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Le management saisi par les jeux

La diffusion de modèles issus du monde des jeux va-t-elle changer notre façon de travailler ? Kevin Werbach, professeur d’éthique des affaires à Wharton School, en discute avec Rajat Paharia, fondateur de Bunchball, une entreprise high-tech qui apporte aux entreprises des solutions de ludification, et Daniel Debow, co-fondateur de Rypple, une société de management de la performance sociale.


Le management saisi par les jeux
Knowledge@Wharton: Qu’est-ce que la ludification et en quoi concerne-t-elle les entreprises ?

Kevin Werbach : Je définis généralement la ludification comme la transposition de techniques ou de mécanismes issus du monde de la conception de jeux au monde des affaires et à d’autres problématiques de type non ludique. Qu’est-ce qui fait qu’un jeu est amusant, qu’est-ce qui le rend prenant, qu’est-ce qui fait que les gens veulent y revenir et y consacrer du temps? Nous pouvons nous inspirer de certains de ces outils et les appliquer en ligne pour que l’expérience d’un internaute sur la toile soit amusante. Il y a là un potentiel pour rendre l’expérience d’une journée de travail plus gratifiante – mais aussi pour encourager et motiver les gens à faire d’autres choses, qui aient un impact bénéfique.

Pouvez-vous nous en donner quelques exemples dans le monde des affaires ?

Rajat Paharia : Les exemples sont légion, et il y en a de très bons. L’enjeu, c’est d’enclencher un processus qui favorise un certain type d’activité, de comportement ou de participation. Toutes ces entreprises s’articulent de près ou de loin autour d’un comportement client: on cherche à ce que ce dernier s’oriente vers certains gestes, certaines manières de se comporter, qu’il s’agisse d’un acte d’achat, de s’abonner à un service ou de visionner quelque chose – autant d’actes qui sont générateurs de valeur pour l’entreprise. Donc, si vous pouvez canaliser ce comportement chez vos consommateurs, vos usagers, vos clients, alors allez pouvoir créer le moteur d’une véritable valeur commerciale.

Cela peut couvrir une vaste gamme d’activités. Par exemple, une entreprise qui produit des émissions de télévision peut vouloir influencer la consommation par contact interposé, afin de bénéficier du partage qui en découle, parce que les recettes publicitaires en dépendent. Ou encore une entreprise comme Microsoft veut nous amener à utiliser le plus grand nombre possible de ses produits, de telle sorte qu’on soit tentés de les mettre à niveau au cours du prochain cycle de mise à jour, plutôt que d’utiliser un produit de la concurrence. On peut aussi imaginer une entreprise travaillant dans le Business to Business, qui a recours à ces outils pour générer des pistes d’opportunité en organisant un concours de sécurité informatique pour que les employés puissent faire étalage de leurs connaissances. L’entreprise fait d’une pierre deux coups, car non seulement des pistes sont générées spontanément, mais en plus des collaborateurs vont développer un sentiment d’accomplissement et de satisfaction et être motivés par la possibilité de gagner un concours.

Daniel Debow : Les concours, cela fait un bon moment que les entreprises en organisent: le terme de ludification, en anglais gamification, permet de faire converger ces idées avec les modèles émergents. On s’aperçoit en effet que les jeux sont répandus, et dans tout un tas de domaines d’activité: pensons à la théorie des jeux, pensons à toutes ces modes managériales consistant à dynamiser l’organisation via des récompenses et des concours.

Ce qui est nouveau avec la ludification, c’est une ambition de créativité, et non plus seulement de motivation. Il s’agit d’utiliser le modèle des jeux pour explorer différentes façons de résoudre les problèmes, en abattant des cloisons pour essayer d’appliquer des idées issues de domaines différents.

Cela nous amène à une troisième dimension, et à vrai dire c’est à celle-ci que nous consacrons la plus grande part de notre temps: le travail de conception, c’est-à-dire essayer différentes idées et réfléchir à la psychologie humaine, tenter de savoir pourquoi les gens vont adopter tel ou tel comportement.

Au bout du compte, ce qui est absolument vital pour l’innovation dans l’entreprise, c’est l’accent mis sur la conception, c’est de savoir se montrer créatif, d’identifier ce qui se passe réellement et d’être prêt à essayer différentes choses. C’est là que les jeux ont un intérêt.

On a souvent entendu dire que la génération des 20-30 ans doit être constamment récompensée, complimentée, qu’elle a besoin de retours, etc. Peut-on dire que la ludification est un phénomène générationnel ?

Rajat Paharia : Je ne pense pas que tel soit le cas, parce qu’elle a pour base la satisfaction des besoins et désirs fondamentaux, universels, de l’être humain: la récompense, le statut, l’accomplissement, la compétition, l’expression de soi et même l’altruisme ne sont pas des questions générationelles. Tout cela dépasse l’appartenance à un sexe, à une démographie ou à n’importe quelle segmentation qu’on pourrait être tenté d’appliquer. Tous autant que nous sommes, nous sommes motivés par une combinaison de ces besoins fondamentaux. Peut-être pas par tous à la fois; par exemple, le sens de la compétition pourrait très bien ne me faire ni chaud ni froid, mais je pourrais en revanche avoir à cœur l’accomplissement personnel et le fait de passer à l’objectif d’après, ou d’obtenir une reconnaissance à propos de quelque chose que j’aurais réussi.

Bien sûr, la génération Y, les gamins qui ont grandi avec la Xbox Live, est particulièrement motivée par ces choses-là. Mais ce sera aussi le cas d’une femme de 43 ans qui joue à Farmville… et il y a aussi des adultes qui jouent à la Xbox Live! Sans parler des enfants dans n’importe quelle colonie de vacances. C’est fondamentalement humain, et c’est pour cette raison-là que c’est applicable à tout le monde. Et certains en font même leur principale source de revenus: il y a des gens qui gagnent aujourd’hui plus de 50 000, voire 100 000 dollars, sur des sites comme Comcast.

Daniel Debow : Je voudrais revenir en arrière et insister sur le fait qu’une part non négligeable de notre réflexion est née de l’observation suivante: cela fait très longtemps que les gens sont amenés à jouer au travail. Les récompenses sont diverses, mais par exemple, obtenir un statut à travers un bureau plus spacieux ou un titre sur une carte de visite sont autant de modalités avec lesquelles on récompense les individus et qui les motivent depuis très longtemps… La ludification ne fait que repousser plus loin ces limites.

Une petite anecdote : mon professeur de procédure civile disait souvent que le système juridique n’est rien d’autre qu’un gigantesque jeu. On revient à l’idée de pouvoir appréhender un système d’interactions humaines comme un jeu, et on voit bien que la ludification telle qu’elle s’exprime aujourd’hui n’en a pas l’exclusivité.

Kevin Werbach : Il faut sans doute faire une distinction entre les jeux et la ludification, et à vrai dire on les mélange trop souvent. Mais il y a des développements considérables et les jeux eux-mêmes représentent aujourd’hui un secteur économique très puissant. Ainsi l’industrie du jeu vidéo est un marché de 50 milliards de dollars. C’est plus que Hollywood, d’après pratiquement tous les indicateurs. La grande majorité des individus d’une certaine tranche d’âge a grandi avec les jeux vidéo, et pas seulement la génération Y, mais aussi les actifs, ceux qui ont la trentaine, la quarantaine voire la cinquantaine: ce type d’interfaces et de technologies leur est familier. Il y a beaucoup de choses intéressantes qui s’articulent autour des jeux.

Mais la ludification consiste spécifiquement à prendre des éléments dans les jeux et à les mettre dans des systèmes qui, à la base, qui ne sont pas des jeux. Il ne s’agit pas par exemple d’entrer dans un monde immersif en 3D, de faire de la simulation et de la formation avec un pilote que vous mettez dans quelque chose qui ressemble à la cabine de pilotage d’un avion. C’est ce que j’appellerais un serious game. Mais c’est quelque chose qui est reconnaissable en tant que jeu, un environnement virtuel.

Ce que font des entreprises comme celles de Rajat et de Dan, c’est reprendre ces outils et les injecter dans des situations qui a priori n’ont pas les caractéristiques d’un jeu, notamment en termes de ressenti. Ces dernières n’ont pas forcément les apparences d’un système ludique, mais c’est pourtant ce qu’elles sont au fond et elles peuvent donc tirer profit des potentialités inhérentes au jeu. Et comme on l’a dit tout à l’heure, cela peut vraiment s’appliquer à toute la population, indistinctement.

Pouvez-vous donner quelques autres exemples d’applications dans le monde des affaires ?

Kevin Werbach : Certaines sont fréquemment citées en exemple. Nike possède un système appelé Nike Plus, où avec un petit accéléromètre dans vos chaussures vous pouvez faire un suivi de votre façon de courir, et ensuite les brancher sur votre ordinateur et faire des concours avec vos amis, suivre leurs progrès et voir des tableaux de classement. Foursquare utilise des systèmes de points et des classements, ainsi que des concepts comme se faire élire. Ce sont des exemples dont les gens parlent beaucoup et avec lesquels ils sont familiers.

Mais concrètement, ce que font les entreprises du secteur de la ludification a une portée autrement plus grande, parce qu’elles fournissent des solutions à des problèmes d’affaires spécifiques, plutôt que de simplement élaborer un service isolé construit comme un jeu. Je les laisse donc apporter plus de précisions.

Daniel Debow : Notre plateforme n’a pas vocation à intervenir dans n’importe quel environnement. Nous nous attelons à des problèmes tout à fait ciblés et souvent pénibles. Les gens n’aiment pas les évaluations de performance parce que le monde du travail a énormément changé au cours des 50 dernières années; mais en revanche les modes de management n’ont pas vraiment changé. Notre réflexion de départ a donc été la suivante: pourquoi ne pas recourir à ces outils pour faire en sorte que les processus par lesquels on obtient du feedback et de la reconnaissance, par lesquels on donne des objectifs, puisse se faire en temps réel, d’une façon beaucoup plus sociable et participative ?

Prenons un exemple très simple: aujourd’hui, on envoie un mail pour féliciter quelqu’un du travail qu’il a accompli. Après quoi cela passe par pertes et profits. Nous avons voulu, et à défaut d’une appellation plus adéquate, ludifier le tout en apportant la possibilité aux gens de créer un insigne, un badge, qu’ils enverront à leurs pairs, ce qui permet ensuite aux autres de voir pourquoi telle personne a obtenu une reconnaissance. L’élément-clé, c’est que cela ne disparaisse pas dans la nature. Cela devient une partie intégrante et durable de votre profil personnel. Nous en avons très vite tiré un enseignement: les gens se sont mis à créer de la valeur. Ils se sont mis à donner de la valeur à ce joujou qui leur a été donné, parce qu’il est porteur de sens. Mais aussi parce que cela vient s’ajouter à leur réputation à long terme, et parce qu’ils voient leur carrière comme un pivot autour duquel ils pourront se construire une “marque de fabrique” crédible. A partir du moment où ils ont pu attirer l’attention sur chaque félicitation reçue et sur tous les insignes qui sont la matérialisation de ces félicitations, ils ont estimé que leur réputation en sortait grandie. C’est un exemple très simple de ludification au travail.

Rajat Paharia : Mon entreprise fournit une plateforme technologique que tout dirigeant peut adopter et intégrer à sa culture d’entreprise ou pourrait-on dire, à son expérience-contenu, afin de promouvoir toute attitude qui pourrait devenir le moteur spécifique d’une valeur ajoutée. On peut y avoir recours dans les activités de type B to C. De nombreuses majors des média ont recours à notre plate-forme pour canaliser la consommation et le partage de leur contenu, par exemple autour de séries télévisées. Ils veulent que les gens consomment plus de contenu parce que c’est un segment qui fonctionne sur les revenus de la publicité.

Certaines entreprises utilisent aussi nos outils en interne. Je ne sais pas comment il faut appeler cela : du B to E, business to employee? Pour les programmes de force de vente aujourd’hui, la plupart fonctionnent sur un modèle où quand vous réussissez une vente, vous allez rentrer un numéro de commande dans un petit programme qui va vous dire: “Voici 10 000 points, allez vous acheter des clubs de golf.” Voilà à quoi se résume toute l’expérience. Lorsque les vendeurs sont très compétitifs, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux avoir des tableaux avec les meilleurs scores et de l’actu en temps réel avec des vendeurs qui montent en niveau, et leur donner des missions à mener à bien, aussi bien sur le long terme qu’à court terme? Au final le message serait: “Voici les objectifs trimestriels à long terme. Et si cette semaine, vous vendez 10 routeurs Cisco de plus, vous obtenez un super bonus.” Les mécanismes de jeu sont très efficaces dans ce genre de contexte. Certaines entreprises ont même recours à ces outils pour amener leurs salariés à faire de l’exercice et à améliorer leur santé… pour faire diminuer les fais de mutuelles et les absences maladies!

Vous avez mentionné des choses parfois évidentes ou un peu fantaisistes comme l’obtention de badges, des tableaux de classement, des élections, en plus d’usages plus sophistiqués. Mais lorsqu’une tendance se généralise, l’essoufflement n’est-il pas un effet secondaire inévitable ?

Kevin Werbach : Nous n’en sommes qu’aux balbutiements; il y a par conséquent beaucoup de battage et beaucoup d’excitation autour de la ludification. Mais nous ne sommes qu’au début de la courbe. C’est le chemin qu’ont emprunté les médias sociaux, et même le commerce électronique avant eux. Beaucoup d’excitation, quelques exemples précoces, et puis les gens se sont lassés, à un stade où l’utilisation était encore rudimentaire. Pourtant cinq ans ou dix ans après, on réalise que l’impact a été bien plus grand que ce qu’on en avait anticipé. Par conséquent, que le terme de ludification perdure ou pas, les pratiques vers lesquelles les entreprises se tournent, et qui seront bientôt suivies par d’autres, vont perdurer car les problèmes auxquels elles s’attaquent sont des problèmes de fond. Comment motiver les individus à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise, comment rendre les choses plus engageantes? Voilà des thématiques qui ne sont tout simplement pas près de disparaître.

Rajat Paharia : Je pense qu’il y a effectivement une très bonne analogie à faire avec tout ce qui est réseau social. Myspace explose, Friendster explose, tout Internet se met à penser réseau social, et ce mouvement touche même les grosses sociétés. A un moment, il est légitime de se poser la question: les gens ne vont-ils pas se lasser d’interagir avec l’ensemble de ces différents systèmes sociaux? Je pense que la réponse est oui, les gens vont utiliser ceux qu’ils ont envie d’utiliser et laisser tomber le reste. Alors ce n’est pas parce que le New York Times a un système de commentaires que je vais forcément interagir avec le site, cela ne veut même pas dire que je vais le lire. Quand je vais sur ce site c’est dans un but très précis. Je vais interagir avec lui là où je veux, quand cela répond vraiment à une envie chez moi. Et ailleurs, non.

Daniel Debow : Je voudrais ajouter quelques remarques. La première est que les gens expérimentent. Je pense même que c’est inhérent à ce que nous essayons de faire, qui consiste à tester différentes choses et voir qu’est ce qui fonctionne. Cela fait quasiment partie de la conception. Mais je pense qu’il y a deux éléments qui vont se démarquer. Les jeux utilisés dans le monde du travail sont conçus autour de motivations précises, ce qui est donc très rapide. On peut doper n’importe quel genre de comportement pendant une courte période de temps, mais en général les choses tournent court. Les vraies réussites, les exemples qui durent, s’appuient sur ce que les gens aiment vraiment faire ou à ce qu’ils ont vraiment l’intention de faire, ou sur des comportements qui étaient déjà présents avant que tel ou tel jeu n’arrive. Foursquare par exemple s’est fondé sur l’observation que les gens envoient des SMS à leurs amis pour leur dire où ils sont. Et l’entreprise a simplement bâti un jeu autour de cette pratique.

La seconde remarque est très simple: le simple fait de comporter un élément ludique ne fait pas à lui seul un bon jeu. Des jeux vidéo qui se cassent les dents, il y en a tout le temps. On peut observer quelque chose de similaire dans le monde du travail. Les produits qui durent sont ceux qui sont restés en phase avec la proposition initiale, ceux qui sont vraiment bien conçus et qui savent vraiment se positionner au cœur des choses, toucher du doigt ce que les gens ont vraiment, profondément envie de faire.

Kevin Werbach : C’est une des raisons pour lesquelles, avec Dan Hunter de la New York Law School, j’ai lancé à Wharton un projet appelé For the Win, pour tenter de cerner ce qui est profond et ce qui est durable. Nous sommes engagés dans un certain nombre d’activités pour essayer de faire démarrer des recherches et une analyse sérieuses. Nous croyons qu’il s’agit d’un phénomène majeur, important, durable, mais qu’il est important de se pencher sur la question en profondeur et de séparer le bon grain de l’ivraie.

D’après vous, y a-t-il des cas de figure où la ludification est susceptible d’échouer, d’être utilisée à tort ou à outrance, d’être surestimée? Y a-t-il un revers à cette médaille ?

Rajat Paharia : Absolument. Comme n’importe quel outil ou méthodologie, elle peut ne pas être utilisée à bon escient, et avoir des conséquences ou des résultats fâcheux ou inattendus.

Il y a plusieurs histoires qui circulent sur Internet à propos d’entreprises qui mettent en place des classements des meilleurs scores et une concurrence là où il n’y a probablement pas lieu de le faire, ce qui provoque l’émergence de mauvaises pratiques. Ou par exemple quand on récompense les gens simplement en fonction du nombre de messages qu’ils postent sur un forum. Eh bien, si on se met à récompenser cela, les gens se mettent à clavarder n’importe quoi, comme si le forum en question était un dépotoir, juste pour atteindre la récompense. Dans ce cas vous ne récompensez pas une bonne attitude, en l’occurrence un discours de qualité. Ce qu’il faut activement rechercher, c’est de récompenser les meilleurs commentaires, par exemple avec des like ou des pouces levés. Et pour revenir sur ce que Dan a évoqué tout à l’heure, la conception est une partie vraiment importante de ce processus ; il faut avoir l’esprit clair et savoir ce que l’on souhaite motiver et comment.

Kevin Werbach : L’abus est toujours possible, car dans tout système les règles peuvent être exploitées à contre-emploi. Et il se trouve que les personnes qui le comprennent le mieux sont les concepteurs de jeux – car ils y réfléchissent à chaque instant. Je suis entièrement d’accord avec Rajat. Il y a un risque bien réel mais d’un autre côté, une application réfléchie de ces outils suffit souvent à éviter ces travers.

Daniel Debow : Je pense que c’est un argument tout à fait pertinent. Notre designer a élaboré avec grand succès d’autres sortes de jeux pour réseaux sociaux. Il est très attentif et souvent critique lorsque nous les expérimentons et que nous les mettons en œuvre, précisément parce qu’on peut finir par créer des incitations dont les résultats sont extrêmement pervers. Ce n’est en rien différent de n’importe quel système de conception d’outils incitatifs ou d’indicateurs de performance… nous sommes donc très prudents quand nous intervenons dans le monde du travail.

Je vais vous donner un exemple très simple. La plupart des gens pensent que la meilleure motivation qui soit pour encourager quelqu’un à se comporter de telle ou telle manière ou à s’orienter dans telle ou telle direction, c’est l’argent. Et de fait, au sein-même de l’espace marchand du web, une société appelée Drop Box a connu une croissance explosive grâce à une incitation extrêmement maline de type deux-en-un, qui vous fait tout simplement gagner des cadeaux gratuits si vous partagez le produit. Nous avons fait des expériences de ce genre au travail et donné 25 $ à ceux qui partageaient notre produit. Et contre toute attente nous avons découvert qu’en fait les gens étaient beaucoup moins susceptibles de partager Rypple au travail quand on leur offrait une incitation monétaire que quand on supprimait l’argent et qu’on rendait le partage beaucoup plus intrinsèque au process.

Je ne pense pas, en l’occurrence, qu’on puisse parler d’un échec: il faut tout simplement essayer, tester, expérimenter les choses. Et l’on apprend beaucoup mieux en regardant ce qui ne marche pas.

Il y a un point que nous n’avons pas abordé mais il ne faudrait pas que nous fassions l’impasse dessus: la ludification fonctionne énormément à partir de données. Quand vous regardez comment les gens réagissent, sur quoi ils cliquent et quel est leur comportement, c’est en temps réel; et étant donné que le contexte est souvent celui d’un jeu vidéo, on peut se livrer à de petites expériences. Qu’est-ce ce qui se passe si on change la formulation? Est-ce que le comportement des individus change si on change de place le classement des meilleurs joueurs? Pour moi, la façon dont vous allez construire ces systèmes est une partie intégrante de la philosophie d’un concepteur. On a tendance à comprendre ces choses comme elles viennent, au fur et à mesure de la mise en place d’un processus destiné à jouer sur toutes sortes de comportements.

Supposons que la ludification devienne un élément de plus en plus central de la stratégie des entreprises au cours des cinq années à venir. Concrètement, comment une entreprise va-t-elle pouvoir la mettre en place ? Est-ce que cela va faire partie des attributions du directeur marketing, du directeur scientifique ou du directeur de la communication ? Quelle serait l’approche la plus stratégique pour lancer le processus sous les meilleurs auspices ?

Rajat Paharia : Tout dépend de l’application. Si c’est un Business to Consumer, l’enjeu est d’inciter les consommateurs à développer davantage de comportements, alors cela incombera typiquement au chef de produit ou au chef de produit numérique. S’il s’agit d’une campagne de marketing, cela concernera plutôt le responsable marketing. Si c’est la personne en charge de la santé et du bien-être dans l’organisation, ce sera généralement la DRH. Et enfin si s’il s’agit de gestion des incitations pour la force de vente, alors ce sera le rôle du directeur des ventes. C’est un système très flexible, quasiment fluide, auquel on peut avoir recours partout où des gens ont besoin d’être motivés. C’est la raison pour laquelle nous avons différents types de clients, selon le type d’application à mettre en place.

Daniel Debow : Nous l’avons constaté, il nous arrive d’avoir comme interlocuteurs des cadres de très haut niveau – par exemple le directeur des ventes ou le directeur des produits – désireux de mettre en place des solutions comme celles que nous développons, parce que notre approche se fait sous la perspective d’un problème de management. Mais le plus souvent, c’est avec les ressources humaines que nous allons parler. Facebook est l’un de nos plus gros clients, et chez eux, à l’origine c’est le département RH qui nous a fait venir, puis leurs ingénieurs leur ont emboîté le pas. On aura affaire à différents portefeuilles en fonction du problème à traiter.

Il est essentiel de comprendre que lorsqu’on cherche à opérer une mise en œuvre stratégique de ces solutions, que ce n’est pas comme si on pouvait se contenter de demander à son gamin de 14 ans de nous montrer son jeu vidéo, pour essayer de mettre en place la même chose au travail. C’est drôle, d’une certaine façon, mais il me semble que c’est souvent là qu’un écueil est commis qui mènera à des échecs. Il est évident qu’il est plus avisé de s’engager avec des gens qui ont une expérience approfondie de la psychologie et des motivations humaines, et de la conception de jeux.

Cet article a été originellement publié le 17 août 2011 dans Knowledge@Wharton sous le titre “Rewards, Motivation, Competition: How Businesses Can Benefit from the Rise of Gamification”. Copyright Knowledge@

Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Le management saisi par les jeux ".
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Vendredi 16 Décembre 2011




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