardi 5 Mars 2013




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