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Plaidoyer pour la méfiance

L’effondrement de la confiance dans les marchés de capitaux est l’une des causes majeures de la plus grande crise que le système économique et financier international ait connu depuis des décennies.


Plaidoyer pour la méfiance
Tant le monde de la finance que certains secteurs de l’économie réelle sont fortement désorientés. Que ce soit les investisseurs, les hommes politiques ou l’opinion publique, plus personne ne croit aux prévisions ni aux modèles de gestion traditionnels des banques, des assurances et d’autres intermédiaires financiers. Alors comment restaurer la confiance dans une telle situation ?

La confiance est un élément essentiel au fonctionnement de l’économie et de la société. Imaginez une seconde : vous vous levez le matin et n’avez pas confiance en la qualité de l’eau qui vous sert à prendre votre douche et à faire votre café. Vous ouvrez votre porte-fenêtre pour profiter de la douceur du soleil matinal et doutez de la stabilité de votre balcon. Peu après, vous quittez votre maison et souhaitez traverser la rue au feu vert mais craignez que l’automobiliste que vous voyez arriver ne s’arrête pas au feu rouge, devant le passage piéton. La vie serait impensable. Notre société ne pourrait plus fonctionner. Il nous faudrait beaucoup trop d’énergie pour contrôler la sécurité et surmonter notre sentiment de méfiance. Nos lois, règles et conventions tacites ne peuvent réellement agir et produire leurs effets dans la société que si la confiance est basée sur un accord consensuel entre les individus.

La confiance présuppose la méfiance
Dans les systèmes basés uniquement sur la confiance, le passé l’emporte sur le présent et le futur. Cette tendance a pour effet de simplifier le monde et de minimiser l’importance des événements. On part du principe que les choses qui nous sont familières et qui ont été éprouvées demeureront telles quelles ou se reproduiront. Pourtant, l’évolution d’une société ou d’un système se caractérise par un développement non linéaire, marqué d’événements inattendus et de turbulences complexes. Cela est particulièrement vrai si l’on se réfère à l’état actuel de notre économie. La crise économique et financière actuelle s’explique toutefois en partie seulement par des facteurs techniques. Les éléments psychologiques sont aussi largement responsables des situations complexes dans lesquelles nous nous trouvons. L’homme est naturellement poussé à l’excès et à l’accroissement égoïste de ses revenus et de son patrimoine. Il a trop souvent une confiance aveugle en l’avenir, en pensant que si tout s’est bien passé une fois, tout se passera également bien les prochaines fois. Abusée, la confiance est alors soudainement mise en péril. C’est là qu’intervient l’élément régulateur, celui qui doit servir de contrepoids à la confiance: la part de méfiance salutaire.

Nous nous demandons après coup pourquoi nous ne nous sommes pas montrés plus méfiants et pourquoi un renversement possible de la vague de prospérité n’a jamais été évoqué. Mais la confiance à elle seule est confortable et conduit rapidement à l’inertie et à un fauxsemblant de sécurité. Afin de tenir en équilibre les éléments de l’imprévisibilité et de la faillibilité humaine, il est nécessaire d’allier confiance et méfiance. En ce moment, la balance penche entièrement du côté de la méfiance et de nouvelles mesures sont nécessaires de part et d’autre afin de restaurer la base de confiance. Qui fera alors le premier pas et de quelles mesures pourrait-il s’agir ?

Renforcement des contrôles au niveau des entreprises
On demande maintenant aux entreprises non seulement de restaurer la confiance mais aussi de renforcer les contrôles. Les processus internes contiennent souvent des systèmes de contrôle clairement définis occupant des départements entiers. Ces structures et mécanismes de contrôle effectifs ont toutefois souvent un degré d’abstraction et un niveau théorique rendant parfois le contrôle à la base de l’entreprise inefficace. Le controlling ne peut être qu’une simple fonction dans l’organigramme d’une société mais doit bénéficier d’une certaine reconnaissance et avoir sa place au sein de la hiérarchie afin de mettre le doigt sur les points faibles. La mise en place de tels processus est particulièrement difficile dans les entreprises internationales dotées d’une structure décentralisée
et dans lesquelles le contrôle sur place est lié à une charge de travail et des frais importants.

Dans le domaine de la présentation des comptes dont le but est de permettre une meilleure évaluation des risques, nous avons aujourd’hui atteint un degré de complexité tel que seuls des spécialistes peuvent encore conserver la vue d’ensemble de la situation d’une entreprise en matière de risques. L’objectif de la spécialisation, aussi bien dans la présentation des comptes que dans l’audit, a toujours été axé sur une meilleure prise en compte de la réalité et une identification précoce des risques, mais ce sont justement ces efforts qui risquent aujourd’hui de nous jouer des tours. Là où seuls des spécialistes de haut niveau sont aptes à interpréter et à comprendre la matière, la place réservée à une large compréhension et à la sensibilité aux risques et systèmes de contrôle devient limitée. Le rôle de l’audit, en tant qu’intermédiaire entre les entreprises, les actionnaires et l’opinion publique, doit consister à restaurer une base de confiance.

L’information provient davantage des collaborateurs que des livres comptables
Les moyens sont naturellement limités et de nouvelles solutions sont exigées. Pourtant, l’expérience montre que même après de grandes crises, le changement progressif des conditions-cadres réglementaires constitue à long terme une meilleure base que des mesures radicales prises en profondeur. D’une manière générale, les normes comptables internationales (IFRS) serviront de référence dans le monde. Même si les Etats-Unis continueront d’influencer grandement la comptabilité internationale, je suis convaincu que les normes internationales seront de plus en plus soumises à un ordre basé sur des principes.
Il y a donc de fortes chances pour que le bon sens revienne au centre de l’attention et de voir les produits structurés, dont l’objectif premier consiste à contourner les règles détaillées, perdre de leur importance. Durant la crise financière, les IFRS ont été largement remises en question et critiquées par les banques et les milieux politiques, car le principe de la «juste valeur», c’est-à-dire de l’évaluation de produits au-dessus de leur valeur de marché actuelle, également utilisé dans l’évaluation des produits financiers dérivés, a entraîné des amortissements massifs pour beaucoup d’instituts financiers. Cela est plus évident encore pour les entreprises industrielles de l’économie réelle. Soit des stocks sont disponibles et ont une certaine valeur sur le marché soit pas. Il doit en être de même pour les banques et leurs produits.

L’audit ne se limite plus, depuis longtemps déjà, à une simple rétrospective. Chaque position du bilan représente une indication sur le futur. L’évaluation en matière de continuité et de gestion du risque, si importante aujourd’hui, est également orientée vers le futur. Je plaide ici en faveur d’un contrôle effectif plus important à la base de l’entreprise. L’auditeur doit pouvoir avoir de nouveau le temps de se rendre dans les centres de production d’une entreprise afin de parler avec les employés et de se faire une impression concrète des affaires. Le contact humain est porteur de bien plus d’informations que les milliers de classeurs fédéraux d’un département financier ! Cela demande bien sûr beaucoup de temps et représente donc des coûts non négligeables. Pourtant c’est un investissement qui devrait être important pour l’entreprise et le conseil d’administration, ne serait-ce que par égard à la confiance et donc à la méfiance.

L’Etat dans le rôle de stabilisateur ?
Aujourd’hui, comme si souvent à l’issue d’une crise économique, c’est l’Etat qui veut et doit, par le biais de la réglementation, créer une nouvelle base pour permettre le retour à un climat de sécurité et de confiance. En tant que stabilisateur en périodes difficiles, l’Etat se doit de remettre le système sur les rails. De ce point de vue, la Suisse se fonde sur la puissance de ses autorités étatiques et réglementaires. De très nombreuses règles de la coexistence économique et privée sont structurées de manière décentralisée et fédéraliste ou dans le cadre d’organisations d’autorégulation. Les règles et les lois doivent donc évoluer pour accompagner la dynamique des marchés et tenir compte des nouveautés et des changements. Il ne faut toutefois pas oublier que plus de réglementation ne signifie pas forcément une meilleure réglementation. Nous devons aussi avoir le courage de nous débarrasser des règles surannées et inutiles et ne pas seulement créer des nouvelles directives. A l’heure actuelle, plusieurs Etats élaborent des programmes de relance conjoncturelle de grande envergure et conçoivent des plans de financement de dimensions inédites. Certes, ces décisions d’investissement étatiques peuvent tout à fait produire l’effet escompté, mais elles présentent également des risques: premièrement, le risque de ne profiter qu’à certaines branches, deuxièmement, le risque de ne pas avoir d’impact durable et, troisièmement, le risque de maintenir en vie des décisions de gestion stratégiques et des structures datant des années précédentes ou de les assainir sous la bannière de la crise financière. Afin de maintenir notre efficacité économique, nous devrions, dans de nombreux cas, emprunter le chemin difficile de l’assainissement structurel. Or de telles décisions sont impopulaires politiquement et douloureuses économiquement. Toutefois, on peut – et on doit – saisir la crise comme une chance, conformément au principe de la «destruction créatrice» avancé par l’économiste et politicien autrichien Joseph Alois Schumpeter. Selon lui, toute évolution économique repose sur le processus de la destruction créatrice. La destruction des anciennes structures permet de remettre à niveau les facteurs de production. La destruction n’est donc pas une défaillance systémique, mais s’avère nécessaire afin de permettre un nouvel ordre économique.

En temps de crise, les Etats tentent de rétablir la confiance dans le système en injectant d’importantes liquidités dans les marchés. Si, dans le meilleur des cas, la conjoncture devait remonter la pente prochainement, nous serions immédiatement confrontés au problème d’une inflation galopante. Les banques centrales devraient alors réagir au quart de tour et trouver le courage de réduire sans tarder les masses monétaires pour rendre les marchés moins liquides. Ce sera donc un exercice sur la corde raide. Il reste également à voir s’il est possible d’éteindre le feu par la poudre. A mon avis, le devoir revient aux gouvernements, aux acteurs économiques et aux entreprises privées de créer un champ de manoeuvre dans lequel l’économie peut se développer de manière
relativement libre. Trop de pays disposent aujourd’hui d’un cadre trop restrictif, ce qui empêche souvent les entreprises d’être souples et audacieuses. Un excès législatif et des partenaires sociaux (trop) puissants entravent la liberté entrepreneuriale et ankylosent notamment les grandes sociétés. C’est pourquoi je souhaite que bien des pays européens retrouvent un ordre économique un peu plus libre.

La responsabilité individuelle comme valeur centrale
La discussion actuelle autour des lois, des règles, des normes comptables et des systèmes de contrôle a tendance à oublier un facteur important: l’homme. Or le citoyen et le consommateur doivent davantage évaluer leurs actes et donc prendre plus de responsabilité en tant que public critique. Nous devons retrouver les vertus telles que l’ouverture d’esprit, l’honnêteté et la transparence. Le système ne pourra fonctionner et regagner la confiance de la population que si chacun d’entre nous y contribue. Pour créer une telle base, il faut une bonne évaluation des propres moyens (financiers), une approche libérale qui veut l’Etat à la disposition du citoyen en cas de besoin et non l’inverse, une attitude réaliste par rapport aux salaires et aux bonus, ainsi qu’un état d’esprit favorable aux changements, aux cultures étrangères et aux nouvelles idées issues d’une économie et d’une société en pleine mondialisation. Nous assisterons à des modifications à plusieurs niveaux. L’investment banking continuera ainsi de jouer un rôle important au sein du marché des capitaux et demeurera un élément-clé du circuit économique, mais perdra sa forme actuelle et son statut d’unité organisationnelle. Les entreprises industrielles devront revoir en détail leurs stratégies commerciales, leurs partenariats et leurs chaînes de production. Les valeurs comme la durabilité, la diversité et la responsabilité sociale se développeront main dans la main avec une amélioration de la confiance entre les divers acteurs du marché.

Il n’est cependant pas dit qu’un nouvel ordre économique pourra s’imposer. De même, il reste à voir si une nouvelle approche faisant la part des choses entre confiance appropriée et méfiance raisonnable pourra s’installer. Car l’homme oublie facilement et ne tire guère les leçons de l’histoire. Et parce que la prochaine bulle spéculative nous tentera à nouveau.

En somme, il nous faut une interaction harmonieuse entre Etat, régulateurs, entreprises et tout un chacun pour recréer un climat de confiance. Aucun des groupes d’intérêts ne peut et n’a le droit de placer son idéologie au-dessus de celle des autres. En fin de compte, le rouage ne pourra fonctionner sans la participation de toutes les composantes. Nous devons instaurer un équilibre qui ne peut être obtenu que par le respect de tous les credos et de tous les besoins, aussi divergents soient-ils. N’oublions toutefois pas qu’un équilibre n’est jamais stable et qu’il peut basculer très facilement. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes qu’au début d’un processus douloureux. La perspective de créer un système économique corrigé de ces nombreuses irrégularités et exagérations me rend toutefois optimiste, bien que nous ayons encore de nombreux défis à mener à bien. Je suis par ailleurs convaincu d’une chose: si nous nous laissons guider davantage par notre bon sens, c’est-à-dire que nous nous fondons sur un équilibre sain entre confiance et méfiance, nous pourrons, nous et les générations futures, réaliser de grandes choses.

Auteur : Roger Neininger, Head of Audit désigné de KPMG Suisse
Roger Neininger (49), expert-comptable diplômé, est au service de KPMG depuis 1984 et associé depuis 1994. Au 1er juin 2009, il rejoindra la Direction
générale de KPMG Suisse, en tant que responsable de l’audit, et deviendra membre de l’Audit Leadership Team de KPMG Europe LLP. Marié et père de six enfants, Roger Neininger vit à Rifferswil.

www.kpmg.ch

Dimanche 17 Mai 2009




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