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RSE, que d’erreurs on fait en ton nom …

Analyse de l’ouvrage de l’Institut Montaigne « Intérêt général, Que peut l’entreprise ? » sous la direction de Julien Damon. Editions Les belles lettres.


Patrick d’Humières
Patrick d’Humières
L’imbrication croissante des grandes entreprises avec la société civile crée un enjeu pour elles, comme pour les Etats, qu’ils soient forts ou faibles. Confinée jusqu’ici à la bonne volonté des entrepreneurs ou à l’attention pressante des élus, la relation « business & society » prend une dimension cruciale dans le développement contemporain du fait de la criticité des enjeux collectifs et territoriaux ; elle suscite de ce fait un savoir et une pratique de plus en plus élaborée un peu partout dans le monde qui a donné naissance à la seule grande innovation récente dans le management, la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE ou CSR en anglais).

Ce concept est interprété et vécu de manière très diverse ici et là, chacun y projetant l’idée qu’il se fait du pouvoir entrepreneurial dans la cité ! Comme tous les phénomènes nouveaux, il faudra une à deux générations pour se l’approprier, d’autant que la vulgate managériale des trente glorieuses, nourrie par un marketing simpliste, tarde à comprendre la révolution sociétale en cours. Quelques dirigeants éclairés ont déjà préempté ce concept de RSE réclamé par les opinons et plus seulement par les mouvements revendicatifs et critiques, d’une façon souvent très personnelle. Comme le démontre l’ouvrage que l’Institut Montaigne consacre à ce sujet, partant de la relation entre l’entreprise et l‘intérêt général, les dirigeants, managers ou administrateurs, ont encore une grande difficulté à s’émanciper d’une approche idéologique de leur relation à la société : à l’Etat la chose publique et à l’entreprise le marché, avec un peu d’action publique quand elle ne peut pas faire autrement…. Cet archaïsme de la pensée est d’autant plus gênant que la réflexion académique, l’initiative de pionniers et surtout l’effort de normalisation d’organisations internationales, apporte désormais un cadre rationnel et économique à la RSE qui clarifie tout à fait son apport, à savoir une régulation négociée entre loi et marché, pour traiter des problématiques communes de « durabilité » du monde. C’est même devenu une discipline de la gestion, allant de l’analyse de la matérialité jusqu’à la théorie de la valeur partagée, en passant par le reporting extra-financier. C’est ce mouvement qu’on aurait aimé voir éclairé dans l’ouvrage de l’Institut Montaigne. Malheureusement, ce travail sincère et ouvert qui croise des points de vue de dirigeant et d’experts sur les « limites de la responsabilité d’entreprise », ce qu’elle devrait faire ou ne pas faire, passe à côté du sujet et rajoute la confusion des thèmes à la naïveté de l’approche : on n’y traite que de la question des frontières pour savoir jusqu’où l’entreprise doit « faire le bien pour faire des affaires », dans la pure tradition du paternalisme social ou de l’éthique individuelle des affaires supposée réguler des marchés purs et parfaits, sans y voir la dimension créatrice du sujet.

La raison de ce décalage, très ancrée dans la pensée française, tient à l’idée persistante qu’il existerait un intérêt général immanent dont la gestion, passée de l’autorité cléricale à la puissance politique, ne concerne pas les catégories commerçantes, suspectées de le détourner à leur avantage. C’est aussi le concept friedmanien bien connu, du chacun pour soi, qu’on a légitimé à l’aide de la philanthropie et qu’on veut faire perdurer avec une fausse idée de la RSE. Or dans toutes les démocraties, la théorie de l’intérêt général s’est laïcisée pour devenir plus clairement la question de l’intérêt public, local et global à la fois, formalisée à travers les parties prenantes concernées, pour satisfaire l’accès aux biens publics, d’une part et assurer sa régulation d’autre part. Et dans ce traitement des enjeux collectifs, l’entreprise qui est au cœur des équilibres sociaux, de la gestion du patrimoine naturel, de la création intellectuelle etc… est aussi une partie prenante, pleine et entière, ni moins ni plus que d’autres, en fonction de sa contribution positive et négative à la fois. Mais contrairement à une philosophie que partagent les traditions de gauche et de droite orthodoxes, la question n’est pas de demander à l’entreprise de se confondre avec la gestion publique, ni de s’y substituer, mais d’en assurer la part qui lui revient du fait de sa mission productive essentielle, ce qu’on appelle ses impacts. Contrairement à ce que laisse entendre l’ouvrage de l’Institut Montaigne, la RSE n’est pas du tout une bénévolence patronale ou une concession à des pressions insupportables : c’est la gestion des externalités objectives, liées à l’objet social de l’entreprise, qu’on ne veut plus laisser à la charge du salarié ou du contribuable dès lors qu’elles reviennent au consommateur et à l’actionnaire, parce qu’on a besoin d’une économie de marché fondée sur les justes prix des facteurs de production, dans des conditions d’échange équitables et soutenables, entre tous les acteurs.

De fait, la « vraie RSE » est à ne plus confondre avec « la RSE de papa », ou dite philanthropique ; c’est une intégration économique des impacts qui consiste à faire évoluer son modèle d’affaire pour qu’il ne nuise pas à aux intérêts collectifs, voire qu’il maximise la contribution positive, définition de base que la Commission européenne a reprise en 2011 pour inspirer sa politique en la matière. Cette intégration est soit volontaire, soit négociée et dans tous les cas elle procède d’une relation avec ses parties prenantes et s’appuie sur une mesure normée dont l’entreprise rend compte dans sa gouvernance et sa gestion des risques. La réflexion de l’Institut Montaigne n’évoque jamais cette équation économique qui remet en question les dogmes fiscaux et douaniers de l’OMC pour tenter de rééquilibrer les termes de l’échange en considérant l’intérêt des critères sociaux, environnementaux et de gouvernance, dits ESG. Bien entendu, à la manière américaine, la volonté de nombre de dirigeants est de faire perdurer un modèle non soutenable en « achetant la paix » par des redistributions a posteriori, sans grand lien avec les externalités et la non- durabilité de certaines démarches économiques. Certes, la « vraie RSE » n’empêche pas que l’entreprise s’implique dans une contribution locale positive, mais celle-ci doit toujours rester en lien avec l’objet social et dans une vision collaborative transparente qui fait sa caractéristique. On rentre ainsi dans une nouvelle logique du droit d’opérer, qui répond à la fois à une volonté supra-légale de respecter des normes universelles lorsque celles-ci ne sont pas bien formalisées ou sont mal appliquées, ce qu’on appelle les défaillances de gouvernance publique ou de marché, et à une logique économique de tendre vers une économie neutre et si possible positive pour la société civile et pas seulement pour les salariés et les actionnaires, afin d’entraîner tout son secteur dans le même sens. L’entreprise responsable cherche à concilier l’intérêt public et son intérêt, dans le sens du développement durable et non pas à se débarrasser des pressions en dispersant la manne pour « fluidifier » sa présence ou en faisant croire qu’elle est une institution sociale ou généreuse…

L’Institut Montaigne ne relève pas la puissance de ce nouveau modèle que la société civile, de crises en défiances et de revendications en innovations, fait émerger dans le paysage mondial des nouveaux acteurs entrepreneuriaux, lesquels se construisent une « valeur extra-financière » dont les études récentes disent qu’elle participe au moins à dix pour cent de la valeur économique globale des entreprises les plus engagées. Il n’a pas vu non plus que si la régulation publique des marchés, sujet du 21°siècle, est si laborieuse, c’est parce que les entreprises s’accrochent à des raisonnements défensifs et à des rentes qui obligent tôt ou tard le jeu collectif à se réorganiser de façon forcée ou conflictuelle pour dégager des optimum plus durables. Comme quoi il ne suffit pas d’être bien intentionnée pour être une entreprise conforme à l’intérêt public. Et de fait, ce n’est pas à l’entreprise de prendre à sa charge l’intérêt public : qu’elle se contente d’accomplir sa mission productive et créatrice en intégrant une vision partagée de cet intérêt public qui permette à tous les acteurs concernés de le respecter. La dimension sociétale est un champ neuf du management qui a de belles perspectives pédagogiques devant lui ! Il peut surtout rapporter des points de croissance en améliorant la confiance des acteurs, si on fait rentrer enfin ce logiciel dans les conseils d’administration qui sont encore les derniers à le découvrir.

Patrick d’Humières
www.institutrse.com

Vendredi 24 Mai 2013




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