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Un rêve fou : une régulation financière intelligente

Depuis 2008 et la chute de Lehman Brothers, des efforts ont été entrepris dans le monde pour mieux encadrer la finance, pour réduire les effets de levier et augmenter les fonds propres des institutions financières, mais tout cela sans véritable cohésion, avec des différences considérables selon les pays. En particulier, l'application de la nouvelle réglementation prudentielle bancaire de 2012, Bâle III, est reportée sine die par les Etats-Unis. Alors, retour à la case départ pour la finance mondiale ?


Un rêve fou : une régulation financière intelligente
ParisTech Review. Où en sommes-nous dans le mouvement de régulation de la finance ?

Claude Bébéar. Il est important de rappeler avant toute chose que l’ampleur de la crise financière que nous avons connue à partir de 2008 justifiait un renforcement de la régulation financière. Des avancées significatives ont été obtenues : meilleure adéquation des pondérations en capital par rapport aux risques pris par les institutions financières, amélioration du système de supervision en Europe, etc. C’est un point important que nous rappelons dans le rapport de l’Institut Montaigne Comment concilier régulation financière et croissance – 20 propositions, paru en novembre dernier.

Mais, la finance étant devenue totalement internationale, la réglementation est extrêmement difficile à concevoir et surtout à appliquer si elle n’est pas totalement mondiale. Or créer une réglementation financière réellement mondiale relève de l’impossible. La nouvelle norme bancaire, dite Bâle III, en offre un exemple. Les Américains ont annoncé qu’ils ne l’appliqueraient pas dans un avenir prévisible. Dans ces conditions, si une banque accepte de se mettre sous les contraintes de Bâle III, elle se placera dans une situation concurrentielle défavorable face aux banques américaines. Un problème analogue est en train de se profiler pour la nouvelle réglementation des assurances, Solvabilité II.

Si les banques américaines n’appliquent pas Bâle III, en tireront-elles vraiment un avantage ou inspireront-elles au contraire de la méfiance aux acteurs économiques ?

Ce n’est pas être cynique que d’affirmer qu’elles en retireront un avantage considérable. Dans le monde actuel, ce qui compte, c’est la valeur pour l’actionnaire. Les acteurs de la finance jugent en général que les régulateurs prennent des précautions superfétatoires et excessives. Des banques moins capitalisées conviendront donc parfaitement aux investisseurs et aux emprunteurs. La vertu ne paiera pas, parce que cette vertu est mal évaluée et mal formulée par des régulateurs qui ne sont pas compétents.

Si le régulateur est incompétent, quel est le moteur moyen d’assurer la stabilité du système financier ?

Les régulateurs sont des comptables qui n’ont pas le sens du dynamisme des organisations et des entreprises. Ils ont une vue trop statique et superficielle. Telle entreprise faiblement capitalisée peut parfaitement posséder un potentiel humain et de marketing très élevé, alors qu’une autre, bien capitalisée au regard des normes prudentielles, s’effondrera en raison d’une mauvaise stratégie. Les régulateurs ne prennent en compte, au fond, que la capitalisation apparente. Ce qui compte, c’est la capitalisation réelle, les forces vives, le potentiel. L’investisseur est mieux affuté. Il sait découvrir et analyser, en fonction de la durée prévue de son investissement, les caractéristiques de l’entreprise qui comptent pour lui. Et puis les régulateurs ne peuvent pas réussir à contenir les aléas car ils se fondent sur des hypothèses pour le moins discutables, dont la validité n’est pas constante dans le temps. L’environnement peut changer brutalement et rendre ces hypothèses caduques.

Faut-il rétablir une sorte de Glass-Steagall Act, la loi américaine qui avait institué en 1933 l’incompatibilité, au sein d’un même établissement, entre le métier de banque de dépôt et celui de banque d’investissement ?

Séparer l’activité de crédit « classique » et les activités plus spéculatives, c’est une bonne idée qui va dans le sens de plus de sécurité. Mais là encore, s’il n’existe pas une réglementation uniforme à travers le monde, la concurrence s’en trouvera terriblement faussée. On ira dans les pays les plus complaisants pour réaliser telle ou telle opération.

Avant d’entrer dans le détail des mesures à prendre, il faut identifier la source du mal. L’ennemi fondamental de l’économie, c’est la spéculation. Or, toutes les règles actuelles de comptabilité sont court-termistes et favorisent donc la spéculation. Quand on pratique par exemple la méthode du « mark to market » (enregistrer, au jour le jour, la valeur d’un actif selon son prix de marché) et de la soi disant « juste valeur » (fair value), c’est-à-dire quand les actifs d’une société sont valorisés selon leur valeur de marché à la date de clôture du bilan, on encourage la spéculation.

S’il est composé d’actions, un jour donné, mon actif peut valoir un certain prix et le lendemain un autre prix parce que le marché aura évolué. Si je m’apprête à liquider ma société, le procédé peut m’intéresser mais pour une entreprise en vitesse de croisière, cette méthode comptable n’a pas d’intérêt car cette « fair value » ne traduit en rien le travail de développement réalisé ou en cours. Certains ont d’ailleurs envisagé de pratiquer une double comptabilité : la valeur de marché pour les entités que l’on souhaiterait vendre dans l’année et un autre système, moins volatil, pour le reste.

Mieux vaut une régulation imparfaite que pas de régulation du tout, non ?

Malheureusement, le régulateur protège toujours le système contre la crise précédente. C’est le syndrome de la ligne Maginot. Aux États-Unis, à la fin des années 80, nous avons vécu la crise des junk bonds (obligations « pourries ») mélangée à une crise immobilière. Soudain, les compagnies d’assurance ont été obligées par le régulateur, sous prétexte qu’elles investissent sur le long terme, de réduire brutalement de 30 % la valeur estimée de leurs actions et de leurs immeubles. Conséquence : nous avons cessé d’acheter des immeubles et des actions. Cette décision a fait décoller les fonds de placement qui, eux, se sont mis à acheter à tour de bras les immeubles et les actions délaissés par les assureurs. Les fonds étaient autorisés à faire du « mark to market » car ils avaient en face d’eux des spéculateurs de court terme. Voilà un cas où le régulateur a largement contribué à la crise suivante car il a mis actions et immeubles dans les mains des spéculateurs, alors que les assureurs auraient apporté à ces classes d’actifs une bien plus grande stabilité. Sous prétexte de contenir le danger spéculatif, le régulateur a remplacé des investisseurs avisés et prudents par des… spéculateurs.

Il a créé donc la crise suivante, celle des années 2000 ?

La crise financière de 2008 est due à une régulation financière aux logiques incohérentes et contradictoires qui a multiplié les erreurs en excluant de son champ les marchés les plus risqués qui se développaient sur des espaces de non régulation, en contournement de la régulation mise en place. Les accords de Bâle avaient pour objet de mettre en place des régulations prudentielles pour l’activité des banques en permettant de mieux contrôler les risques. Par la titrisation, les banques ont prétendu éliminer ce risque en le disséminant dans les marchés financiers non régulés, auprès d’opérateurs non régulés.

Les banques ont repris le risque en finançant les opérateurs non régulés et les opérations non régulées avec de très forts effets de levier à plusieurs niveaux. Le risque est ainsi devenu trop complexe pour une véritable évaluation, et il a perdu toute traçabilité. Il s’est ainsi concentré et a été réintégré dans l’activité des banques. Le régulateur a laissé masquer ces risques en permettant les produits structurés (SIV, structured investment vehicle).

À côté des régulateurs officiels, les agences de notation sont censées fournir au marché des informations fiables.

Les agences ont joué un rôle dévastateur pendant la crise. Tout d’abord, elles ont été incapables de l’anticiper. Ce n’est pas nouveau : déjà en 2001, Enron et Worldcom étaient notés en catégorie Investissement quelques jours avant leur faillite. Et puis les agences de notation ont une nette tendance à « surréagir » une fois que la crise est avérée. En multipliant les abaissements de notes du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne et de l’Italie en 2010 et 2011, les agences ont « mécaniquement » compliqué leurs émissions obligataires et fragilisé l’ensemble des acteurs économiques de ces pays. L’Europe s’est saisie de ce problème et tente d’encadrer l’activité des agences. Mais le vrai problème, c’est qu’en inscrivant progressivement la référence aux notations dans les réglementations financières, les régulateurs ont déresponsabilisé les investisseurs. Il est urgent de se « désintoxiquer » de la notation en la retirant des réglementations financières. C’est ce que nous indiquons dans l’étude de l’Institut Montaigne « Remettre la notation financière à sa juste place » publiée l’été dernier.

Il serait donc impossible d’organiser la finance mondiale ?

Aujourd’hui, le véritable risque est celui d’un excès de régulation inadaptée, conséquence de réponses législatives épidermiques à la crise. Noyer les établissements financiers sous une montagne de procédures inutiles et coûteuses n’éloignera pas le danger et n’aboutira qu’à restreindre le crédit. Il n’y a pas de martingale miraculeuse et définitive. Il faut que la régulation évolue et calibre son action à l’aune des situations. Au cas par cas. Quand le contexte est agité, il faut prendre des marges de précaution beaucoup plus importantes, or la régulation officielle ne reflète pas cette indispensable souplesse.

Si on supprime la supervision, le système financier est-il capable de s’autoréguler ?

Il faut des règles de bon sens mais il faut se méfier de la sécurité trompeuse qu’apporte l’obsession normative. L’enjeu est de gérer les bulles sans brider la croissance. Une entreprise « globale » qui possède des actifs et des passifs dans tous les pays, dont certains sont développés, d’autres émergents, d’autres en développement, comment peut-elle organiser sa comptabilité mondiale ? À une certaine époque, chez Axa, j’avais trois comptabilités : une européenne, une américaine, et même une australienne. Et selon la comptabilité utilisée, je parvenais à des résultats complètement différents, parfois opposés. En 1995, en comptabilité américaine, le groupe était en forte perte mais en comptabilité européenne, les bénéfices étaient confortables. L’année suivante, c’était le contraire. Où était la vérité de mon groupe ? Aux Etats-Unis, je perdais de l’argent car j’étais évalué à la valeur de marché du moment, qui pâtissait d’une baisse des tarifs entraînant une dépréciation de mes actifs. Cette perte était purement théorique puisque je ne vendais pas. Tout comme les « bénéfices » de 1996.

Le régulateur a tendance, après chaque crise, à imposer des normes nouvelles qui aboutissent à créer la crise suivante. Peut-on déjà, en 2013, imaginer ce que sera la prochaine crise ?

La crise des « subprime », qui a résulté au fond de la décision du président Clinton, dans les années 90, de permettre à chaque Américain d’acheter une maison, a éclaté dix ans plus tard quand le marché immobilier, adossé à des produits financiers toxiques, s’est effondré. Le monde s’est donc retrouvé avec à la fois des sommes énormes d’argent qui ne pouvaient plus s’investir dans ces produits interdits et des taux d’intérêts ramenés à des niveaux très faibles par les autorités financières pour favoriser la relance. Ce sont les conditions idéales pour que fleurisse l’irresponsabilité. Les acteurs n’ont plus de risque monétaire, ils vont donc chercher ailleurs ce risque et les rendements associés. C’est ainsi que depuis 2008, sont apparues ici et là des bulles immobilières, qui tôt ou tard éclateront. Comme l’argent se déplace sans contrainte, quand on tente de juguler une crise dans un pays, on crée les conditions pour qu’elle éclate dans un autre. C’est le paradoxe de la régulation.

Donc, puisqu’il est impossible d’éviter les crises, il faut les accompagner ?

Le rêve de tous les économistes, c’est de trouver l’instrument permettant de contourner toutes les crises. Mais c’est une idée folle. La seule méthode raisonnable, c’est d’anticiper les crises, quand on commence à en déceler les premiers signes. Modifier tout de suite les règles pour dégonfler la bulle naissante, au lieu de croire que l’on peut empêcher la bulle de se former. Mais la vérité, c’est que les crises sont inévitables.

Pour ce qui concerne la régulation financière, l’Europe est-elle un cas particulier ?

Mais pour les banques les nouvelles normes prudentielles bouleversent d’ores et déjà le modèle de financement de l’économie d’Europe continentale. Il faut rappeler ici que les modalités de financement de l’économie ne sont pas les mêmes en Europe que dans les pays anglo-saxons. La zone euro est marquée par le modèle « originate to hold » dans lequel les financements sont en vaste majorité intermédiés par les bilans bancaires. Aux Etats-Unis, c’est le modèle « originate to distribute » qui prédomine, fondé sur la titrisation massive par les banques des prêts qu’elles initient.

Avec quel effet sur la concurrence ?

Les banques américaines ne portent à leur bilan que 40 % des prêts aux ménages et entreprises contre 85 % en zone euro. L’application des ratios de liquidité est donc beaucoup plus contraignante pour les banques européennes et va les conduire à réduire fortement leur activité de crédit. Le nouveau cadre de régulation va favoriser l’adoption en Europe du modèle « originate to distribute », ce qui n’est pas le moindre de ses paradoxes !

S’agissant de « Solvabilité II » et des assurances, il faut rappeler ici qu’il s’agit d’une réglementation strictement européenne, qui ne s’appliquera nulle part ailleurs.

Le calendrier des ratios de solvabilité de Bâle III qui prévoyait une mise en œuvre étalée jusqu’en 2019 a été raccourci de six ans. Les compagnies d’assurances européennes ont également anticipé les ratios de Solvabilité II. Cette précipitation amplifie les effets de la réforme dans un contexte de stagnation économique. Aux États-Unis, la Fed a totalement écarté les ratios de liquidité de Bâle III et la loi Dodd-Franck, outre qu’elle comprend de nombreuses exemptions, connaît déjà un retard important dans son application.

Réagir à la crise par la fiscalité, comme c’est le cas en France, vous semble-t-il de bonne méthode ?

La France est dans une situation particulière : durcissement significatif de la fiscalité de l’épargne, particulièrement de l’épargne risquée et de long terme c’est-à-dire de la détention d’actions. L’imposition des dividendes s’est considérablement alourdie (la France est le pays de l’OCDE où ils sont désormais les plus taxés) et celle des plus-values est à la fois trop importante (42 % aujourd’hui) et trop complexe. Or, si les investisseurs institutionnels se retirent sous l’effet des évolutions prudentielles et si les épargnants individuels sont dissuadés de détenir des actions, qui financera l’économie ? Qui seront les investisseurs de long terme de nos entreprises ?

Claude Bébéar est Président d'honneur du Groupe AXA, président et fondateur de l'Institut Montaigne.
March 14th, 2013.


Vendredi 5 Avril 2013




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