La rédaction de Finyear vous propose in extenso une étude très intéressante (PDF de 103 pages FR + ENG) publiée récemment par l'Institut Louis Bachelier et dont vous trouverez ci-dessous un extrait.
L’intérêt pour la blockchain touche tous les secteurs d’activité : de l’industrie financière au secteur public, en passant par l’éducation
L’engouement pour la blockchain a gagné tous les secteurs de l’économie. À travers le monde, des organisations publiques et privées ont manifesté un intérêt grandissant et exprimé leur enthousiasme pour cette nouvelle technologie. Nous constatons une prolifération d’initiatives et, depuis fin 2015, de nombreux rapports ont été publiés par des institutions financières et des organismes publics à un rythme accéléré. Tout en prenant une approche didactique pour expliquer la blockchain au lecteur, la plupart de ces publications encensent les aspects “disruptifs” du phénomène, et soulignent son caractère perturbateur. Nous ne ferons pas ici une liste exhaustive des initiatives actuelles, mais avons choisi de citer quelques-uns des projets les plus significatifs en cours de développement pour donner au lecteur une idée de la nature, de la diversité et de l’importance du phénomène blockchain.
Mais avant d’aborder ces exemples, il est important de noter qu’une sensibilisation accrue du public et le développement concomitant d’innovations comme les colored coins, sidechains et smart contracts, ont enrichi le concept de blockchain d’origine, nourrissant ainsi la construction d’un pôle d’innovation (Schumpeter, 1935) spécifique aux Digital Ledger Technologies (DLT). L’émergence du pôle d’innovation DLT a permis de renforcer la perception du potentiel applicatif de la blockchain, encourageant des initiatives productives les plus diverses, que ce soit sous forme d’investissements ou de travail.
Bien qu’inspiré de technologies existantes, la DLT va bien au-delà des registres partagés (shared ledgers) et des bases de données distribuées qui existaient jusqu’alors. En effet, la DLT cumule les avantages d’une base distribuée et la fiabilité du système de registre.
Par ailleurs, on assiste à un foisonnement de réflexions et de débats au sujet de la blockchain : Quel est le degré de distribution souhaitable ? Une blockchain doit-elle être publique ou privée, ou alors une combinaison hybride ? À ce jour, ces questions divisent encore la communauté d’innovation se développant autour de la DLT, et le débat contribue à la richesse et à la diversité du pôle d’innovation lui-même. Mais il faut bien comprendre que ce qui apparaît à première vue comme des choix technologiques simples sont en fait bien plus que cela : ces choix sont indissociables des mécanismes de consensus qui constituent le fondement même de l’organisation et la gouvernance de la blockchain ; en ce sens, ils sont déterminants pour le développement présent et futur de la DLT.
Enfin, les gouvernements et autorités publiques de régulation seront inéluctablement amenés à repenser les systèmes de contrôle et de régulation des activités économiques et sociales en place, que ce soit dans le domaine de la propriété intellectuelle, de l’attribution des licences d’activité ou de la fiscalité. En ce qui concerne la propriété intellectuelle (IP) liée à la DLT, alors que la communauté de développeurs du Bitcoin Core a fait du protocole d’origine et de la Blockchain un code source ouvert (open source code) à tous, certains acteurs semblent vouloir déposer des demandes de brevets liés à certaines applications de la DLT. Bank of America, par exemple, aurait déjà déposé 15 demandes de brevet auprès du US Patent and Trademark Office et envisagerait d’étendre sa stratégie IP à beaucoup d’autres domaines. Une telle stratégie, qui vise à restreindre les droits de propriété intellectuelle liée à la DLT en les rendant exclusifs, est clairement en contradiction avec la philosophie open source ayant favorisé jusqu’alors le développement de cette technologie, et montre à quel point certaines institutions financières cherchent à profiter de la prime au premier entrant (first mover advantage) dans l’espace de cette technologie encore en plein développement.
Voici quelques unes des principales initiatives actuelles dans le domaine de la blockchain ; elles démontrent clairement que la portée de cette dernière dépasse largement le monde des “wallets” (portefeuilles) et des plateformes de change.
Plusieurs gouvernements ont déjà exprimé leur intérêt pour la DLT. Ainsi, dans son rapport “Digital Ledger Technology : beyond blockchain” (janvier 2016), l’Office for Science du Royaume-Uni déclare voir en la DLT “le potentiel pour constituer l’une de ces explosions de créativité capable de catalyser un niveau exceptionnel d’innovation.” L’Office for Science souligne également la nécessité pour le gouvernement du Royaume-Uni d’agir rapidement et énergiquement pour développer et coordonner des ressources dédiées spécifiquement à l’étude et au développement de la DLT afin d’éviter que le Royaume-Uni ne “rate le coche” face à la concurrence internationale. Dans ce contexte, le gouvernement britannique encourage activement des acteurs clés du développement numérique, comme le nouvel Alan Turing Institute, le Digital Catapult Centre, l’Open Data Institute et le Whitechapel Think Tank, à travailler ensemble.
Au Ghana, des projets blockchain sont développés afin d’utiliser la blockchain dans le domaine du cadastre foncier. L’Estonie, elle, développe un service public notarial basé sur cette technologie via le programme Keyless Signature Infrastructure. L’île de Man, en collaboration avec la start-up Credits.vision, teste actuellement une nouvelle technologie KYC (know your customer) développée à partir de DLT et qui sera accessible en open source pour ses citoyens.
Dans le secteur de la santé, on teste des systèmes DLT pour l’archivage de dossiers de santé numériques.6 Des start-ups comme Factom (en partenariat avec HealthNautica) ou BitHealth, offrent d’ores et déjà de tels services. Des archives sécurisées et cryptées, accessibles exclusivement au détenteur de la clé privée correspondant, pourraient bien répondre aux exigences de sécurité et de confidentialité du secteur de la santé. BlockVerify propose une solution d’authentification cryptée basée sur la blockchain pour lutter contre la contrefaçon de médicaments. La rumeur (tweets) dit que Philips Healthcare Group, un acteur majeur du secteur, collabore avec la start-up Tierion sur un premier projet blockchain. DNA.bits associe big data et DLT pour stocker et partager des données génétiques authentifiées et les dossiers cliniques correspondant tout en garantissant un maintient absolu de l’anonymat.
Dans le secteur de l’éducation, Holberton Software engineering school, basée à San Francisco, et l’École Supérieure d’Ingénieurs Léonard-de-Vinci (ESILV) en France ont annoncé leur intention d’enregistrer et d’authentifier leurs certificats académiques sur la blockchain Bitcoin, tandis que l’Université de Nicosie, à Chypre, a lancé un Master’s of Science en Monnaie Digitale dans le cadre de la politique chypriote visant à faire de cet état insulaire une plaque tournante pour “le négoce, le traitement et les activités bancaires libellés en Bitcoin.”
La Blockchain sert également de base à des initiatives dans le secteur humanitaire. Le Blockchain Emergency ID (BE-ID) Project, porté par BitNation Refugee Emergency Response (BRER), est une initiative visant à fournir aux réfugiés, Syriens et autres, des documents d’identité numérique conformes aux normes des Nations Unies en matière de documents de voyage destinés aux apatrides. BitNation fournit également d’autres services aux réfugiés, notamment une Carte Visa BitNation permettant le paiement en bitcoins (BitNation Bitcoin Visa Card).
Dans le domaine du commerce électronique, OpenBazaar, une plateforme d’ecommerce venant tout juste d’ouvrir8, a pour ambition de devenir un concurrent totalement décentralisé d’eBay. A ce jour, OpenBazaar fonctionne exclusivement en bitcoins. Overstock.com, géant américain du commerce électronique, travaille en collaboration avec la start-up CounterParty au lancement de Medici, une plateforme boursière de crypto-monnaies développée sur la blockchain. Visa serait en train de tester la DLT pour ses services de paiement, alors qu’une banque coréenne, KB Kookmin Bank, a fait savoir qu’elle était en train de développer une solution DLT via la Blockchain pour ses opérations de transferts de fonds, actuellement réalisées via SWIFT. Dans le domaine de la logistique et du financement des échanges commerciaux, Skuchain propose des solutions à base de DLT pour le commerce B2B et son financement.
Enfin, la DLT a suscité un énorme intérêt de la part du secteur financier où l’on trouve d’innombrables projets. Une initiative sectorielle comme le groupement bancaire R3 CEV, lancé en septembre 2015, développe des prototypes basés sur Ethereum et a engagé des développeurs reconnus comme Richard Brown, ex-directeur de IBM, et Mike Hearn, cité plus haut. R3 CEV est également l’un des 30 membres fondateurs du Hyperledger Project, une initiative intersectorielle de la Linux Foundation, dont la mission est de développer des alternatives aux blockchains Bitcoin et Ethereum.
Digital Asset Holdings (DAH), lancée en mars 2015 par Blythe Masters, ancienne directrice du département des matières premières au niveau mondial chez JP Morgan, bâtit actuellement un système de traitement de transactions fondé sur la DLT pour des institutions financières comme la Australian Stock Exchange (ASX). DAH fait déjà figure d’acteur dominant dans cette industrie naissante, collaborant avec des acteurs d’envergure comme Accenture, PWC and Broadridge, afin de développer ses activités internationales. Il est intéressant de noter qu’en tant que membre fondateur de l’initiative, Digital Asset Holdings a offert à la Linux Foundation la marque Hyperledger, acquis une année auparavant en même temps que la start-up éponyme. Deloitte Canada et Deloitte Luxembourg travaillent ensemble sur Rubix, un projet qui pourrait à terme permettre à leurs clients de développer leurs propres applications DLT reposant sur des smart contracts.
Nasdaq propose actuellement un dispositif DLT de vote d’actionnaires pour les erésidents estoniens et développe par ailleurs un projet DLT pour l’enregistrement et le transfert de valeurs non-cotées, en complément d’ExactEquity, leur solution cloud de gestion d’actifs. Intel serait en train de tester la technologie blockchain en développant un jeu vidéo. Les joueurs possèdent des parts dans des équipes de football américain et peuvent se les échanger sur une plateforme blockchain. Ce projet n’est pas commercialisé et sert de prototype dans le cadre du programme Hyperledger.
Les acteurs de l’infrastructure post-marché ont créé le groupe de travail Post Trade Distributed Ledger Working Group, dont les membres actuels sont : CME Group, Euroclear, LCH.Clearnet, the London Stock Exchange, Société Générale et UBS. A titre individuel, Euroclear et Depository Trust & Clearing Corporation (DTCC) ont chacun publié leur propre rapport, à quelques jours d’intervalle. DTCC “appelle à une collaboration transversale qui mise sur la DLT pour moderniser, rationaliser et simplifier l’organisation de l’infrastructure du secteur financier et pallier les limitations actuelles du processus post-marché”. Euroclear (février 2016), de son côté, déclare que “l’industrie a besoin de définir une position collective sur le potentiel de cette technologie” et de “travailler avec les innovateurs pour développer des normes tout en préservant les atouts actuels de l’écosystème, et en naviguant dans les mondes complexes de la régulation et du contrôle”.
Pour ces acteurs, les principaux avantages de la DLT sont la transparence, la sécurité, la traçabilité et un rapport coût/efficacité favorable. Et comme ces quatre caractéristiques sont également les qualités requises pour une industrie financière solide et efficace, il n’est pas étonnant qu’elles constituent une forte incitation à investir en DLT.
Mais avant d’analyser l’impact de la DLT sur l’infrastructure des marchés financiers et d’évaluer le coût potentiel de la transformation technologique, commençons par regarder les solutions existantes qui s’offrent au secteur.
Bases de données partagées et protocoles de consensus distribués : un phénomène vraiment nouveau pour le secteur financier ?
Les technologies de l’information ont joué un rôle déterminant dans le développement des services financiers modernes. Comme Shiller le remarque (2003), ce sont bien les innovations informatiques qui ont permis la prolifération de la majorité, sinon de la totalité, des services financiers contemporains. Les nouvelles technologies ont métamorphosé l’infrastructure de l’information et ont changé la donne pour les fournisseurs de services financiers et les marchés des capitaux, en transformant les innombrables piles de papier (difficiles à trier, traiter et archiver) en données numériques. Cette capacité à mieux gérer des volumes importants de données et d’informations a permis au secteur bancaire d’élargir son offre de produits et de services, d’améliorer ses procédures et de suivre le nombre croissant des transactions auquel les institutions doivent faire face. Aujourd’hui, que ce soit dans le domaine de la titrisation, des produits dérivés ou encore au niveau de la banque commerciale, l’activité du secteur financier repose fortement sur les systèmes d’information.
Il n’est donc pas étonnant que les banques mettent l’accent sur la constitution d’équipes informatiques performantes, surtout dans un monde où la cybersécurité est vitale pour le fonctionnement du système bancaire. Jusqu’à présent, le secteur financier privilégiait des architectures informatiques centralisées, devenues un genre de choix par défaut. Des banques centrales jusqu’aux agences de détail, ce paradigme a produit une succession de relations client-serveur, où à chaque niveau, un serveur centralisé (ou ensemble de serveurs fédérés) prend en charge de multiples clients et leurs opérations. Ce choix est logique : une banque centrale veut pouvoir suivre les banques agréées auxquelles elle donne sa monnaie, tandis qu’une banque de détail veut garder le contrôle sur ses comptes clients et pouvoir suivre leur activité.
Aujourd’hui, le modèle centralisé l’emporte dans tous les contextes où l’on a besoin d’un système de tenue des registres fiable ; et pour lequel la sécurité et le contrôle sont vitaux. Pour prendre un exemple hors secteur bancaire, on constate un accroissement important des données biométriques de part le monde au fur et à mesure que les états remplacent les passeports traditionnels par de nouvelles technologies d’identification des citoyens. Ici aussi, les données sont stockées dans d’immenses bases de données centralisées, bien que les questions de la sécurité de ces données hautement sensibles soient vitales ; en effet, tout vol d’identité pourrait s’avérer catastrophique.
Alors, si les registres de données numériques existent depuis plusieurs décennies, qu’est-ce qui explique l’engouement soudain pour la technologie des bases de données distribuées (DLT) ? Les partisans de la Blockchain et de la DLT mettent en avant trois faiblesses potentielles des bases centralisées contrôlées par un tiers de confiance :
(i) le tiers de confiance pourrait s’avérer moins digne de confiance que l’on escomptait, voire faire l’objet de pots-de-vin ou d’autres formes de corruption;
(ii) le contrôleur du registre centralisé pourrait censurer ou rejeter certains acteurs du marché pour des motifs subjectifs et/ou discriminatoires;
(iii) des bases de données centralisées ne sont pas à l’abri d’une perte de données.
La Blockchain, grâce à sa structure décentralisée, ses protocoles de consensus distribués, son approche open-source et les multiples copies de la Blockchain accessible à tous, apporte une réponse à toutes ces questions.
Mais au-delà de ces considérations, somme toute opérationnelles, il y a une force à l’oeuvre dans le secteur financier qui explique l’intérêt grandissant pour la DLT et la perspective réelle d’un abandon des architectures centralisées en faveur du modèle distribué : la montée du “shadow banking” (la finance parallèle) et le phénomène croissant de désintermédiation bancaire qui l’accompagne, incitent certains à proclamer une possible “fin des banques” (McMillan, 2014). Avec la finance numérique, le crowdfunding et les prêts P2P, emprunteurs et prêteurs peuvent se rencontrer sans recourir à l’intermédiation bancaire (Collomb, 2015). Mais tous dépendent encore de plateformes centralisées. DLT, en revanche, permet de se passer totalement d’intermédiaire central, que ce soit une banque ou une plateforme numérique centralisée ! Prenons comme exemple le cas bien connu du marché des taxis et des VTC : si Uber propose à ses clients une plateforme numérique uber-conviviale qui facilite grandement la rencontre de l’offre et de la demande via une application smartphone, toutes les données transactionnelles terminent sur une base de données centralisée, contrôlée par Uber. Avec la Blockchain et la DLT, il n’y a plus de plateforme centralisée.
DLT attire différents acteurs avec la promesse “d’ubériser Uber”, c’est-à-dire la perspective de pouvoir abandonner l’architecture centralisée en faveur d’une architecture véritablement décentralisée où le système dans son intégralité joue le rôle de tiers de confiance à la place d’un acteur central dominant. Mais comme la DLT est conceptuellement complexe et encore à ses débuts, les acteurs économiques et financiers ont encore du mal à distinguer entre mythes et réalités, et à y voir clair dans ses applications potentielles.
Mais voilà : si jusqu’à présent, l’idée même que des banques puissent partager des informations via des protocoles de consensus distribués, était considérée comme aberrante par la plupart des interlocuteurs du secteur financier, l’intérêt grandissant pour la DLT a changé la donne. L’industrie porte désormais un regard plus ouvert sur le partage des données via des plateformes distribuées et la perspective d’un changement de paradigme se manifeste dans des initiatives comme R3 CEV et d’autres citées plus haut...
Pour aller plus loin lire l’étude intégrale
Lien direct vers l'étude sur le site de l'Institut Louis Bachelier
L’intérêt pour la blockchain touche tous les secteurs d’activité : de l’industrie financière au secteur public, en passant par l’éducation
L’engouement pour la blockchain a gagné tous les secteurs de l’économie. À travers le monde, des organisations publiques et privées ont manifesté un intérêt grandissant et exprimé leur enthousiasme pour cette nouvelle technologie. Nous constatons une prolifération d’initiatives et, depuis fin 2015, de nombreux rapports ont été publiés par des institutions financières et des organismes publics à un rythme accéléré. Tout en prenant une approche didactique pour expliquer la blockchain au lecteur, la plupart de ces publications encensent les aspects “disruptifs” du phénomène, et soulignent son caractère perturbateur. Nous ne ferons pas ici une liste exhaustive des initiatives actuelles, mais avons choisi de citer quelques-uns des projets les plus significatifs en cours de développement pour donner au lecteur une idée de la nature, de la diversité et de l’importance du phénomène blockchain.
Mais avant d’aborder ces exemples, il est important de noter qu’une sensibilisation accrue du public et le développement concomitant d’innovations comme les colored coins, sidechains et smart contracts, ont enrichi le concept de blockchain d’origine, nourrissant ainsi la construction d’un pôle d’innovation (Schumpeter, 1935) spécifique aux Digital Ledger Technologies (DLT). L’émergence du pôle d’innovation DLT a permis de renforcer la perception du potentiel applicatif de la blockchain, encourageant des initiatives productives les plus diverses, que ce soit sous forme d’investissements ou de travail.
Bien qu’inspiré de technologies existantes, la DLT va bien au-delà des registres partagés (shared ledgers) et des bases de données distribuées qui existaient jusqu’alors. En effet, la DLT cumule les avantages d’une base distribuée et la fiabilité du système de registre.
Par ailleurs, on assiste à un foisonnement de réflexions et de débats au sujet de la blockchain : Quel est le degré de distribution souhaitable ? Une blockchain doit-elle être publique ou privée, ou alors une combinaison hybride ? À ce jour, ces questions divisent encore la communauté d’innovation se développant autour de la DLT, et le débat contribue à la richesse et à la diversité du pôle d’innovation lui-même. Mais il faut bien comprendre que ce qui apparaît à première vue comme des choix technologiques simples sont en fait bien plus que cela : ces choix sont indissociables des mécanismes de consensus qui constituent le fondement même de l’organisation et la gouvernance de la blockchain ; en ce sens, ils sont déterminants pour le développement présent et futur de la DLT.
Enfin, les gouvernements et autorités publiques de régulation seront inéluctablement amenés à repenser les systèmes de contrôle et de régulation des activités économiques et sociales en place, que ce soit dans le domaine de la propriété intellectuelle, de l’attribution des licences d’activité ou de la fiscalité. En ce qui concerne la propriété intellectuelle (IP) liée à la DLT, alors que la communauté de développeurs du Bitcoin Core a fait du protocole d’origine et de la Blockchain un code source ouvert (open source code) à tous, certains acteurs semblent vouloir déposer des demandes de brevets liés à certaines applications de la DLT. Bank of America, par exemple, aurait déjà déposé 15 demandes de brevet auprès du US Patent and Trademark Office et envisagerait d’étendre sa stratégie IP à beaucoup d’autres domaines. Une telle stratégie, qui vise à restreindre les droits de propriété intellectuelle liée à la DLT en les rendant exclusifs, est clairement en contradiction avec la philosophie open source ayant favorisé jusqu’alors le développement de cette technologie, et montre à quel point certaines institutions financières cherchent à profiter de la prime au premier entrant (first mover advantage) dans l’espace de cette technologie encore en plein développement.
Voici quelques unes des principales initiatives actuelles dans le domaine de la blockchain ; elles démontrent clairement que la portée de cette dernière dépasse largement le monde des “wallets” (portefeuilles) et des plateformes de change.
Plusieurs gouvernements ont déjà exprimé leur intérêt pour la DLT. Ainsi, dans son rapport “Digital Ledger Technology : beyond blockchain” (janvier 2016), l’Office for Science du Royaume-Uni déclare voir en la DLT “le potentiel pour constituer l’une de ces explosions de créativité capable de catalyser un niveau exceptionnel d’innovation.” L’Office for Science souligne également la nécessité pour le gouvernement du Royaume-Uni d’agir rapidement et énergiquement pour développer et coordonner des ressources dédiées spécifiquement à l’étude et au développement de la DLT afin d’éviter que le Royaume-Uni ne “rate le coche” face à la concurrence internationale. Dans ce contexte, le gouvernement britannique encourage activement des acteurs clés du développement numérique, comme le nouvel Alan Turing Institute, le Digital Catapult Centre, l’Open Data Institute et le Whitechapel Think Tank, à travailler ensemble.
Au Ghana, des projets blockchain sont développés afin d’utiliser la blockchain dans le domaine du cadastre foncier. L’Estonie, elle, développe un service public notarial basé sur cette technologie via le programme Keyless Signature Infrastructure. L’île de Man, en collaboration avec la start-up Credits.vision, teste actuellement une nouvelle technologie KYC (know your customer) développée à partir de DLT et qui sera accessible en open source pour ses citoyens.
Dans le secteur de la santé, on teste des systèmes DLT pour l’archivage de dossiers de santé numériques.6 Des start-ups comme Factom (en partenariat avec HealthNautica) ou BitHealth, offrent d’ores et déjà de tels services. Des archives sécurisées et cryptées, accessibles exclusivement au détenteur de la clé privée correspondant, pourraient bien répondre aux exigences de sécurité et de confidentialité du secteur de la santé. BlockVerify propose une solution d’authentification cryptée basée sur la blockchain pour lutter contre la contrefaçon de médicaments. La rumeur (tweets) dit que Philips Healthcare Group, un acteur majeur du secteur, collabore avec la start-up Tierion sur un premier projet blockchain. DNA.bits associe big data et DLT pour stocker et partager des données génétiques authentifiées et les dossiers cliniques correspondant tout en garantissant un maintient absolu de l’anonymat.
Dans le secteur de l’éducation, Holberton Software engineering school, basée à San Francisco, et l’École Supérieure d’Ingénieurs Léonard-de-Vinci (ESILV) en France ont annoncé leur intention d’enregistrer et d’authentifier leurs certificats académiques sur la blockchain Bitcoin, tandis que l’Université de Nicosie, à Chypre, a lancé un Master’s of Science en Monnaie Digitale dans le cadre de la politique chypriote visant à faire de cet état insulaire une plaque tournante pour “le négoce, le traitement et les activités bancaires libellés en Bitcoin.”
La Blockchain sert également de base à des initiatives dans le secteur humanitaire. Le Blockchain Emergency ID (BE-ID) Project, porté par BitNation Refugee Emergency Response (BRER), est une initiative visant à fournir aux réfugiés, Syriens et autres, des documents d’identité numérique conformes aux normes des Nations Unies en matière de documents de voyage destinés aux apatrides. BitNation fournit également d’autres services aux réfugiés, notamment une Carte Visa BitNation permettant le paiement en bitcoins (BitNation Bitcoin Visa Card).
Dans le domaine du commerce électronique, OpenBazaar, une plateforme d’ecommerce venant tout juste d’ouvrir8, a pour ambition de devenir un concurrent totalement décentralisé d’eBay. A ce jour, OpenBazaar fonctionne exclusivement en bitcoins. Overstock.com, géant américain du commerce électronique, travaille en collaboration avec la start-up CounterParty au lancement de Medici, une plateforme boursière de crypto-monnaies développée sur la blockchain. Visa serait en train de tester la DLT pour ses services de paiement, alors qu’une banque coréenne, KB Kookmin Bank, a fait savoir qu’elle était en train de développer une solution DLT via la Blockchain pour ses opérations de transferts de fonds, actuellement réalisées via SWIFT. Dans le domaine de la logistique et du financement des échanges commerciaux, Skuchain propose des solutions à base de DLT pour le commerce B2B et son financement.
Enfin, la DLT a suscité un énorme intérêt de la part du secteur financier où l’on trouve d’innombrables projets. Une initiative sectorielle comme le groupement bancaire R3 CEV, lancé en septembre 2015, développe des prototypes basés sur Ethereum et a engagé des développeurs reconnus comme Richard Brown, ex-directeur de IBM, et Mike Hearn, cité plus haut. R3 CEV est également l’un des 30 membres fondateurs du Hyperledger Project, une initiative intersectorielle de la Linux Foundation, dont la mission est de développer des alternatives aux blockchains Bitcoin et Ethereum.
Digital Asset Holdings (DAH), lancée en mars 2015 par Blythe Masters, ancienne directrice du département des matières premières au niveau mondial chez JP Morgan, bâtit actuellement un système de traitement de transactions fondé sur la DLT pour des institutions financières comme la Australian Stock Exchange (ASX). DAH fait déjà figure d’acteur dominant dans cette industrie naissante, collaborant avec des acteurs d’envergure comme Accenture, PWC and Broadridge, afin de développer ses activités internationales. Il est intéressant de noter qu’en tant que membre fondateur de l’initiative, Digital Asset Holdings a offert à la Linux Foundation la marque Hyperledger, acquis une année auparavant en même temps que la start-up éponyme. Deloitte Canada et Deloitte Luxembourg travaillent ensemble sur Rubix, un projet qui pourrait à terme permettre à leurs clients de développer leurs propres applications DLT reposant sur des smart contracts.
Nasdaq propose actuellement un dispositif DLT de vote d’actionnaires pour les erésidents estoniens et développe par ailleurs un projet DLT pour l’enregistrement et le transfert de valeurs non-cotées, en complément d’ExactEquity, leur solution cloud de gestion d’actifs. Intel serait en train de tester la technologie blockchain en développant un jeu vidéo. Les joueurs possèdent des parts dans des équipes de football américain et peuvent se les échanger sur une plateforme blockchain. Ce projet n’est pas commercialisé et sert de prototype dans le cadre du programme Hyperledger.
Les acteurs de l’infrastructure post-marché ont créé le groupe de travail Post Trade Distributed Ledger Working Group, dont les membres actuels sont : CME Group, Euroclear, LCH.Clearnet, the London Stock Exchange, Société Générale et UBS. A titre individuel, Euroclear et Depository Trust & Clearing Corporation (DTCC) ont chacun publié leur propre rapport, à quelques jours d’intervalle. DTCC “appelle à une collaboration transversale qui mise sur la DLT pour moderniser, rationaliser et simplifier l’organisation de l’infrastructure du secteur financier et pallier les limitations actuelles du processus post-marché”. Euroclear (février 2016), de son côté, déclare que “l’industrie a besoin de définir une position collective sur le potentiel de cette technologie” et de “travailler avec les innovateurs pour développer des normes tout en préservant les atouts actuels de l’écosystème, et en naviguant dans les mondes complexes de la régulation et du contrôle”.
Pour ces acteurs, les principaux avantages de la DLT sont la transparence, la sécurité, la traçabilité et un rapport coût/efficacité favorable. Et comme ces quatre caractéristiques sont également les qualités requises pour une industrie financière solide et efficace, il n’est pas étonnant qu’elles constituent une forte incitation à investir en DLT.
Mais avant d’analyser l’impact de la DLT sur l’infrastructure des marchés financiers et d’évaluer le coût potentiel de la transformation technologique, commençons par regarder les solutions existantes qui s’offrent au secteur.
Bases de données partagées et protocoles de consensus distribués : un phénomène vraiment nouveau pour le secteur financier ?
Les technologies de l’information ont joué un rôle déterminant dans le développement des services financiers modernes. Comme Shiller le remarque (2003), ce sont bien les innovations informatiques qui ont permis la prolifération de la majorité, sinon de la totalité, des services financiers contemporains. Les nouvelles technologies ont métamorphosé l’infrastructure de l’information et ont changé la donne pour les fournisseurs de services financiers et les marchés des capitaux, en transformant les innombrables piles de papier (difficiles à trier, traiter et archiver) en données numériques. Cette capacité à mieux gérer des volumes importants de données et d’informations a permis au secteur bancaire d’élargir son offre de produits et de services, d’améliorer ses procédures et de suivre le nombre croissant des transactions auquel les institutions doivent faire face. Aujourd’hui, que ce soit dans le domaine de la titrisation, des produits dérivés ou encore au niveau de la banque commerciale, l’activité du secteur financier repose fortement sur les systèmes d’information.
Il n’est donc pas étonnant que les banques mettent l’accent sur la constitution d’équipes informatiques performantes, surtout dans un monde où la cybersécurité est vitale pour le fonctionnement du système bancaire. Jusqu’à présent, le secteur financier privilégiait des architectures informatiques centralisées, devenues un genre de choix par défaut. Des banques centrales jusqu’aux agences de détail, ce paradigme a produit une succession de relations client-serveur, où à chaque niveau, un serveur centralisé (ou ensemble de serveurs fédérés) prend en charge de multiples clients et leurs opérations. Ce choix est logique : une banque centrale veut pouvoir suivre les banques agréées auxquelles elle donne sa monnaie, tandis qu’une banque de détail veut garder le contrôle sur ses comptes clients et pouvoir suivre leur activité.
Aujourd’hui, le modèle centralisé l’emporte dans tous les contextes où l’on a besoin d’un système de tenue des registres fiable ; et pour lequel la sécurité et le contrôle sont vitaux. Pour prendre un exemple hors secteur bancaire, on constate un accroissement important des données biométriques de part le monde au fur et à mesure que les états remplacent les passeports traditionnels par de nouvelles technologies d’identification des citoyens. Ici aussi, les données sont stockées dans d’immenses bases de données centralisées, bien que les questions de la sécurité de ces données hautement sensibles soient vitales ; en effet, tout vol d’identité pourrait s’avérer catastrophique.
Alors, si les registres de données numériques existent depuis plusieurs décennies, qu’est-ce qui explique l’engouement soudain pour la technologie des bases de données distribuées (DLT) ? Les partisans de la Blockchain et de la DLT mettent en avant trois faiblesses potentielles des bases centralisées contrôlées par un tiers de confiance :
(i) le tiers de confiance pourrait s’avérer moins digne de confiance que l’on escomptait, voire faire l’objet de pots-de-vin ou d’autres formes de corruption;
(ii) le contrôleur du registre centralisé pourrait censurer ou rejeter certains acteurs du marché pour des motifs subjectifs et/ou discriminatoires;
(iii) des bases de données centralisées ne sont pas à l’abri d’une perte de données.
La Blockchain, grâce à sa structure décentralisée, ses protocoles de consensus distribués, son approche open-source et les multiples copies de la Blockchain accessible à tous, apporte une réponse à toutes ces questions.
Mais au-delà de ces considérations, somme toute opérationnelles, il y a une force à l’oeuvre dans le secteur financier qui explique l’intérêt grandissant pour la DLT et la perspective réelle d’un abandon des architectures centralisées en faveur du modèle distribué : la montée du “shadow banking” (la finance parallèle) et le phénomène croissant de désintermédiation bancaire qui l’accompagne, incitent certains à proclamer une possible “fin des banques” (McMillan, 2014). Avec la finance numérique, le crowdfunding et les prêts P2P, emprunteurs et prêteurs peuvent se rencontrer sans recourir à l’intermédiation bancaire (Collomb, 2015). Mais tous dépendent encore de plateformes centralisées. DLT, en revanche, permet de se passer totalement d’intermédiaire central, que ce soit une banque ou une plateforme numérique centralisée ! Prenons comme exemple le cas bien connu du marché des taxis et des VTC : si Uber propose à ses clients une plateforme numérique uber-conviviale qui facilite grandement la rencontre de l’offre et de la demande via une application smartphone, toutes les données transactionnelles terminent sur une base de données centralisée, contrôlée par Uber. Avec la Blockchain et la DLT, il n’y a plus de plateforme centralisée.
DLT attire différents acteurs avec la promesse “d’ubériser Uber”, c’est-à-dire la perspective de pouvoir abandonner l’architecture centralisée en faveur d’une architecture véritablement décentralisée où le système dans son intégralité joue le rôle de tiers de confiance à la place d’un acteur central dominant. Mais comme la DLT est conceptuellement complexe et encore à ses débuts, les acteurs économiques et financiers ont encore du mal à distinguer entre mythes et réalités, et à y voir clair dans ses applications potentielles.
Mais voilà : si jusqu’à présent, l’idée même que des banques puissent partager des informations via des protocoles de consensus distribués, était considérée comme aberrante par la plupart des interlocuteurs du secteur financier, l’intérêt grandissant pour la DLT a changé la donne. L’industrie porte désormais un regard plus ouvert sur le partage des données via des plateformes distribuées et la perspective d’un changement de paradigme se manifeste dans des initiatives comme R3 CEV et d’autres citées plus haut...
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Laurent Leloup
Fondateur Finyear Group
Expert Blockchain auprès du Pôle de compétitivité mondial FINANCE INNOVATION
Président France Blocktech, association française des acteurs et de l'écosystème blockchain.
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Fondateur Finyear Group
Expert Blockchain auprès du Pôle de compétitivité mondial FINANCE INNOVATION
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