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Payer pour prêter : c'est fou !

Plus les semaines passent, plus les signes probants de bulle financière sur les marchés boursiers et obligataires s'accumulent. Et ce dans l'indifférence quasi-générale. Normal : les bulles ne sont reconnues qu'après avoir explosé… Au cours de la semaine écoulée, trois nouveaux signaux de ce type se sont produits.


Marc Touati
Marc Touati
Primo, en dépit du ralentissement aggravé de l'activité aux Etats-Unis et en Chine, les grands indices boursiers ont continué de progresser en toute tranquillité, obérant complétement que leur flambée commence vraiment à se déconnecter de la réalité économique mondiale.

Secundo, dans une dizaine de pays européens, les Etats peuvent désormais emprunter à des taux négatifs. Autrement dit, les investisseurs acceptent désormais de payer pour prêter leur agent à des Etats surendettés. Si, à la rigueur, ce comportement pourrait se comprendre dans le cas de l'Allemagne ou de la Suisse (quoique…), il apparaît complètement absurde dans les cas de la France ou encore de l'Espagne et ce d'autant que cette anomalie concerne de plus en plus souvent des échéances à moyen et long terme : dix ans pour la Suisse, neuf ans pour l'Allemagne et jusqu'à six ans pour la France et pour l'Irlande ! L'atteinte d'un taux négatif en Espagne à l'échéance de six mois alors que des élections déterminantes et à haut risque s'y produiront d'ici là est tout autant déconcertante.

Tertio, en dépit de ces « énormités », le Président de la BCE n'a pas hésité à déclarer qu'il n'existait pas de bulle obligataire en Europe. En d'autres termes, « Super Mario » Draghi est, lui aussi, tombé dans l'aveuglement collectif et participe donc par là même à alimenter les bulles financières qu'il refuse de voir.

Face à cette déclaration détonante, une question s'impose : pourquoi un homme aussi pragmatique et qui a sauvé la zone euro à de multiples reprises, refuse-t-il de voir la réalité en face ? Est-ce parce qu'il a été émoustillé par son arrosage de confetti ? Certainement pas ? Est-ce parce qu'il a peur de déclencher une panique sur les marchés ? Peut-être, mais c'est justement son rôle de prévenir les investisseurs et les citoyens des dangers environnants. On se souvient par exemple qu'en pleine bulle Internet, au cours d'une période où quasiment personne n'osait dire qu'il fallait alléger ses positions sur les marchés actions et notamment les valeurs technologiques (en dépit d'une survalorisation évidente), Alan Greenspan montait régulièrement au créneau pour évoquer une « exubérance irrationnelle », ce qui marqua d'ailleurs en partie le début de la fin de la bulle financière de l'époque.

D'où une dernière réponse possible au comportement étrange de Mario Draghi : peut-être a-t-il raison. Peut-être que la flambée des marchés boursiers et obligataires est normale. Peut-être que la négativité des taux d'intérêt des obligations d'Etats surendettés et qui refusent de réduire drastiquement leur déficit public (à l'image de la France) est logique...

Avouons que cela fait beaucoup de « peut-être ». Si nous avons donc toujours salué et soutenu jusqu'à présent le travail du Président Draghi, nous sommes cette fois-ci contraints de manifester notre réprobation. Oui, M. « Super Mario », il y a bien une bulle sur les marchés financiers et en particulier obligataires. Votre refus de l'admettre est d'ailleurs la preuve que la bulle est bien plus grave que prévu. Non, des taux d'intérêt négatifs des obligations de l'Etat français ou irlandais à six ans ne sont pas normaux.

Pour le comprendre, il suffit simplement de se rappeler le principe de la formation des taux d'intérêt à long terme. Théoriquement, ces derniers correspondent effectivement aux taux d'intérêt à court terme auxquels on ajoute deux types de composants. Primo, le coût d'opportunité du prêt (c'est-à-dire du renoncement de ses liquidités à court terme, ce coût étant positivement corrélé à l'échéance du prêt : plus on prête longtemps, plus ce coût augmente). Secundo, des primes de risque. Ces dernières sont notamment relatives aux perspectives d'inflation, de croissance, de déficit public et à la crédibilité des Etats. Aujourd'hui, si la prime de risque liée à l'inflation est négative, celle de l'activité économique est neutre et celle des déficits publics est nettement positive. De plus, si la déflation est aujourd'hui la norme, le retour de l'inflation paraît inévitable à moyen terme. Dans ce cadre, le niveau théorique du taux d'intérêt à dix ans des obligations l'Etat français se situe autour des 2 %. C'est dire l'ampleur de la bulle.

Certes, la faiblesse actuelle des taux longs peut en partie se justifier par les liquidités abondantes et gratuites fournies par la BCE. Mais là aussi, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? En effet, en achetant des obligations d'Etat, les investisseurs prennent des risques élevés mais ne reçoivent que des rendements faibles. Cela affecte d'ailleurs négativement le compte d'exploitation de beaucoup d'institutions financières. Nous assistons là à la réciproque de la crise des subprimes. En pire, car à l'époque les risques étaient élevés mais les rendements aussi. Aujourd'hui, nous n'avons ni le beurre, ni l'argent du beurre et en plus il faut payer. Encore plus grave, lorsque les taux longs remonteront, les moins-values obligataires grèveront les résultats des banques, compagnies d'assurance et autres caisses de retraite, qui auront alors bien du mal à assainir leurs comptes, voire à éviter la faillite.

« Qu'à cela ne tienne ! » diront les partisans de la bulle, rappelant le fameux adage « les marchés ont toujours raison ». Seulement voilà, ils ont toujours raison à l'instant t, mais ratent souvent le virage du retournement. Cela s'observe malheureusement dans toutes les phases de bulle, expliquant par là même que la majorité des prévisionnistes et des investisseurs ne parvient pas à anticiper l'avènement des crises. Cela s'est observé en 2000-2001, en 2007-2008 et s'observe de nouveau aujourd'hui.

A ce stade, il ne s'agit donc plus de prévisions économiques et financières mais simplement de bon sens. Dommage que les dirigeants monétaires et financiers de la planète, y compris « Super Mario », n'aient pas le courage de l'admettre.

Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com


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Lundi 20 Avril 2015




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