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Mega procédure : responsabilité des hébergeurs, regards croisés France / États-Unis

S’il y a bien un évènement qui a attiré l’attention des internautes, c’est celui de la fermeture du site d’hébergement et de téléchargement le plus populaire au monde et l’arrestation quelque peu rocambolesque de ses dirigeants en début d’année.


Ces actions sont fondées sur la protection du droit d’auteur. En effet, il s’agit de la question aujourd’hui récurrente de la protection des oeuvres audiovisuelles et musicales lorsqu’elles sont mises à la disposition du public sur ces sites sans l’autorisation de leur(s) propriétaire(s) et surtout sans qu’il(s) reçoive(nt) la rémunération à laquelle il(s) aurai(en)t pourtant droit.

Sans nous attarder sur les particularités des accusations contre le site web en cause ni sur les éléments qui ont résulté de l’enquête du FBI, il est intéressant de rappeler quelle est la réglementation en question.

1. Les sites sont-ils illicites ?

En raison de la présentation qu’en a fait la presse en parlant de « sites illicites », la première question qui se pose est de savoir s’il y a une responsabilité des sites de téléchargement et de partage de contenu du seul fait que les internautes s’en servent pour partager un contenu illicite ou un contenu qui est la propriété d’autrui.

La réponse aux États-Unis comme en France (voire en Europe) est négative. Les sites ne sont pas « illicites » en eux même.

En France, cette question a été confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt Snep c/ Google France, Google Inc, précisant que « i[l’échange de fichiers contenant des oeuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites ; […] c’est l’utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite ]i»[1].

2. Dans quel cas les sites sont ils responsables ?

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, si le site est qualifié d’hébergeur, à savoir de pur intermédiaire qui, en pratique, n’a pas connaissance du contenu hébergé ou échangé (et n’a pas vocation à le connaître), il n’est pas non plus responsable de ce contenu. En revanche il a l’obligation d’agir ou de réagir s’il a connaissance d’un contenu illicite.

Aux USA
En droit américain, le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) adopté en 1998 a introduit un système qui limite la responsabilité des hébergeurs : ils sont exonérés de leur responsabilité s’ils procèdent à la suppression ou bloquent l’accès au contenu illicite dès qu’ils sont avertis de l’existence dudit contenu.

Pour résumer dans les grandes lignes, ce qui est notamment reproché au site en cause, c’est de ne pas avoir supprimé de façon automatique et rapide l’accès aux fichiers piratés (alors même qu’il a été procédé de la sorte pour les fichiers pédopornographiques ou de propagande terroriste). L’accusation va bien sûr beaucoup plus loin sur la question de la mauvaise foi du site.

En France
La réglementation a pour fondement la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique qui a été transposée en France par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite « pour la confiance dans l’économie numérique » (« LCEN »).

Après une période d’hésitation, la jurisprudence française a considéré en 2011 qu’un site Internet de partage de vidéos tel que www.dailymotion.com, [2] devait être qualifié de fournisseur d’hébergement et donc être soumis au régime de responsabilité prévu à l’article 6 de la LCEN.

Si l’on s’en tient aux aspects liés à la protection de la propriété intellectuelle, le système prévu par le DMCA est relativement similaire au système d’exonération de responsabilité des fournisseurs d’hébergement prévu en France par les articles 6 I- 2) et 6 I-3) de la LCEN.

En effet, en France, les fournisseurs d’hébergement :
- ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils traitent ou stockent, et
- leur responsabilité civile ou pénale ne peut être engagée « du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ».

Dès lors qu’une notification identifiant clairement les contenus litigieux est adressée au fournisseur d’hébergement au sens de l’article 6 I- 5) de la LCEN, ce dernier est présumé avoir eu connaissance du caractère manifestement illicite dudit contenu et doit procéder à la suppression ou au blocage de l’accès aux contenus illicites sous peine de voir sa responsabilité civile ou pénale engagée.

La question est alors de savoir si l’hébergeur est en mesure de déterminer si le contenu litigieux est réellement illicite, et s’il lui est possible de ne pas procéder au retrait d’un contenu litigieux au motif qu’il n’est pas avéré que ce contenu soit véritablement illicite.

Cette question a été soumise au Conseil Constitutionnel qui a jugé dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 que les dispositions de la LCEN « ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge ».

Aujourd’hui le débat de la responsabilité de l’hébergeur quant au contenu semble donc s’être déplacé sur l’appréciation du contenu « manifestement illicite » ou non. On peut s’interroger sur l’éventuelle responsabilité d’un hébergeur (que ce soit envers la personne ayant allégué la violation de son droit d’auteur ou la personne voulant partager le contenu mis en ligne) si cette évaluation est grossièrement erronée du point de vue d’ « un opérateur économique diligent ».

Pour autant il ne semble pas possible d’utiliser pour cette appréciation la décision du TGI de Paris prise en référé sur la question du caractère manifestement illicite d’un blog. Le TGI de Paris[3], interrogé sur la question du caractère diffamatoire de propos mis en ligne sur un blog, a considéré que seul un juge pouvait décider du caractère manifestement illicite du contenu sauf dans les cas d’apologie des crimes contre l’humanité, d’incitation à la haine raciale, de pédopornographie, d’incitation à la violence ou en cas d’atteinte grave à la dignité humaine.

Au niveau européen, la Cour de justice de l’Union Européenne n’exige rien de tel. Dans un arrêt L’Oréal SA et autres contre eBay International AG et autres rendu le 12 juillet 2011 par la grande chambre, la cour considère que même « i[si une notification ne saurait, certes, automatiquement écarter le bénéfice de l’exonération de responsabilité [.. ], étant donné que des notifications d’activités ou d’informations prétendument illicites peuvent se révéler insuffisamment précises et étayées, il n’en reste pas moins qu’elle constitue, en règle générale, un élément dont le juge national doit tenir compte pour apprécier, eu égard aux informations ainsi transmises à l’exploitant, la réalité de la connaissance par celui-ci de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité ]i».

Il reste donc en France un débat et une zone d’incertitude sur le caractère manifestement illicite, et au niveau européen sur la « connaissance réelle » du caractère illicite du contenu. C’est certainement un point qui devrait donner lieu à jurisprudence…

[1] Cour d’appel de Paris, Pôle 1, 3e ch., 3 mai 2011, Snep / Google France, Google Inc.
[2] Cass., Civ. 1ère, 17 février 2011, n° 09-67.896
[3] TGI Paris, réf., 20 octobre 2010, Alexandre de B. / Sté JFG Networksn n° 10/58701.

La Revue est une publication Squire Sanders | Avocats Paris
www.ssd.com

Mardi 6 Mars 2012




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