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L’arrogance économique a de beaux jours devant elle

Les économistes qui ont vu venir la crise sont si peu nombreux qu’ils font figure d’aberrations statistiques.


L’arrogance économique a de beaux jours devant elle
En 1874, à l’âge de 17 ans, Max Planck débutait ses études à l’université de Munich. Son professeur de physique, Philipp von Jolly, essaya de décourager le futur Prix Nobel en affirmant que «dans ce domaine, presque tout a déjà été découvert; tout ce qui reste à faire, c’est de boucher quelques trous». Mais Planck persévéra.

En 1894, un autre futur lauréat du prix Nobel, le physicien américain Albert Michelson, déclarait lui aussi que la physique ne connaîtrait plus d’avancées fondamentales. Citant le célèbre physicien Lord Kelvin, Michelson disait que «les vérités futures de la physique sont à chercher autour de la sixième décimale».

Six ans plus tard à peine, Lord Kelvin devait se rétracter, admettant apercevoir «deux nuages à l’horizon » de la physique théorique. L’un de ces nuages était le défi représenté par le calcul de la radiation (électromagnétique) des corps noirs, résolu un an plus tard par Planck; l’autre était celui du fameux échec expérimental de Michelson-Morley sur le comportement de la lumière. Le fait est que ces «nuages» annonçaient une véritable révolution des sciences physiques, laquelle a donné naissance à la mécanique quantique et à la théorie de la relativité. Finalement, un certain nombre de chapitres du grand livre de la physique restaient bien à écrire.

L’économie est une science encore plus jeune et moins exacte que la physique. Malgré cela - ou peutêtre à cause - elle est souvent en proie au «syndrome Jolly-Michelson- Kelvin» qui conduit à penser que tout ce qui est important a déjà été identifié et expliqué. En 1929, la théorie économique dite «classique» triomphait. L’incroyable rally du marché des actions de la fin des années 20 n’avait pas soulevé la moindre méfiance. Au contraire, elle confirmait que tout allait pour le mieux dans ce monde. De fait, en août 1929, l’un des économistes les plus réputés de l’époque, Irving Fisher, déclarait que «le marché des actions a atteint ce qui semble être un nouveau plateau permanent ». Sept ans et une Grande Dépression plus tard, John Maynard Keynes publiait sa Théorie générale, révolutionnant la théorie et la pratique économiques dans les quarante années qui suivirent. Au début des années 70, la profession a connu un autre moment Jolly-Michelson-Kelvin, lorsque le président américain Richard Nixon déclarait: «Nous sommes tous keynésiens à présent» – une phrase déjà formulée au milieu des années 60, avec quelques réserves, par l’économiste ultralibéral Milton Friedman. Ce que Nixon voulait dire, c’est que les interventions étatiques contra-cycliques dans l’économie, courantes dans l’après-guerre, continueraient d’assurer croissance et prospérité.

Tout allait bien jusqu’à ce que différentes forces concomitantes dévoilent les limites du keynésianisme: le régime de taux de change fixes inhérent au système de Bretton Woods s’écroule, les chocs pétroliers des années 70 ébranlent l’économie mondiale et un nouveau phénomène appelé «stagflation» (coexistence d’un fort taux de chômage et de l’inflation) apparaît.

Une fois de plus, les économistes devaient réinventer leur science. Au début des années 1990, une nouvelle base théorique finit par émerger, que l’on peut qualifier de «synthèse classique- keynésienne». La politique des banques centrales en était un élément central, que l’on peut résumer en quelques mots: «ciblage de l’inflation». D’ailleurs, Ben Bernanke, l’actuel président de la Réserve fédérale, a été le co-auteur en 1999 d’un traité sur ce sujet. Le contexte économique semblait confirmer cette nouvelle synthèse. En effet, entre 1982 et 2007 - époque appelée avec nostalgie «la Grande modération» - la volatilité macroéconomique est restée très réduite, avec seulement deux récessions aux Etats-Unis. L’inflation restait négligeable et la croissance économique relativement élevée, surtout dans les pays anglo- saxons.

Mais une fois de plus, les économistes ont été rattrapés par le syndrome Jolly-Michelson-Kelvin. Dans un discours prononcé en 2002 à l’occasion du quatre-vingtdixième anniversaire de Milton Friedman, Ben Bernanke, alors gouverneur de la Réserve Fédérale, a présenté des excuses pour les erreurs commises par la banque centrale américaine dans les années 30: «Permettez-moi de terminer en abusant quelque peu de mon statut de représentant officiel de la Réserve fédérale. Je tiens à dire ceci à Milton Friedman: au sujet de la Grande dépression, vous avez raison: nous en sommes responsables. Nous en sommes désolés. Mais, grâce à vous, nous ne commettrons plus la même erreur ».

Et en 2003, le Prix Nobel d’économie Robert Lucas, l’un des économistes les plus influents de ces trente dernières années, déclarait dans son discours de présidence de l’Association économique américaine: «Le problème des dépressions a été résolu. La macroéconomie devrait maintenant s’attaquer à d’autres thèmes». Enfin, Olivier Blanchard, l’actuel économiste en chef du Fonds Monétaire International, professeur au MIT et candidat chronique au Prix Nobel d’économie, a rédigé en 2007 une étude sur l’état de la théorie macroéconomique. Sa conclusion était la suivante: «Après l’explosion de la macroéconomie dans les années 70, le domaine a ressemblé pendant longtemps à un champ de bataille. Cependant, comme les faits ne disparaissent pas, une vision largement consensuelle des fluctuations et de la méthodologie a émergé avec le temps. [….] La macroéconomie est en bonne santé».

La crise financière de 2008 et ses séquelles - qui continuent de sévir, avec des conséquences potentielles préoccupantes - a de nouveau laissé la «science lugubre» de l’économie dans un piteux état. Ses praticiens qui ont vu venir la crise sont si peu nombreux qu’ils font figure d’aberrations statistiques.

«Cette fois, c’est différent»: voilà une promesse qui coûte cher. C’est aussi le titre d’une captivante histoire des crises financières (quoique écrite sans fantaisie), par Carmen Reinhardt et Kenneth Rogoff. Etant donné l’historique de la profession, «tout est sous contrôle» est sans doute l’autre phrase fétiche des économistes qui aura coûté le plus à la société.

L’Agefi, quotidien de l’Agence économique et financière à Genève
www.agefi.com

Lundi 6 Septembre 2010




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