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Le visible et l’invisible

Lettre du vendredi 2 décembre 2022 rédigée par Eric Galiègue - Analyste financier indépendant, Président de VALQUANT EXPERTYSE SAS.


Mercredi, à l’occasion de sa participation à une conférence organisée par le Brookings Institute, le président de la Fed a déclaré que les hausses de taux pourraient être plus modérées dès le mois de décembre, et que la récession sera probablement de faible intensité. Cette semaine aussi, les publications de l’indice « PCE » et « core PCE » (respectivement 6% et 5% en rythme annuel fin octobre), ont montré une baisse de l’inflation. C’est exactement ce que Wall Street attendait, et les principaux indices d’actions ont bondi de 2 à 4%.
Eric Galiègue
Eric Galiègue

Les actions se retrouvent au paradis : ils ont anticipé une baisse des bénéfices limitée à 10-15% maximum, et le risque inflationniste est désormais sous contrôle d’une Banque Centrale qui finalement est très efficace. Les investisseurs en viendraient même à considérer que l’inflation est transitoire, en tous cas maitrisée par les banques centrales. Et que les entreprises vont démontrer à nouveau leur agilité, en ajustant très rapidement leurs coûts, comme le montrent les grandes sociétés technologiques du Nouveau Monde, qui licencient massivement et réduisent leurs investissements pour maintenir leur niveau de bénéfice. Ce qui est visible et immédiat justifie la hausse des cours. Le repli de l’inflation est une bonne nouvelle : le risque d’une inflation élevée et hors de contrôle disparait. La perspective d’une fin de hausse des taux de la Fed laisse entrevoir la possibilité d’une baisse des taux. Notre inquiétude concerne l’invisible et le futur. Nous considérons que le marché ne prend pas en compte deux éléments clé relatifs à l’évaluation des entreprises.

Le premier est relatif à l’inflation et aux taux d’intérêt. Tout se passe comme si l’objectif de ramener l’inflation autour de 2% était chose quasiment faite. Or, nous l’écrivons et le disons souvent, les phénomènes qui vont alimenter l’inflation les 5 ou 10 prochaines années sont durables et structurels. Il s’agit de la nécessité de décarboner la planète, de relocaliser de nombreuses productions, et de réarmer l’Europe, tout cela dans des problèmes bien connus d’offre, et notamment d’offre de travail qualifié. Autant d’arguments qui peuvent alimenter la croissance, mais surtout sous forme de hausse de prix. A quel niveau va atterrir l’inflation « core » ? C’est cela le vrai sujet, et le marché, via les conditions des contrats de futures et de swap sur obligation, anticipe une inflation à 2-2,5% aux USA. Or, les économistes considèrent dans leur grande majorité qu’elle devrait se situer entre 3 et 5% dans les 5 prochaines années. Aux USA, sur la base des observations faites depuis 1953, pour une inflation comprise entre 3 et 5%, les taux d’intérêt ont évolué entre 5 et 6,5 %, pour un point moyen de 5,75%. Ce taux de 5,75% représente bien la somme entre 4% (inflation) et 1,75% (croissance en volume de l’économie). Or, les taux (de marché) valent actuellement 3,7%, et les taux de la Fed, 4%. Comme l’a dit Jerome Powell mercredi : “We will stay the course until the job is done,”…et cela pourrait durer plus longtemps que ne le pense Wall Street.

Le second est relatif aux bénéfices des entreprises. Ils vont baisser en 2023 : cela explique la baisse des indices boursiers depuis un an, en tous cas aux USA (la performance annuelle est positive en Europe…). Nous nous interrogeons sur la virulence de cette baisse conjoncturelle, mais aussi sur le niveau structurel des marges des entreprises. D’un point de vue conjoncturel, nous nous inquiétons de l’impact sur la conjoncture et les bénéfices, de la hausse des taux (immobilier, construction, automobile, notamment). Il faut rappeler que la hausse des taux courts, administrés par les banques centrales, est récente (en mars les taux étaient nuls…) et qu’elle n’a pas encore impacté les entreprises et les ménages. D’un point de vue structurel, nous considérons que les moteurs (gains d’efficacité grâce au digital et à la mondialisation, et baisse des taux) qui ont permis le doublement des marges nettes des entreprises depuis 20 ans (de 4 à 8% pour les actions européennes) sont en train de s’éteindre voire de s’inverser. En 2000, le taux moyen des obligations BBB 10 ans atteignait 6% environ, 20 ans plus tard ce taux valait 1%. Cette baisse tendancielle explique la réduction régulière des frais financiers nets payés par les entreprises, et est à l’origine d’une hausse de 0,75-1% environ de la marge nette des entreprises. Le changement de niveau de ces taux induit une baisse de marge dans les prochaines années. Quant à la mondialisation, on a bien compris que la phénomène inverse est en cours, avec la montée en puissance du souverainisme. Produire chez nous coutera plus cher… et ce coût sera probablement partagé par les clients-ménages (inflation) et par les entreprises (baisse de marge).
Ces éléments ne sont pas visibles aujourd’hui. Mais, progressivement, cet invisible deviendra visible tout au long de l’année 2023, et les prix s’ajusteront pour retrouver la valeur.
La valeur a beaucoup plus baissé que les prix en 2022, mais ça, personne ne veut le voir.

Nous développerons ces points et l’ensemble des deux scénarii possibles pour 2023 lors de notre rendez-vous mensuel le 6 décembre au Cercle de l’Union Interalliée. Merci aux clients qui viendront de s’inscrire ou de me prévenir.


Recommandation investisseurs : nous sommes toujours en forte sous-pondération des actions pour un CAC 40 supérieur à 5 650 points.

Tendance sur les marchés de taux et de devises : Les taux des obligations d’Etat ont baissé, en France (2,3%) comme aux USA (3,7%). L’euro a de nouveau progressé, au-delà de 1,05$.
Tendances récentes sur les matières premières : Le cours du pétrole a progressé de 4%.


Lundi 5 Décembre 2022



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