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Reportage controversé de France 2 sur le Luxembourg : In medio stat virtus

Le reportage diffusé par France 2 sur le Luxembourg le 21 octobre dernier a été consternant sur le fond comme sur la forme car il a caricaturé de manière grossière et partiale le Luxembourg (tout le monde à retenu la mise en scène grotesque avec une machine à laver pour symboliser le blanchiment), sans se vouloir constructif. Le journaliste n'a en effet pas abordé avec sérénité les dysfonctionnements visibles en se référant aux sources publiques et officielles, voire semblait de manifeste avoir un parti pris de principe contre le Luxembourg, ce qui a éludé les questions de fond.


Les réactions indignées légitimes des Luxembourgeois (le Premier Ministre Juncker face à David Pujadas, la Chambre des Députés luxembourgeois…), de travailleurs frontaliers (en particuliers sur les blogs ou les forums) ou d’élus frontaliers de Lorraine (en particulier Patrick Luxembourger, maire de Terville et en charge des relations transfrontalières au sein de l'agglomération thionvilloise cité dans un edito du 23/10/2008 sur le site lesfrontaliers.lu) ne sont toutefois pas à la hauteur des enjeux et responsabilités.

Le fait que le Luxembourg fournisse des emplois à une région marquée par la crise de la sidérurgie ou la mine, ne saurait donner au Luxembourg une intouchabilité pour évoquer ses dysfonctionnements. Pas plus que son statut de membre fondateur de l’Union Européenne qui n’est pas sur la liste des pays non coopératifs de l’OCDE et dont l’évaluation aux recommandations du GAFI est conforme : ces listes ne veulent d’ailleurs pas dire grand-chose car il y a une marge entre l’existence de textes dans le droit positif et l’application effective liée à la culture du milieu des affaires.

Comme je l’ai déjà exposé (« La place financière Luxembourgeoise est-elle un paradis fiscal ? », CFO-news, 28 Mai 2007), n’en déplaise à un certains, le secret bancaire et les avantages fiscaux ne sont pas un problème en soi, même si ce sont des éléments du paradis fiscal. Tout dépend en revanche de l'usage qui en est fait, ce qui renvoie à la permissivité.

Quelle est aujourd'hui la situation du et au Luxembourg ?
Pour ce qui est du secret bancaire il n'a effectivement sans doute rien à voir avec la crise. Ce qui dérange en revanche, ce sont les propos récents du député Lucien Thiel. En tant qu'ancien président de l'ABBL (Association Banques & Banquiers Luxembourg) pendant plusieurs années, il a en effet déclaré juste après le début de l'affaire du Liechtenstein, engageant toute la place : "Ce n'est pas notre devoir de contrôler si le contribuable a été honnête" (L'essentiel, 27 février 2008). Ses propos ne semblent pas avoir été reprouvés.

Pour ce qui est des avantages fiscaux, tout dépend de l'impôt et/ou du profil du contribuable. Pour ce qui est de la France, il existe des zones fonctionnant comme un paradis fiscal sous l'angle de la fiscalité (les zones franches) et le pays a des liens privilégiés avec deux juridictions toujours listées par l'OCDE sur la liste contestée, à savoir Andorre (dont le président français est co-prince) et Monaco. Le critère fiscal est donc largement un faux débat et il est certainement injuste de stigmatiser le Luxembourg sur ce sujet.

Le problème crucial au Luxembourg est en réalité la permissivité, car un certain laxisme s'est substitué au pragmatisme (« Une réalité qui dérange », CFO-News, 3 Juillet 2007. Il s'ensuit des mises en causes récurrentes du Luxembourg dans des affaires internationales (dernière en date : affaire française pour contourner la convention OCDE contre la corruption via une société sise au Luxembourg : voir dépêche « Les commissions occultes de la DCN allaient toutes aux paradis » en date du 15 septembre 2008 sur le site de Transparence Internationale France).

Sans prétendre à l’exhaustivité sur les preuves tangibles de cette permissivité, quelques observations dans les sources publiques et officielles soulèvent des interrogations :
1) Des pseudo-professionnels continuent à pouvoir créer des sociétés en lien avec des juridictions contestées (BVI, Seychelles, etc.) sans être experts comptables ou réviseurs d'entreprises, c'est-à-dire sans être contrôlés par ces deux institutions dont les contrôles sont eux-mêmes perfectibles ? La question n'est pas nouvelle :
- Jeannot Krecké, actuel ministre de l’économie du pays, en a parlé il y a dix ans dans la suite de son rapport sur la fraude fiscale (Luxembourg Finance, N°28, 1998)
- l'ancien président de l'Ordre des Experts Comptables dans Paperjam sur le même thème (17 septembre 2004 et 20 mai 2005).
2) Des sociétés des BVI ou autres juridictions exotiques peuvent être commissaire de S.A. Elles ne sont pas contrôlées par les instances professionnelles luxembourgeoises (Ordre des Experts Comptables ou Institut des Réviseurs d’Entreprises) notamment quant au risque de blanchiment d’argent.
3) Il n’y a pas au Luxembourg de « centrale des bilans", dont les professionnels ne veulent pas.
4) Il n’y a pas au Luxembourg d’accès libre en ligne aux jugements de justice judiciaire.
5) La notion d'éthique est-elle absente du monde des affaires luxembourgeois, à commencer par la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprise) telle qu'elle est mise en œuvre au Luxembourg. La RSE au Luxembourg est sans éthique, limitée à des opérations de prestige par sponsoring ou dons : elle est une manière de réintégrer les externalités négatives des mauvais comportements.
6) Le Luxembourg traine pour mettre en œuvre les recommandations du GRECO et de l'OCDE en matière de lutte contre la corruption et notamment la responsabilité pénale des personnes morales.
7) La Commission de Surveillance du Secteur Financier, qui intervient par ailleurs pour la promotion de la place, ne communique pas les détails sur les professionnels qui ont fauté ? Ses homologues, suisses et surtout anglais, le font et cela a un effet assurément dissuasif.
8) Les professionnels qui ont eu un mauvais comportement (abus de bien social par exemple) retrouvent plus facilement une place que ceux qui appellent à la rigueur de comportement, qui eux sont frappés d'ostracisme.

On persiste au Luxembourg à ignorer les risques bien réels qui construisent l'image de "paradis fiscal" et menacent le business des fonds d'investissement au moins de manière collatéral, mais également la réputation des professionnels un minimum sérieux. Ces carences ne sauraient s’expliquer par le manque de moyens financiers du pays, qui trouve bien l'argent nécessaire pour sa promotion (LuxembourgForFinance par exemple) et sont d’autant plus incompréhensibles qu’il s’agit d’une petite juridiction de 2500 Km2 où l’action publique est plus facile que dans une juridiction plus grande

Une chose est certaine dans la remise en cause des paradis fiscaux, à laquelle souscrit le Luxembourg qui ne s'en considère pas un : si des places sont fermées ou boycottées, il va y avoir vase communiquant en faveur des places qui s'affirment « propres » comme le Luxembourg, alors même que des dysfonctionnements et carences y demeurent.

Dans ce contexte, ce qu'écrivait en 2001 Marc Gerges conserve toute son acuité : Le réflexe d'appeler à la solidarité nationale pour préserver la place financière des attaques de l'étranger- rendues possibles finalement par des manquements dans les structures de contrôle locales - ne sert en définitive à pas grand chose si les affaires sont soit couvertes par un silence de plomb, soit réduites de façon superficielles à des rancunes provenant de l'étranger dues à la jalousie de la réussite nationale. Il est certes établi que l'intérêt et les ramifications de la plupart des affaires rebondissant au Luxembourg se trouvent à l'étranger, pour la plupart du temps dans des pays détracteurs. Mais rien que le fait que ce soit régulièrement le Luxembourg qui est choisi pour effectuer des transactions douteuses devrait alerter les responsables politiques au plus haut degré" (Lëtzebuerger Land, 18 mai 2001).
Rien n’a changé.

Le Premier Ministre J-C. Juncker déclarait lors de son investiture pour la législature en cours (Déclaration du 4 août 2004) : "Nous voulons rester ce que nous sommes. Oui, nous voulons rester ce que nous sommes et pour cela, nous devons changer, nous adapter et évoluer. Le monde ne nous attend pas. Et nous ne devons pas attendre le monde. Nous devons aller à sa rencontre, autrement il nous écrase."
Je crains qu’il n’ait aujourd'hui raison.

Jérôme Turquey
Auditeur-conseil indépendant en éthique des affaires et risque de réputation
Chargé de cours sur les paradis financiers (Université et Ecole de Commerce)

www.ethiquedesplaces.blogspirit.com

Mardi 4 Novembre 2008




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