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Luxembourg : un pays fondateur de l’Union européenne défaillant dans la lutte contre la corruption

Transparence Internationale vient de publier son rapport 2009 sur la mise en œuvre de la Convention de l’OCDE de lutte contre la corruption.


Jérôme Turquey
Jérôme Turquey
Comme le précise la branche française, ce rapport est le cinquième d’une série de rapports annuels. Il examine les efforts de mise en application de la Convention de l’OCDE pour la lutte contre la corruption des fonctionnaires étrangers dans les transactions commerciales internationales, dans 36 pays sur les 38 ayant ratifié cette Convention. Il s’appuie sur les informations fournies par des experts de TI et présente succinctement d’importantes affaires de corruption à l’étranger impliquant des multinationales. Il traite aussi de l’efficacité des systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent, de la nécessité d’imposer aux entreprises une responsabilité pénale, de l’accès public à l’information et de la protection des déclencheurs d’alerte.

Selon le rapport 2009, seuls quatre pays sur les 36 évalués appliquent activement la Convention anti-corruption de l’OCDE. La Convention est modérément respectée dans 11 autres pays et peu ou pas du tout dans 21 autres.

Pour deux pays ayant ratifié la Convention de l’OCDE, Transparence Internationale ne disposait d’aucune données : l’Islande et le Luxembourg.

Pour ce qui est de l’Islande, cette juridiction, qui n’est pas membre de l’Union européenne, connaît de graves difficultés financières. Les autorités du pays ont recruté en mars dernier la juge Eva Joly pour mettre à nu de possibles fraudes liées à l'effondrement du système financier en Islande. Sa détermination dans la lutte contre la corruption n’est plus à prouver. Grâce à elle, le pays devrait pouvoir fournir des données même Eva Joly a récemment déploré des problèmes de conflits d’intérêt avec la famille du Procureur général et de manque de moyen, allant jusqu’à envisager de partir. Il semble qu’elle est écoutée car les moyens ont été augmentés (Island Review, « Increased Funding for Banking Collapse Investigation », 15 June 209) et le débat est lancé sur les conflits d’intérêt malgré la réticence du Procureur Général à quitter son poste alors qu’il est déjà en dehors de l’enquête (Island Review, « Attorney General of Iceland Will Not Step Down », 12 June 2009)

Pour ce qui est du Luxembourg sa situation doit être appréciée en tant que membre fondateur de l’Union européenne et place financière majeure (d’aucuns diraient « paradis fiscal », mais ce n’est pas l’objet de la présente analyse même s’il y des passerelles entre pratiques fiscales dommageables, corruption et blanchiment)

Sur les 27 membres de l’Union européenne, 22, dont le Luxembourg, soit plus de 80% ont ratifié la convention de l’OCDE.

Les pays qui ne l’ont pas ratifié sont Chypre, la Lettonie, la Lituanie, Malte et la Roumanie. Ces pays n’ont donc pas pris d’engagement et ne sont d’ailleurs pas membres de l’OCDE.

Parmi les pays qui ont ratifié la convention de l’OCDE, le Luxembourg membre fondateur de l’Union européenne et membre de l’OCDE est le seul à ne pas avoir fourni de données.

Etats membres

Convention OCDE signée

Données disponibles sur la corruption

Allemagne

yes

yes

Autriche

yes

yes

Belgique

yes

yes

Bulgarie

yes

yes

Chypre

no

 

Danemark

yes

yes

Espagne

yes

yes

Estonie

yes

yes

Finlande

yes

yes

France

yes

yes

Grèce

yes

yes

Hongrie

yes

yes

Ireland

yes

yes

Italie

yes

yes

Lettonie

no

 

Lituanie

no

 

Luxembourg

yes

no

Malte

no

 

Pays Pas

yes

yes

Pologne

yes

yes

Portugal

yes

yes

République tchèque

yes

yes

Roumanie

no

 

Royaume Uni

yes

yes

Slovaquie

yes

yes

Slovénie

yes

yes

Suède

yes

yes


Est-ce à dire qu’il n’y a pas de « corruption » au Luxembourg ? Certainement pas.

A ce stade du raisonnement il convient de rappeler la définition de la corruption :
- Selon Transparency International, la corruption est l’abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées. Cette définition met en exergue trois éléments constitutifs de la corruption : l’abus de pouvoir ; à des fins privées (donc y compris profitant aux proches de la personne abusant du pouvoir) ; la délégation (qui peut donc émaner du secteur privé comme du secteur public).
- Pour la Commission des communautés européennes, la corruption est liée à tout abus de pouvoir ou toute irrégularité commis dans un processus de décision en échange d'une incitation ou d'un avantage indu.
- Pour le Conseil de l’Europe, la Corruption est une rétribution illicite ou tout autre comportement à l’égard des personnes investies de responsabilité dans le secteur public ou privé, qui contrevient aux devoirs qu’elles en ont en vertu de leur statut d’agent d’Etat, d’employé du secteur privé, d’agent indépendant ou d’un autre rapport de cette nature et qui vise à procurer des avantages indus de quelque nature qu’ils soient, pour eux-mêmes ou pour un tiers”
De ces définitions seule celle du conseil de l’Europe évoque l’idée d’une rétribution, qui peut toutefois être en en nature (par exemple, échange de service).
Pour ce qui est du Luxembourg, l’absence de données est révélatrice d’une situation très préoccupante.

Le dernier Baromètre Mondial de la Corruption de la corruption établi par Transparence Internationale montre que 4% des personnes interrogées déclarent avoir versé un pot-de-vin au Luxembourg. Ce chiffre est en amélioration par rapport au précédent baromètre qui indiquait 6% mais il est très élevé surtout si l’on intègre une possible autocensure des sondés à la suite du baromètre précédent qui avait fait apparaître le Luxembourg dans le même quintile que la Russie.

Les chiffres d’autres pays de l’Union européenne signataires apportent un éclairage : on a 1% pour les Pays Bas, 2% pour l’Autriche et l’Espagne (C’est aussi le chiffre de l’Islande), 3% pour le Royaume Uni ou la Finlande ou encore 4% pour la Pologne, qui a pu fournir des données.

Le Luxembourg ne peut pas ne pas avoir de cas de corruption. Les causes de l’absence de données doivent en réalité être recherchée dans les mœurs d’affaires, et plus particulièrement dans ce qui est appelé localement le « système ».

Trois phénomènes simultanés dans le fonctionnement de la place luxembourgeoise empêchent la mise à nu de la corruption car une certaine corruption est ancrée dans les mœurs d’affaires : les réseaux, l’intimidation et la protection dévoyée de la réputation et de la vie privée.
- Si les réseaux existent partout, au Luxembourg, la petite taille et le fait que tout le monde se connaisse exacerbe l’effet pervers des réseaux pour favoriser l’abus de pouvoir et altérer les processus de décision.
- L’intimidation résulte aussi de la petite taille du pays. Elle concerne les salariés, qui ont un contrat de travail et craignent d’être « grillés » sur la place où tout le monde se connaît s’ils remontent des déviances du management. Mais elle concerne aussi les auditeurs externes, qui ont une relation commerciale avec l’audité, leur client, et craignent de perdre le client s’ils remontent des déviances du management (Cf. le faible nombre de déclarations de soupçon par les réviseurs, qui laisse songeur la cellule de renseignement financier (CRF) du parquet de Luxembourg.
- Enfin, la protection dévoyée de la réputation et de la vie privée conduit à hésiter à mettre en cause ou nommer les personnes physiques et morales responsables, qui ont dès lors une pérennité surprenante au Luxembourg exacerbée par la petite taille (Cf. par exemple les rapports et communiqués laconiques de la CSSF à opposer à la transparence de la FSA au Royaume-Uni).

Le traitement de l’affaire Madoff au Luxembourg est une parfaite illustration du fonctionnement du « système ».
- Les réseaux : Le dirigeant d’UBS/Luxalpha siégeait dans des commissions de la CSSF avec la direction de la CSSF et le Président de l’Institut des Réviseurs d’Entreprises, comme le montrent les rapports annuels: par exemple dans le Comité consultatif Anti-Blanchiment présidé par Jean-Nicolas Schaus ex dirigeant de la CSSF qui vient de prendre sa retraite, ou dans le Comité Banque, présidé par Arthur Philippe responsable notamment de la « «Surveillance générale ». Les grands cabinets d’avocats de la place siègent également dans les Comités de la CSSF qui contribuent à l’élaboration des normes
- L’intimidation : l’auditeur et l’audité personnes morales étaient et sont toujours membres de l’ABBL. L’audité a même rejoint l’auditeur puisque le dirigeant d’UBS/Luxalpha est devenu associé de son auditeur Ernst & Young (Communiqué de presse du 15 novembre 2007).
- La protection dévoyée de la réputation et de la vie privée: dans ses communiqués de presse sur l’affaire Madoff, la CSSF a mis du temps à nommer UBS. Le communiqué du 22 décembre 2008 fait silence. Le communiqué du 2 janvier 2009 fait silence. Le communiqué du 23 janvier 2009 fait silence. Ce n’est qu’à partir du communiqué du 6 février 2009 que le nom d’UBS est évoqué.

Le dernier communiqué de presse de la CSSF sur UBS en date du 27 mai 2009 n’est dès lors pas une surprise.
UBS a certes modifié ses procédures internes liées à la fonction de banque dépositaire, mais n’a pas été sanctionnée
La CSSF a admis de possibles clauses contractuelles valides et opposables susceptibles de prévenir une indemnisation
La CSSF a renvoyé à la justice la détermination des responsabilités encourues et des préjudices à indemniser.

Il faut ajouter à cela que le Ministre de la Justice Luc Frieden a évoqué début juin l’idée d’un arbitrage international. Mais cette idée d’arbitrage peut aussi laisser penser que le Luxembourg serait incapable en interne de dire le droit eu égard aux mises en cause, d’autant qu’il n’existe toujours pas de responsabilité pénale des personnes morales dans le droit positif.

L’ambition du LIGFI de renforcer pour le secteur financier mondial les pratiques et normes éthiques fondées sur des principes d’intégrité : la transparence, l’équité d’une part ; et d’autre part, sur le sens des responsabilités et de l’engagement parait bien dérisoire au vu de la pratique des affaires au Luxembourg.

Face au scepticisme suscité par le LIGFI, ce n’est pas ce qui semble une sorte de « Plan B » de promotion de la bonne image annoncé fièrement le 18 juin dernier par Luxembourg For Finance (l’agence de promotion), qui abusera les parties prenantes : l’« European Corporate Governance Institute » (ECGI) et l’Université du Luxembourg (uni.lu) ont en effet signé un accord en vue de la création à Luxembourg d’un nouvel organisme, la « European Corporate Governance Research Foundation » (ECGRF) pour mettre en œuvre le « cadre de Lecce » annoncé au dernier G8 i.e. les principes de propriété, intégrité et transparence.
Les personnes de contact Marco Becht, ECGI Executive Director, et André Prüm, doyen la Faculté de Droit, d’Économie et Finance de l’Université du Luxembourg se connaissaient de longue date étant intervenus dans les mêmes conférences (par exemple conférence organisée par la Fondation Edmond Israël en 2005 et conférence organisée conjointement par l'ILA (Institut Luxembourgeois des Administrateurs) et la Chambre de Commerce en 2007) et n’ont semble t-il jamais répudié les déviances et carences du centre financier luxembourgeois, autrement cela se saurait.

Jérôme Turquey Jérôme Turquey
Auditeur-conseil indépendant en éthique des affaires et risque de réputation
Chargé de cours en Master de Sciences criminelles sur les paradis financiers
j.turquey@wanadoo.fr
http://ethiquedesplaces.blogspirit.com


Mardi 7 Juillet 2009




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