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Vers la prise en compte de l’imprévision dans les contrats de droit privé ?

Proposition de loi du 21 juin 2011 visant à permettre la renégociation d’un contrat en cas de changements de circonstances imprévisibles durant son exécution


Faut-il procéder à la modification d’un contrat dans le cas où des évènements « imprévus » viennent bouleverser son équilibre et rendre son exécution très onéreuse pour l’une des parties ?

Jusqu’à aujourd’hui la réponse en droit privé est que seules les parties à ce contrat peuvent organiser, ensemble, l’adaptation du contrat dans ce type de situation. Aucune d’entre elles ne peut y être forcée. Si la théorie de l’imprévision existe depuis longtemps en droit administratif, elle n’a jamais été introduite en droit privé qui privilégie la sécurité des contrats sur le principe de la volonté souveraine des parties.

Il y a eu cependant ces dernières années plusieurs tentatives en ce sens, la plus récente étant une proposition de loi du 22 juin 2011. Or, aujourd’hui il semble plus probable que par le passé que ces tentatives puissent aboutir.

Le principe fondamental d’intangibilité des contrats en droit privé

En l’état actuel, le droit français n’autorise pas le juge à modifier ou adapter un contrat. En effet L’article 1134 du code civil dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

La jurisprudence dès 1876, dans l’arrêt canal de Craponne (Cass. Civ. 8 mars 1876) a décidé que même « dans les contrats à exécution successive il n’appartient pas aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qu’elles ont librement acceptées ».

Il y a quelques exceptions au caractère absolu du contrat et à l’absence de pouvoir du juge mais elles sont très circonscrites (comme, par exemple, le pouvoir du juge en matière de clause pénale).

Les cas particuliers

L’imprévision en droit administratif

La jurisprudence de droit administratif a introduit depuis l’arrêt Gaz de Bordeaux (CE 30 mars 1916) la théorie de l’imprévision qui impose à l’administration contractante l’obligation d’aider financièrement le cocontractant à exécuter le contrat lorsqu’un évènement imprévisible et étranger à la volonté des parties a provoqué un bouleversement de l’économie du contrat (à savoir lorsque le cocontractant ne peut plus faire face à ses obligations). Cette théorie est née de la préoccupation de satisfaire aux exigences du principe de continuité des services publics (pour éviter que le cocontractant ne puisse plus l’assurer). Son utilisation n’est pas restreinte aux concessions de services publics mais a été étendue à d’autres domaines et notamment aux marchés publics.

La réforme des procédures collectives

L'affaire « Cœur Défense » a soulevé la question d’un recours abusif à la procédure de sauvegarde pour contourner le principe d’intangibilité des contrats et pour échapper à ses obligations ou forcer la renégociation. La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 8 mars 2011 a répondu à cette allégation que « hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie, par ailleurs, de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à le conduire à la cessation des paiements ». (Lire l’article d’Antoine Adeline ).

Il est à noter que la procédure de sauvegarde, qui a été introduite par la réforme de la réglementation des procédures collectives en juillet 2005, a encore été assouplie par l’ordonnance du 18 décembre 2008, en permettant notamment un recours plus large à cette procédure. Désormais elle peut être demandée par un débiteur qui « sans être en cessation de paiement » justifie de « difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter » sans qu’il ait à démontrer que les difficultés sont de nature à conduire à la cessation de paiement.

Justifications de la proposition de loi de 2011

L’exposé des motifs de la proposition de loi justifie l’introduction dans le code civil de dispositions régissant « l’imprévision » par:
- La nécessité, dans le contexte économique de ces dernières années, de limiter les défaillances d’entreprises et donc de lutter contre l’accroissement du chômage
- Plus généralement, la nécessité de promouvoir d’avantage de justice par le rééquilibrage du contrat. C’est un débat très ancien que celui de l’équilibre entre la sécurité juridique et la justice ou l’équité.
- Une « normalisation » de la situation de la France par rapport à ses voisins européens.

Certains pays ont incorporé dans leur droit une théorie de l’imprévision (Grèce, Portugal, Italie, Allemagne).

Par ailleurs les règles Unidroit (article 6-21 à 23 version 2010) autorisent le juge à résoudre ou modifier le contrat en situation d’imprévision dénommée « hardship ».

Du coté du chantier du droit européen, la théorie a aussi été incorporée dans les Principes du droit européen du contrat (article 2-117 dans la version de 1995) qui sont des travaux préparatoires à un possible code européen des contrats.
- La suite logique de certains arrêts (et de modifications récentes en droit administratif).

Contexte jurisprudentiel et projets de reformes du droit des obligations

Jurisprudence

L'exposé des motifs de la proposition de loi fait référence à une jurisprudence qui aurait jeté les prémisses de l’introduction de la théorie de l’imprévision.

Il cite un certain nombre d’arrêts qui se fondent sur la notion de bonne foi dans l’exécution des contrats. En effet, la contrepartie de la souveraineté de la volonté se trouve dans un devoir de loyauté inscrit au même article 1134. Or, les tribunaux utilisent en général la bonne foi pour sanctionner une attitude déloyale, voire un abus de ses droits contractuels par un cocontractant. Les arrêts cités ont la particularité de prendre en compte des circonstances extérieures et d’une certaine façon « non prévues » pour apprécier la bonne foi du cocontractant. Dans une espèce (Cass. Com. 3 nov. 1992) il est reproché à un fournisseur de ne pas avoir accepté, suite aux changements de la réglementation sur les prix (il s’agit de la vente au détail de produits pétroliers), d’adapter le contrat d’approvisionnement exclusif de façon à permettre à son distributeur agréé d’établir des prix concurrentiels (notamment par rapport aux prix pratiqués par le fournisseur lui-même par ses autres canaux de distribution). Dans l’autre espèce (Cass. Com. 24 novembre 1998), il est reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les fournisseurs ont permis à leur agent d’établir des prix concurrentiels, compte tenu des difficultés résultant des ventes parallèles de produits venant de centrales d'achats.

Cependant, la jurisprudence sur la bonne foi reconnaît le principe selon lequel : si elle permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, « elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations » (Cass. Com 10 juillet 2007). Le juge ne peut donc pas en principe, demander ou imposer une adaptation du contrat, ni même une renégociation. En outre, il peut y avoir des espèces où malgré le changement de circonstances, il n’y a pas de mauvaise foi du cocontractant. Cette jurisprudence ne peut donc suffire à introduire la théorie de l’imprévision pour les contrats de droit privé.

La proposition de loi cite aussi l’arrêt du de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 juin 2010 (non publié au Bulletin) qui lui, repose sur un fondement différent. La Cour de cassation a reproché à la Cour d’appel d’avoir fait droit à la demande d’exécution forcée d’une prestation de maintenance facturée sur la base d’un forfait, sans avoir vérifié si « l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des métaux [...] et leur incidence sur celui des pièces de rechange n'avait pas eu pour effet » compte tenu du montant de ce forfait « de déséquilibrer l'économie générale du contrat telle que voulue par les parties lors de signature (presque 10 ans auparavant) [...] et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit » par le prestataire.

En faisant référence à la « contrepartie » et en visant l’article 1131 du code civil, cet arrêt se fonde sur la notion de « cause » et non sur celle de « bonne foi » pour justifier l’application de la théorie de l’imprévision. Le recours au concept de la « cause » soulève un certain nombre de questions et a donné lieu à débat doctrinal. En effet, l’existence ou non d’une « cause » justifiant la validité de l’engagement d’une partie, s’apprécie généralement au moment de la conclusion du contrat et non pendant son exécution (comme c’est le cas dans l’affaire en question). En outre et plus généralement, si l’imprévision se fondait sur la disparition de la cause, elle ne pourrait pas permettre le rééquilibrage du contrat mais seulement d’aboutir à sa nullité (voir cependant sur les questions soulevées dans le cadre du manquement à une obligation essentielle, notre article ). La proposition de loi n’a d’ailleurs pas repris ce fondement.

Projets de réforme du droit civil

Pour être complet il faut évoquer les projets de refonte complète de notre droit des obligations qui font tous mention d’un régime de l’imprévision.
Il s’agit d’une part de l’avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription du 22 septembre 2005 (le « projet Catala »), du projet de loi rédigé par le Professeur émérite François Terré (publié en 2008) et du projet de réforme sur lequel travaille la Chancellerie (la proposition de loi étant identique au projet de la Chancellerie dans sa version de février 2009).

Le projet Catala se distingue sur un certain nombre de points. Notamment, en privilégiant toujours l’autonomie de la volonté, il entend encourager dans un premier temps les parties à inclure une obligation contractuelle de renégociation (sur le principe que la meilleure solution est celle qui aura été négociée par les parties).

Le régime de l’imprévision de la proposition de loi

Elle prévoit de compléter l’article 1134 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :

« Si un changement de circonstances imprévisible, rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d’accord, procéder à l’adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Les critères d’applications :
- Des « circonstances imprévisibles ».
- Il n’est pas prévu, à la différence des principes Unidroit, que les circonstances « doivent échapper au contrôle de la partie lésée »
- rendant l’exécution « excessivement onéreuse » pour une partie
- « qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque »,

Le projet Catala quant à lui ne fait pas référence à « l’imprévision » mais se réfère plutôt aux cas où « par l’effet de circonstances, l’équilibre initial des prestations réciproques [est] perturbé au point que le contrat perde tout intérêt pour l’une d’entre [les parties] ». La perte de tout intérêt n’étant pas la perte de la cause mais un moyen de mesurer la « gravité » du déséquilibre.

Les conséquences :
- La partie qui subit l’imprévision peut demander une renégociation à son cocontractant
- Mais elle n’est pas libérée de ses obligations qu’elle doit continuer à exécuter durant la renégociation

Le contrat n’est donc pas suspendu comme se serait le cas s’il y a avait force majeure.
- En cas de refus ou d’échec de la renégociation, c’est au juge de résoudre la situation :
Le juge peut procéder à l’adaptation du contrat mais seulement, si les parties en sont d’accord.
Les parties n’ont donc pas l’obligation d’aboutir à un accord, et le juge ne peut pas modifier le contenu du contrat à la place des parties pour l’avenir (contrairement à ce qui était prévu dans le projet du professeur Terré).
Ce régime se distingue de celui de droit administratif dans lequel le cocontractant est en droit d’obtenir une indemnité (éventuellement déterminée par un juge).
A défaut le juge peut mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe.

C’est à ce niveau que le juge semble avoir la plus grande latitude. Le texte ne précise pas que le juge peut fixer des indemnités (par exemple en cas de refus de négociation ou en cas de rupture de négociation de mauvaise foi, comme c’est le cas dans le texte européen ou implicitement dans le rapport Catala) mais ne l’exclu pas non plus (à l’inverse du projet de la Chancellerie). Il se pourrait donc que si les parties ne sont pas forcées d’aboutir à un accord, elles seront tout le moins obligée de négocier de bonne foi !

En cela aussi ce régime est différent de celui de droit administratif au titre duquel, la résiliation peut être demandée si les « circonstances » se poursuivent dans le temps et sont alors assimilées à un cas de force majeure.

La Revue est une publication Squire Sanders | Avocats Paris |
www.ssd.com

Lundi 10 Octobre 2011




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