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Les médias et la crise : est-on condamné aux feuilles de chou d'autrefois ?

Dans l'article ci-dessous paru récemment dans Le Devoir (Canada) Jean-Claude Leclerc discute du rôle de la presse financière et parle même de "journalisme tranquille"...


Laurent Leloup
Laurent Leloup
"Même dans leurs rêves les plus débridés, les auteurs du 11-Septembre n'auraient jamais cru pouvoir déclencher une crise comme celle qui allait, sept ans plus tard, secouer les États-Unis et le monde occidental. Certes, dans la panique qui a suivi l'attaque sur Manhattan, des activités comme le transport aérien, le tourisme, l'hôtellerie ont subi un recul important, mais temporaire. Le prix le plus lourd de ces attentats aura, finalement, été payé par les populations d'Afghanistan et d'Irak.

Les Américains, bien sûr, ont exigé une enquête. Pourquoi la CIA, le FBI et les autres services de renseignement n'avaient-ils pas su prévenir une telle catastrophe en pleine terre d'Amérique ? Mais les médias du pays, d'habitude friands d'événements explosifs, avaient été pris «par surprise» eux aussi. Or, en Afrique et au Moyen-Orient, des attentats contre des ambassades et même la US Navy auraient dû les alerter. Le public, a-t-on expliqué, n'était pas intéressé par ces lointains événements.

Aujourd'hui, les mêmes médias peinent à expliquer le peu d'attention qu'ils ont porté aux signes avant-coureurs d'un désastre financier et économique qui allait dévaster tant de gens et de sociétés, y compris maintes institutions de presse. Personne ne pouvait prévoir une si grande crise, disent les uns, comme s'il s'agissait d'un séisme continental. Le public, disent les autres, n'a pas pris au sérieux des informations inquiétantes qu'on lui aurait rapportées depuis quelques années déjà.

Le grand public, il est vrai, déchiffre difficilement les activités financières en général. Toutefois, tel n'est pas le cas des habitués des informations d'affaires. Or, une récente étude du Columbia Journalism Review a fait l'examen des milliers d'articles parus, entre janvier 2000 et juin 2007, dans neuf publications jugées les plus influentes. Si quelques articles percutants y ont été trouvés, l'ensemble de la couverture, cependant, laissait plutôt croire que les affaires se portaient bien.

L'auteur de l'étude, Dean Starkman, en a conclu que la presse d'affaires n'avait pas su avertir adéquatement le public des dangers imminents qui le menaçaient alors même qu'un tel avertissement aurait fait justement une différence. Dans les années 2000-2003, des enquêtes journalistiques avaient, certes, été publiées sur les pratiques de prêts et sur Wall Street. Mais, dans les deux années cruciales qui ont suivi, les médias ont versé dans les conseils aux consommateurs et aux investisseurs, alors que la situation devenait critique et qu'il aurait fallu interpeller publiquement et directement les grandes institutions financières.

Pourtant, les procès de nature financière se multipliaient dans plusieurs États, mettant en cause non pas seulement des prêteurs abusifs, mais des institutions bien connues à Wall Street qui les finançaient. Plusieurs compagnies de prêts allaient alors être condamnées, et leurs pratiques documentées dans les dossiers des tribunaux. Des journalistes dans plus d'une ville en ont fait état. Un examen de la situation générale aurait révélé l'ampleur du désastre qui s'en venait. Déjà, la moitié des États du pays avaient dû voter des lois contre les prêts exorbitants.

Du journalisme tranquille

Dans quelques grands médias, des journalistes ont fait des enquêtes remarquables. Quand leurs découvertes furent publiées, les autorités publiques n'eurent d'autre choix que de s'en mêler. Des sociétés de financement durent verser des millions aux consommateurs floués. Mais, faute d'analyse globale et d'interpellation des géants de Wall Street, les «pratiques» sales allaient continuer jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour empêcher la débâcle.

Bref, il aurait fallu parler de corruption et de crime au plus haut niveau, d'une mutation toxique de l'industrie financière, d'un aveuglement des institutions de surveillance. Mais les médias d'affaires ont préféré s'adonner au journalisme tranquille des «conseils aux consommateurs». Cette abdication de la responsabilité publique des médias ne serait pas fortuite, estime l'auteur de l'étude.

La presse d'affaires, écrit-il, «fait partie de la sous-culture de Wall Street et du monde de la grande entreprise et, chose compréhensible, elle doit en adopter la langue et les coutumes». Elle se fie, en outre, à ces mêmes institutions pour obtenir les histoires qu'elle publie, ajoute-t-il. (Mais n'est-ce pas le cas de la plupart des médias pour les milieux qu'ils sont appelés à couvrir ?) Pourtant, note-t-il avec raison, il y a une différence entre écrire pour les citoyens et écrire pour les investisseurs.

Même de grands quotidiens comme le Los Angeles Times ou le Washington Post en sont venus à consacrer moins d'espace aux informations d'affaires, note cet auteur. Pour résister aux «conflits structurels» et aux «tabous culturels» qui prévalent dans cette industrie, Dean Starkman souligne l'importance d'avoir des patrons de presse et des propriétaires de médias qui permettent au journalisme d'affaires de jouer son rôle, «le seul qu'il a réellement besoin de remplir».

La conjoncture est-elle plus favorable au Canada ? Alors qu'il faudrait davantage de journalisme indépendant et vigoureux pour y éclairer les situations et les enjeux de la crise qui sévit -- et risque de s'aggraver --, les ressources risquent de manquer dans les rédactions les plus aptes à le faire. En même temps, chose non moins inquiétante, l'industrie médiatique y voit un problème de mutation technologique (Internet) ou la fin d'un modèle d'affaires (le financement par la publicité), et non d'abord une sérieuse menace au droit du public à l'information."

Jean-Claude Leclerc
Le Devoir : édition du lundi 29 juin 2009
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal

Laurent Leloup

Mardi 14 Juillet 2009




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