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Legal techs et autres contrats intelligents: quel avenir pour l’automatisation juridique ?

Depuis plusieurs années déjà, le secteur juridique est touché par une évolution troublante qui s'apparente chaque jour un peu moins à un récit de science fiction. Les avocats et juristes s'interrogent à la vue de services numériques performants intégrant des fonctions de plus en plus complexes des métiers du droit. Les legal techs sont en plein essor, avec une multiplication des startups misant sur l'essor des nouvelles technologies. Des métiers séculaires, que l'on aurait pu croire épargnés par les nouvelles technologies, se trouvent ainsi au premier rang du phénomène d’assimilation par les intelligences artificielles. Dans un futur proche, le robot portera-t-il la robe ?


Legal techs et autres contrats intelligents: quel avenir pour l’automatisation juridique ?
Les legal techs sont née aux États-Unis au début des années 2000, avec des acteurs aujourd’hui devenus incontournables comme Rocket Lawyer et LegalZoom, fournissant documents dynamiques, contrats intelligents et conseils juridiques. Pourquoi l’Amérique ? Pas seulement pour des raisons technologiques. Le marché US des services juridiques est estimé à 400 milliards de dollars, et au sein de ce marché de nombreux segments sont directement concernés par l’automatisation.

Une étude du Pew Research Center a montré que 65% des Américains pensent aujourd’hui que l’automatisation va radicalement affecter une majeure partie de l’économie du pays d’ici 2025. Ils sont cependant également 80% à penser que leur métier ou leur secteur en particulier ne sera pas touché par la tendance : bref, l’automatisation, cela n’arrive qu’aux autres… Mais les juristes américains sont bien loin de refléter cette conviction globale d’être à l’abri du phénomène d’automatisation. Les professions juridiques, par rapport à la moyenne des professions aux États-Unis, ont compris mieux et plus vite que la vague du numérique allait également toucher leur activité. Une étude du groupe Altman Weil pour l’année 2015 a en effet montré que 47% des avocats interrogés considéraient qu’il leur serait possible d’ici 10 à 15 ans de remplacer leur personnel « paralégal » (administration subordonnée à un juriste, aux États-Unis) par des solutions d’intelligence artificielle. Ils sont 35% à penser que les postes de juriste junior pourront être intégralement supprimés dans le même laps de temps, soit une augmentation de plus de 10 points en l’espace d’un an. Les juristes sont donc particulièrement conscients du caractère automatisable d’une large partie de leur profession, et voient se détacher de leur activité tout un aspect paralégal qui auparavant faisait partie de leur cœur de métier.

Au sein de la profession juridique américaine, l’heure est à l’adaptation face à l’émergence des technologies du droit. La tendance apparaît également en Europe depuis maintenant plusieurs années, et particulièrement en France, où le marché de l’automatisation juridique connaît un taux de croissance spectaculaire, frôlant les 20% par an. Les acteurs sont désormais de plus en plus nombreux à fournir des services permettant d’externaliser certaines fonctions juridiques de l’entreprise.

La tendance est donc à un resserrement de la profession d’avocat autour d’un noyau dur à forte valeur ajoutée, tandis que la legaltech conquiert progressivement des parts plus larges de la vie juridique des entreprises et des particuliers, rongeant la base de valeur ajoutée des métiers du droit.

À la conquête de l’Europe
Une des particularités des legal techs est que très rares sont les firmes visant une emprise globale. C’est que le droit reste largement une affaire nationale. En outre, les cultures juridiques très différentes entre pays de common law et pays de droit romain, pour ne citer qu’un exemple, mobilisent des raisonnements différents… et donc des technologies différentes.

Il ne faut donc pas s’attendre à voir les pionniers américains prendre pied facilement sur les marchés européen, africain et asiatique. Où en est-on, d’ailleurs, hors des Etats-Unis ?

Le marché européen de la legaltech est nettement moins avancé : en 2013, alors que l’on pouvait déjà dénombrer plusieurs centaines d’acteurs de l’autre côté de l’Atlantique, un pays comme l’Allemagne n’en comptait qu’une dizaine. La France et la Belgique se distinguent désormais de leurs voisins européens par le nombre de services d’automatisation juridique prenant leur envol. En effet, si la legaltech est née aux États-Unis, elle a pris un essor tout particulier en France, où la législation est réputée pour sa complexité. Les entrepreneurs ont saisi cette complexité juridique comme une opportunité, en fondant leur business model sur l’imbroglio législatif présent dans de nombreux domaines. La startup fait de la complexité législative une opportunité de création de valeur, en apportant des solutions de simplification à des particuliers ou de petites entreprises qui ne disposent pas des compétences pour affronter cette complexité, mais n’iraient pas forcément jusqu’à solliciter un professionnel. Les legal techs ne se contentent donc pas de concurrencer certains services offerts jusqu’ici par les professionnels. Elles créent un marché, en se positionnant sur un segment « informel », constitué jusqu’ici d’efforts de documentation plus ou moins efficaces et de coups de main plus ou moins désintéressés. Cette zone grise du service juridique, grâce aux startups des legal techs, devient un marché aussi large que profond.

Deux exemples en témoignent. Guacamol, startup créée en 2015, est née de la rencontre entre une avocate et un ingénieur. Elle propose un service d’immatriculation d’entreprise et développe une série d’outils de gestion juridique pour les startups et autres compagnies. La solution est intégrée et permet une externalisation complète de tâches administratives et juridiques ingrates, laissant plus de temps à l’entrepreneur pour se concentrer sur son projet.

LeBonBail, autre startup née en 2015, permet de générer automatiquement un contrat de bail en conformité avec les ramifications de la législation française (et notamment de la loi Alur du 24 mars 2014). Le service rend accessible une rédaction en conformité avec une législation quasiment incompréhensible aux particuliers et même à la plupart des professionnels de l’immobilier. Également présente sur le marché belge, l’entreprise permet au propriétaire bailleur de ne plus se soucier des difficultés engendrées par la régionalisation juridique propre à la Belgique.

On pourrait dénombrer bien d’autres acteurs de la legaltech française. Doctrine.fr est une forme de Google du droit lancée il y a peu et fondée sur le big data, qui permet d’effectuer des recherches juridiques précises en quelques secondes. D’ici peu, on n’y trouvera pas seulement indexées toute la législation et jurisprudence françaises : EUR-Lex est également sur liste d’attente. La Belgique ne disposant pas d’un outil de recherche juridique aussi bien fait que Légifrance, des entrepreneurs se sont attelé à la tâche de créer une base de données juridique à l’échelle du pays : Lex.be.

Pour tous ces services juridiques, le marketing est simple et clair : l’entrepreneur ou le particulier y ayant recours n’a plus à se soucier du processus derrière le service. La tarification est fixe, le pack juridique indique un prix déterminé qui ne variera pas en fonction du nombre d’heures de travail d’un quelconque personnel qualifié. C’est évidemment un grand avantage de l’automatisation que de permettre ces formules attractives, qui contribuent à faire naître un marché formalisé.

L’impact au sein des entreprises
D’autres services analogues facilitant la gestion comptable et fiscale de l’entreprise se sont développés, tels que PayFit ou Fred de la Compta. Leur effet potentiel sur les organisations est considérable : la dimension paralégale s’apprête à disparaître des entreprises. Ce type de service, déjà solidement ancré aux Etats-Unis, fait également ses débuts en Asie. On peut prendre comme exemple l’entreprise indienne VakilSearch, qui s’apparente cependant plus à une plateforme permettant l’externalisation de ces services paralégaux grâce à la mise en relation avec des tiers qu’à un logiciel de gestion à proprement parler.

Des startups comme Captain Contrat, en France, et Lawbox, en Belgique, permettent aux entreprises de générer des contrats divers et personnalisés à partir de formulaires intelligents et rapides. Ces acteurs suivent le modèle des pionniers américains à l’origine de la legaltech comme Rocket Lawyer. Cette capacité à développer des contrats intelligents, sur mesure, adaptés à la législation et basés sur un questionnaire intelligent et dynamique se démocratise.

Il s’agit également d’un marché en pleine mondialisation ce qui, comme nous l’avons vu, n’est pas le cas de toutes les legal techs. Mais le commerce international mobilise par définition des formes et des références qui dépassent les frontières nationales. L’intégration commerciale de l’Asie va de pair avec une intégration juridique qui offre une dimension déjà régionale, et potentiellement mondiale, à certaines firmes spécialisées. L’entreprise Dragon Law, basée à Hong Kong, prouve le potentiel à l’exportation des solutions de contrats intelligents. Dragon Law étend en effet son activité à Singapour depuis l’été 2015, ce qui laisse présager une forte appétence du marché asiatique pour ce type de services, en particulier au sein des grandes mégalopoles. Dragon Law est en compétition directe avec LawCanvas, un autre service de génération de documents juridiques né à Singapour, qui est parvenu à élargir son marché à la Malaisie, à l’Australie ainsi qu’à Hong Kong. Dragon Law et LawCanvas ont donc déjà commencé à se disputer les territoires les plus prometteurs du futur marché asiatique, qui commence seulement à se développer.

L’Asie présente des opportunités importantes pour les futurs acteurs des legal techs, mais également des défis multiples et difficiles à relever. Un pays comme le Japon est caractérisé par un fort cloisonnement des données juridiques au sein des entreprises et un accès difficile aux documents : les legal techs basant leur valeur ajoutée sur des services recourant au big data et à l’analyse des données se retrouveraient confrontées à des défis de développement majeurs sur ce marché. Selon Tim Hwang, directeur général de FiscalNote, startup américaine de suivi en continu de l’évolution de la législation internationale basée à Washington D.C., les marchés chinois et japonais sont encore trop isolés pour permettre un vrai développement à court terme de la legal tech, et le continent asiatique dans son ensemble ne possède pas encore de culture solidement ancrée de mise en ligne de l’information juridique pouvant permettre la floraison de pareils services. FiscalNote s’intéresse cependant fortement au potentiel asiatique, et a fait l’acquisition de l’application sud-coréenne MyCandidates afin de prendre pied en Asie. En Chine, une entreprise comme Zhiguoguo, spécialisée en propriété intellectuelle, est également parvenue à se tailler une part de marché en bénéficiant des spécificités d’un marché de niche.

Uberisation du droit : fléau ou bénédiction pour les juristes ?
Malgré leur positionnement dans des niches juridiques, toutes ces startups représentent une réelle menace disruptive pour les métiers classiques du droit. Il devient de plus en plus clair que le paralégal est une fonction du secteur juridique pouvant être gérée en externe, et à moindres coûts. Mais certains services dépassent ce premier stade d’automatisation juridique pour investir des fonctions relevant du cœur de métier des professions du secteur.

Les professions juridiques ont tardé à développer leur présence en ligne ainsi qu’à remodeler leur offre afin de s’adapter aux particularités de la vente sur internet. Les entrepreneurs ont su tirer parti de cette absence d’adaptation de la part des métiers du droit, et se spécialiser dans la mise en place de plateformes permettant aux avocats d’acquérir de la clientèle par le biais d’autres canaux.

Une entreprise comme UpCounsel a en effet déjà été comparée à une forme d’Uber du secteur juridique. La startup propose en effet un véritable catalogue de services juridiques en ligne et s’assure de la visibilité des avocats et juristes présents sur le site. En France, des startups comme Lawcracy, LegalUP, ou encore Legalife « uberisent » également la profession d’avocat et de conseiller juridique. Il est désormais possible de contacter un avocat en ligne et même de disposer de conseils personnalisés sans avoir d’avocat attitré. Ces entreprises parviennent ainsi à démocratiser l’accès au droit.

Sur DemanderJustice, il est désormais possible de résoudre des litiges en entamant une procédure à l’amiable (formule à 39,99 € TTC), ou encore en entamant des procédures judiciaires (formule à 89,90 € TTC) de manière intégralement digitalisée. Poursuivie à plusieurs reprises, la startup DemanderJustice n’a jusqu’à présent jamais été condamnée pour son empiètement sur les professions qu’elle concurrence.

On peut s’en douter, cette « uberisation » du droit provoque une levée de boucliers au sein des professions concernées. Mais si les prix de l’heure d’avocats vont en effet diminuer progressivement au fil de la propagation de ces services, la demande va également augmenter d’autant, quand de nouvelles tranches de la population accéderont plus aisément à ces services décentralisés. Il est donc difficile de mesurer l’impact à long terme sur la pérennité des métiers du droit de ces nouveaux entrants.

Boucle concurrentielle : pour rester compétitifs, les juristes doivent recourir à la legaltech
C’est en résistant à ce processus d’automatisation que les acteurs du monde juridique participent au changement qu’ils souhaitaient initialement retarder. En effet, devant réduire leurs coûts face à la concurrence de ces nouveaux services numériques, les cabinets d’avocats et autres professions juridiques vont de plus en plus fréquemment devoir recourir à des services abordables fournis par la concurrence. Les services disruptifs de la legal tech vont en quelque sorte générer de plus en plus de demande en forçant les métiers classiques du droit à revoir leur structure de coûts et leur tarification, et donc à recourir à l’externalisation de certaines tâches juridiques à la valeur ajoutée trop faible que pour pouvoir être traitée en interne.

Se plaçant dans une perspective de compétition, les cabinets d’avocats sont donc lentement contraints de revoir leurs modalités de tarification. En janvier 2016, dans un rapport intitulé How Legal Technology Will Change the Business of Law (Comment les technologies juridiques vont changer le marché du droit), le Boston Consulting Group (BCG) anticipe et décrit cette adaptation. Les cabinets d’avocats et de conseil juridique, pour résister à la concurrence de la legal tech, doivent revoir leur structure de coût et la tarification de leurs services. Les professions juridiques sont contraintes de s’orienter vers des tarifs fixes pour résister à l’offre des startups proposant d’emblée cette transparence des prix. En conséquence de cette révision tarifaire, les coûts devront être limités et un nombre croissant d’aspects automatisables des services juridiques laissés à des acteurs tiers… de la legal tech elle-même. Pour survivre, la « robe » va donc devoir recourir au « robot », et pourrait contribuer ainsi à sa propre dissolution. Il est probable que l’on assiste au cours des années à venir à une « boucle concurrentielle », où les anciens acteurs de l’industrie déstabilisée se retrouveront contraints de recourir aux services digitaux ayant perturbé la bonne santé de leur business.

Mais de tous les services décrits précédemment, aucun ne semble pouvoir véritablement remplacer la part de valeur ajoutée la plus importante du métier d’avocat ou de conseiller juridique, c’est-à-dire l’aide à la prise de décision et la fonction de conseil. En effet, un document intelligent ou un contrat dynamique n’apportent rien en termes stratégiques. Un contrat standardisé est certes pratique, mais n’aidera pas une entreprise au-delà des économies de ressources permises par l’automatisation. En somme, pourquoi les métiers classiques du droit doivent-ils craindre les legaltechs ?

L’intelligence artificielle remplacera-t-elle le conseil juridique ?
Au-delà de l’automatisation de documents juridiques et des plateformes de mise en relation, une menace pleine de promesses et d’opportunités se profile pour le secteur du droit. Les intelligences artificielles, mises au service du juridique et liées au big data, pourraient bel et bien aboutir sur la création de services aptes à prendre des décisions étayées par des milliers de textes à caractère jurisprudentiel analysés par des IA.

Récemment acquise par LexisNexis, l’entreprise Lex Machina, spécialisée dans le traitement de données juridiques publiques et permettant aux avocats et spécialistes de prendre des décisions juridiques sur base de statistiques. La méthode n’est pas encore « cost efficient », et ne prend pas encore en compte les données d’entreprises et de groupes privés. Cependant, elle pourrait à terme se révéler tout aussi efficace et abordable, voire davantage, que les services d’un expert ou conseiller juridique. D’autres startups comme Kira Systems et LawGeeks permettent l’analyse automatique de contrats et autres documents juridiques à partir d’un système de comparaison avec une base de données de documents juridique, et ainsi la classification automatique des fichiers et une évaluation de la pertinence de ceux-ci.

Ces services en sont encore à leurs balbutiements, mais ils pourraient, à terme, représenter le futur des professions juridiques et changer radicalement le paysage du secteur à l’échelle mondiale. Il n’est pas trop tôt pour les professionnels du droit pour se pencher sérieusement sur la question afin d’anticiper les méthodes d’adaptation à cette nouvelle réalité, de même qu’il n’est pas trop tard pour les entrepreneurs pour se lancer sur ce marché en pleine ébullition afin de s’en approprier une part.

De même, les étudiants en droit, à l’heure actuelle, feraient bien de diversifier leur portefeuille d’études et de compétences par eux-mêmes au cours des années à venir : les métiers du droit vont à l’avenir demander beaucoup plus de polyvalence et de connaissances en informatique ainsi qu’en statistiques. Car il faudra un certain temps aux institutions universitaires pour adapter pleinement leurs programmes aux réalités de demain. Nous entrons dans une ère où les métiers les plus anciens sont soumis aux aléas des évolutions technologiques.

Romain Keppenne / Business analyst, LeBonBail

Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Legal techs et autres contrats intelligents: quel avenir pour l’automatisation juridique ? ".
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Jeudi 19 Mai 2016




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