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Les vrais enjeux de la transparence

PRIVATE EQUITY. L’UE débat d’une directive sur les investissements alternatifs. Son contenu est préoccupant pour la place financière suisse


Cyril Demaria
Cyril Demaria
La Présidence espagnole de l’Union européenne a renforcé la semaine dernière le projet de Directive sur les gérants de fonds alternatifs (AIFM). La disposition controversée (article 35), supprimée précédemment par la présidence suédoise, interdirait aux investisseurs européens d’effectuer des placements dans des fonds hors UE. Ceci pourrait dramatiquement affecter la Suisse qui accueille, selon la Swiss Private Equity and Corporate Finance Association, 25% des capitaux internationaux placés en fonds de fonds de private equity.

Le ton était déjà monté dans le débat acharné entre les partisans et les opposants du projet en 2009. La FSA britannique a qualifié les gérants d’»arrogants» après que Jon Moulton, Président du fonds de LBO Better Capital, eut déclaré que les niveaux de réglementation actuels confinaient à la «maladie mental» lors d’une conférence à Berlin. Introduite par la Commission européenne sans concertation préalable avec les parties prenantes, la Directive AIFM devrait faire l’objet d’un vote en juillet et entrer en vigueur en 2012.

Ce nouveau cadre réglementaire est d’autant moins compris et accepté par les gérants de fonds alternatifs aujourd’hui à la tête de 2.000 milliards d’euros qu’il vise des acteurs notoirement irresponsables de la crise de 2007-2009. Les gérants de hedge funds (1500 milliards d’euros sous gestion) sont les principaux visés, mais ils n’ont pas créé de risque systémique (à la différence du LTCM en 1998) malgré leurs pertes.

Le private equity est lui aussi visé, et subira les coûts d’adaptation les plus élevés. Les gérants avec moins de 500 millions d’euros sous gestion (la profession demande de relever ce plafond à un milliard) et imposant une période de lock-up de cinq ans minimum, c’est-à-dire une grande proportion des gérants de capital-risque et de petit-moyen LBO, seraient exclus de cette réglementation. Ceci est d’autant plus nécessaire qu’il est illogique de demander par exemple à des gérants de fonds de capital-risque non-européens, métier par définition local, de s’immatriculer en Europe pour lever des fonds.

Les gérants de grands LBO sont en revanche assurés d’être touchés, ce qui explique leur virulence. Ces acteurs avaient notamment poussé l’industrie à adopter la fair market value pour évaluer leurs portefeuilles en temps réel, et faciliter leurs levées de fonds, avant de revenir sur leurs positions pendant la crise. Ce sont eux qui ont soulevé le plus de critiques quant à leurs stratégies d’investissement centrées sur de forts effets de levier d’acquisitions et la rotation particulièrement rapide de leurs lignes de portefeuille.

La Directive AIFM pourrait donc creuser un peu plus le fossé entre les tenants du grand et mega LBO d’une part; et du capital-risque, capital-développement et petit/moyen LBO de l’autre. Des tensions étaient apparues lors des tentatives de requalification fiscale de la commission de performance des gérants (carried interest) en revenus classiques plutôt qu’en profit à moyen-long terme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en 2006-2007. Ces tensions avaient résulté en une réorganisation de l’EVCA (la European Private Equity and Venture Capital Association) en 2006 en trois «chapitre»: capital-risque, petitmoyen LBO et gros LBO. L’unité de la profession fut maintenue à grand peine.

Les arguments des opposants à la Directive ne sont pas toujours convaincants. L’obtention de l’accord du régulateur pour créer les fonds est déjà souple dans certaines juridictions européennes. L’industrie des fonds traditionnels s’est habituée à passer par le Luxembourg pour être conforme à la Directive UCITS et satisfaire aux critères européens. Il est probable que, s’agissant d’une Directive, les transpositions nationales soient plus ou moins strictes et détaillées. La Directive pourrait intensifier la concurrence des différentes juridictions intra-UE, notamment avec l’arrivée de Malte, Chypre et d’autres juridictions. Les gérants de private equity pourraient adapter le système de structures écran («blockers» ou «finders») qui existent déjà pour des raisons fiscales dans certains tats tels que l’Allemagne. L’attractivité du Liechtenstein (à la fois on et off shore dans l’UE) s’en trouverait renforcée pour les gérants suisses. Devoir capitaliser les sociétés de gestion à hauteur de 125.000 euros semble relativement pertinent, d’autant que les gérants doivent capitaliser systématiquement les fonds qu’ils lancent sur leurs propres deniers à hauteur de 1% minimum.

L’amélioration de la transparence en private equity est attendue et revendiquée par les souscripteurs - et pas qu’en Europe, comme cela fut prouvé par les procès retentissants aux Etats-Unis et la jurisprudence CalPERS vs Mercury News. Néanmoins, les investisseurs veulent une transparence sur les frais et le fonctionnement du secteur, et non sur les portefeuilles et leurs valorisations. Or, le texte reprend des méthodes déjà utilisées par ailleurs et ayant démontré leur inefficacité: le recours à un tiers certificateur pour établir la valeur des portefeuilles. Qu’il soit auditeur ou agence de rating, ce tiers est une source de coûts et s’avère inefficace. L’AIFM ne dérogera pas à la règle. Quant aux dépositaires, déjà largement utilisés sur une base volontaire, leur rôle se borne à celui d’une chambre de compensation privée, rien de plus. La Directive risque donc d’être particulièrement coûteuse pour un bénéfice minime. Charles River Associates et la FSA ont estimé le coût d’adaptation et les coûts récurrents respectivement à 3,2 milliards et 311 millions d’euros pour le private equity. Les fonds n’étant que des intermédiaires, cela signifie que ces coûts seront transférés aux investisseurs, à savoir les caisses de retraites et autres investisseurs institutionnels. On comprend dès lors que les institutionnels soient critiques: non seulement leur univers d’investissements va se réduire car certains gérants de private equity resteront hors de l’UE - 35% pour le LBO contre 19% pour le capitalrisque selon une étude de Charles Rivers Associates/FSA en octobre 2009, mais les coûts d’adaptation (voir tableau) leur seront intégralement répercutés quoi qu’il en soit. Les estimations de pertes liées à l’AIFM pour les caisses de retraites européennes sont de 1,4 milliards d’euros par an, ce qui correspondrait à une augmentation de 6% des cotisations annuelles d’après les caisses de retraites néerlandaises.

Les vrais enjeux de la transparence

Cyril Demaria
Passionné par la finance et l’innovation technologique, Cyril a développé une philosophie « hands on », comme analyste dans un fonds de capital-risque transatlantique à San Francisco et à Paris, puis grâce à ses expériences opérationnelles et en tant que fondateur de
Corporate Development Consulting , un cabinet de conseil en private equity. Il a contribué au développement de plusieurs jeunes pousses (Internet, télécommunications et logiciel). Cyril fut portfolio manager au sein du fonds de fonds d'un groupe d'assurance français, et est actuellement associate dans un fonds de fonds basé à Zürich.

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, d’Etudes Approfondies (DEA) en Géopolitique, d’Etudes Supérieures Spécialisées (DESS) en Droit Européen des Affaires, et d’HEC (spécialisation Entrepreneurs). Cyril est l'auteur de
Développement durable et finance (Maxima, 2004), le premier livre en français analysant le processus d'investissement selon des critères de développement durable. Il est aussi l'auteur de Introduction au private equity (Banque Editeur, 2006), et de "Profession business angel" (Banque Editeur, 2008).
 
Cyril Demaria
+41.79.813.86.49

Lundi 22 Mars 2010




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