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S'endetter à taux fixe ou à taux variable ?

Par Pascal Quiry et Yann Le Fur, auteurs du Vernimmen*


Pascal Quiry
Pascal Quiry
Il y a tout un monde entre la gestion du risque de change de l’entreprise et celle du risque de taux d’intérêt. La première fait le plus souvent l’objet d’une politique très encadrée, écrite et systématique de couverture pour protéger les marges et éviter de constater des pertes ou des gains comptables. A l’inverse, dans le domaine de la gestion des taux d’intérêt, l'empirisme règne, et la situation à un moment donné dépend beaucoup de l'accumulation au cours du temps de décisions ponctuelles. Le sujet est faussement simple et même diablement compliqué. Essayons donc de clarifier les idées !

D'abord, il convient de rappeler qu’un emprunt à taux voit sa valeur fluctuer dans le sens inverse des taux d’intérêt, conséquence logique du caractère fixe de sa rémunération annuelle. A l’inverse, la valeur d’un emprunt à taux variable est largement insensible aux variations des taux d’intérêt puisque l’ajustement aux conditions de marché se fait au niveau de son coupon qui est fonction du taux du marché du moment.

Par ailleurs, grâce aux techniques et produits disponibles pour la gestion des risques de taux d'intérêt , ce qui compte est moins la nature fixe ou variable du taux d'intérêt mentionné dans les contrats de prêts que la position résultante à la fois de des conditions de taux d'intérêt à l’origine et des instruments dérivés éventuellement achetés par l'entreprise pour modifier sa position initiale. Ainsi, une entreprise endettée à taux fixe pourra passer à une exposition à taux variable grâce à des swaps par exemple, sans avoir besoin de rembourser son emprunt à taux fixe pour en contracter un à taux variable.

Deviner les variations de taux d’intérêt ?

Pour savoir s'il faut s'endetter à taux fixe ou à taux variable, beaucoup se fondent sur leurs anticipations de l’évolution des taux d'intérêt. S'ils pensent que les taux d'intérêt vont monter, ils s'endettent à taux fixe ; s'ils pensent que les taux d'intérêt vont baisser ils s'endettent à taux variable, afin de profiter de la baisse des taux qu'ils anticipent. Et quand les taux auront baissé, si leurs anticipations se réalisent, ils basculeront à taux fixe, espérant se couvrir contre une inévitable remontée des taux d'intérêt.

Qu'on le veuille ou non, et au risque de choquer certains de nos lecteurs, ceci s'appelle de la spéculation . En effet, on n'obtiendra le résultat voulu – être protégé contre une hausse des taux ou bénéficier de leur baisse – que si les anticipations se concrétisent. A défaut, l'entreprise perd : celle qui s'est endettée à taux fixe en estimant que l'Euribor ne pouvait pas tomber plus bas que 2 % supporte une perte d'opportunité quand celui-ci tombe à 0,75 %. De même, celle qui s'est endettée à taux variable pour profiter d'une baisse supplémentaire des taux d'intérêt et qui les voit remonter subit une perte.

Un marché existe parce qu'il y a des intervenants qui ont des vues et/ou des contraintes différentes. Aussi Stanley Myint et Adi Shafir ont-t-ils établi les graphes suivants qui montrent bien des attitudes très différentes dans deux industries avec de copieux montants de dettes : les télécoms et les utilities :

S'endetter à taux fixe ou à taux variable ?
Proportion de la dette totale à taux fixe 2008 – Télécom

Source: Rapports annuels, Présentations aux investisseurs
Source: Rapports annuels, Présentations aux investisseurs
Proportion de la dette à taux fixe 2008 – Utilities

Les différences de politique sont aussi très fortes à l'intérieur d'un même secteur (Telia Sonera contre France Télécom, EDF contre EDP).

Se couvrir contre les variations des taux d’intérêt ?

D'autres, plus humbles quant à leurs capacités de deviner l'évolution future des taux d'intérêt, adoptent la règle suivante :

- s'endetter à taux fixe pour être sûr du coût de la ressource,
- placer à taux variable pour être sûr de ne pas réaliser de moins-values sur les excédents (temporaires) de trésorerie.

Sans le vouloir et sans le savoir ils spéculent eux aussi : la combinaison des ces deux positions perçues comme sans risque aboutit à une position fortement exposée à la hausse des taux. En effet, si les taux d'intérêt baissent cette position expose à des pertes d'opportunités sur les dettes (je suis endetté à 10 % par exemple alors que je ne payerais que du 6 % si je m’étais endetté à taux variable) et sur les placements (mon placement me rapporte du 6 % alors qu'il pourrait me rapporter du 10 % s'il avait été fait à taux fixe). Si les taux montent, étant endetté à taux fixe je gagne par rapport à l'être à taux variable. Je gagne aussi sur les placements puisque je ne supporte pas la perte, ayant placé à taux variable, que j'aurais subie si j'avais placé à taux fixe.

Notre lecteur trouvera peut être que nous forçons la dose en mettant sur un même pied pertes comptables et pertes d’opportunité. Les unes sont enregistrées dans le compte de résultat et « font mal », les autres ne se constatent qu’en annexe au mieux si la dette y est évaluée en valeur de marché. Si la comptabilité ne les met pas sur un pied d’égalité, par contre en finance, il n’y pas de doute, elles sont de même nature. Le trésorier le sait bien, lui qui s’acharne à ne laisser non placées que des sommes minimales et incompressibles, même si l’incurie qui consisterait à les laisser non placées pendant quelques jours ne se traduirait par aucune conséquence négative dans son compte de résultat.

Comme on le verra plus loin, s’endetter à taux fixe permet de connaître le coût comptable de sa dette sur la période, mais n’élimine pas le risque sur la valeur des capitaux propres. S’endetter à taux variable rend incertain le coût de l’endettement dans le compte de résultat mais élimine le risque sur la valeur des capitaux propres.

Bornons nous, à ce stade, à constater que la comptabilité joue un rôle important et peut arriver à modifier des décisions de gestion alors qu’elle ne devrait, en tout logique, que traduire une réalité économique sans l’influencer.

Raisonner en termes de coûts ?


On pourrait alors comparer en termes de coût, le coût de l'endettement à taux fixe et à taux variable. Ainsi aujourd'hui l'Euribor 3 mois est de 0,68 % alors que le taux swap 5 ans (pour payer un taux fixe) sur la même durée est de 2,71 %. Ceci parce que la courbe de taux est actuellement dans sa forme pentue la plus fréquente . Cette comparaison est toutefois insuffisante car effectuée uniquement à l'instant t ; or le taux variable par définition va varier ; sur toute la durée du crédit. Stanley Myint et Adi Shafir ont eu la bonne idée d'aller comparer d'un côté le taux fixe à chaque instant de janvier 1989 à janvier 2002 et la moyenne des taux variables sur les 7 ans après chaque instant (ce qui explique que leur travail s'arrête à 2002). Ils montrent que, sur cette période, dans 96 % des cas l'endettement à taux variable a été moins coûteux que l'endettement à taux fixe. Peut-on pour autant en déduire une loi générale que l’on pourrait appliquer dans le futur ? Peut être si l’on pense que la BCE, qui a pour mandat de garantir la stabilité des prix, ne baissera pas la garde et que l’on restera à l’avenir dans une période de faible inflation comme depuis le début des années 1990.

Le taux fixe (taux du swap) est en DEM avant 1998 et contre l’Euribor depuis.
Le taux fixe (taux du swap) est en DEM avant 1998 et contre l’Euribor depuis.

Par ailleurs, Stanley Myint et Adi Shafir montrent, sur la période 1989-2002, qu'il n'y a aucune corrélation entre l'écart à l'instant t entre le taux fixe 7 ans et le taux variable spot et l'écart obtenu sur la période du prêt entre le taux fixe obtenu à l'instant t et le taux variable obtenu sur la durée du prêt (7 ans). Autrement dit, la pente de la courbe des taux à l'instant t n'a donné, sur les 20 dernières années, aucune indication pour choisir entre être endetté à taux fixe ou à taux variable.

Raisonner en valeur

Mais plus fondamentalement, le raisonnement en termes de coût ne mène nulle part car il ignore le risque pris. Comme nous l'écrivons dès le premier chapitre du Vernimmen, seul un raisonnement en termes de valeur, synthèse entre des taux de rentabilité / taux d'intérêt et le risque, a une pertinence en finance. A défaut, on court le risque de la myopie !

Partons du principe que les taux d'intérêt montent lorsque la conjoncture économique est bonne parce que les autorités monétaires veulent lutter contre une résurgence potentielle de l'inflation ou qu'elles retirent des liquidités du système économique qu'elles avaient introduites dans une phase précédente. A l'inverse les taux d’intérêt baissent lorsque les autorités monétaires veulent stimuler l'activité économique qui montre des risques d'anémie.

Etre endetté à taux fixe signifie que, lorsque la conjoncture économique est médiocre pour ne pas dire mauvaise, la dette se revalorisera du fait de la baisse des taux, alors que la valeur de l'actif économique a de bonnes chances de s'affaisser du fait de l'anémie générale, en particulier pour des entreprises dans des secteurs cycliques : Sidérurgie, Chimie, Transportation, Finance, etc. Dès lors la valeur des capitaux propres, différence entre la valeur de l'actif économique et la valeur de l'endettement bancaire et financier net sera doublement affectée et donc sera très volatile. Si l’endettement avait été à taux variable, la valeur de la dette aurait été constante. Dès lors, l’impact des variations de la valeur de l’actif économique sur la valeur des capitaux propres auraient été moindre.

A l'inverse, en cas de bonne conjoncture économique et de montée des taux d'intérêt, la valeur de l'actif économique, en particulier des entreprises cycliques, a de bonnes chances de progresser (l'effet amélioration des flux compensant l'effet hausse des taux d'actualisation), la valeur de la dette à taux fixe baissera. Au total, la valeur des capitaux propres progressera plus que si l’entreprise s’était endettée à taux variable.

L'endettement à taux fixe a donc, par rapport à l'endettement à taux variable, pour effet d'accroître la volatilité des capitaux propres des entreprises, en particulier de celles qui sont cycliques. Ces dernières ont pu avoir le beurre et l’argent du beurre : s’endetter à taux variable réduit la volatilité de la valeur des capitaux propres et en même temps coûte moins cher ; en tous cas, a coûté moins cher historiquement. Par contre, les secteurs non cycliques (nous ne connaissons pas vraiment des secteurs contra cycliques à part des sociétés de restructuration des entreprises en faillite !) ont le choix parfois difficile entre l’appétit pour le risque (s’endetter à taux variable) et s’endetter à taux fixe qui historiquement a coûté plus cher. Ceci n'est pas rédhibitoire en soi mais n'est pas nécessairement ce que l'on pense spontanément, car trop souvent on ne s'interroge pas dans quel contexte économique peut survenir une hausse des taux. Il y a de très bonnes chances que cela se produise dans un contexte économique où les résultats sont à la hausse. La hausse des taux d'intérêt en est alors amortie.

Le cas d'une hausse des taux d'intérêt et d'une dégradation concomitante de la conjoncture économique est suffisamment rare (début des années 1980 pour tuer l'inflation, 1992 au moment de la crise de la livre sterling) et bref pour qu'il ne puisse pas être considéré comme un cas général.

Mais peut être notre lecteur voudra-t-il trouver un rôle dans ce domaine et fera-t-il comme Vodafone qui explique, dans son rapport annuel 2008, qu'il s'endette toujours à taux variable sauf quand le risque de fluctuation des taux d'intérêt est élevé ou quand les taux d'intérêt sont bas. Chasser le naturel …

Merci à Franck Bancel, Bruno Labrosse, Jean-Jacques Guiony, François Meunier et naturellement Stanley Myint qui nous ont permis d’enrichir cet article de leurs remarques.

Pascal Quiry, co-auteur du Vernimmen
www.vernimmen.net
www.vernimmen.com

Mercredi 16 Décembre 2009




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