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La Banque Universelle

En sautant du lit, il venait de trouver enfin le titre de cette société, l’enseigne qu’il cherchait depuis longtemps. Les mots : la Banque Universelle, avaient brusquement flambé devant lui, comme en caractères de feu, dans la chambre encore noire. « La Banque Universelle, ne cessa-t-il de répéter, tout en s’habillant, la Banque Universelle, c’est simple, c’est grand, ça englobe tout, ça couvre le monde… Oui, oui, excellent ! la Banque Universelle ! »


Laurent Leloup
Laurent Leloup
...voici l’affaire qu’il allait lancer, la Banque Universelle, au capital de vingt-cinq millions...divisé en cinquante mille actions de cinq cents francs. Oui, une maison de crédit créée surtout dans le but de patronner de grandes entreprises...

La naissance
Il y avait un nombre de guichets extraordinaire; la cour, transformée en hall central, en était entourée : guichets grillagés, sévères et dignes, surmontés de belles plaques de cuivre, portant les indications en lettres noires. En somme, l’aménagement, bien que réalisé dans un local un peu étroit, était d’une disposition heureuse : au rez-de-chaussée, les services qui devaient être en relation suivie avec le public, les différentes caisses, les émissions, toutes les opérations courantes de banque ; et, en haut, le mécanisme en quelque sorte intérieur, la direction, la correspondance, la comptabilité, les bureaux du contentieux et du personnel. Au total, dans un espace si resserré, s’agitaient là plus de deux cents employés.

Le lancement...
Et ce fut à la même époque, quinze jours plus tard, que l'on inaugura l’hôtel monumental, pour y loger royalement l’Universelle. Six mois venaient de suffire, on avait travaillé jour et nuit, sans perdre une heure, faisant ce miracle qui n’est possible qu’à Paris; et la façade se dressait, fleurie d’ornements, tenant du temple et du café-concert, une façade dont le luxe étalé arrêtait le monde sur le trottoir.

À l’intérieur, c’était une somptuosité, les millions des caisses ruisselant le long des murs. Un escalier d’honneur conduisait à la salle du conseil, rouge et or, d’une splendeur de salle d’opéra. Partout, des tapis, des tentures, des bureaux installés avec une richesse d’ameublement éclatante. Dans le sous-sol, où se trouvait le service des titres, des coffres-forts étaient scellés, immenses, ouvrant des gueules profondes de four, derrière les glaces sans tain des cloisons, qui permettaient au public de les voir, rangés comme les tonneaux des contes, où dorment les trésors incalculables des fées.

Et les peuples pouvaient venir et défiler là : c’était prêt, l’hôtel neuf les attendait, pour les aveugler, les prendre un à un à cet irrésistible piège de l’or, flambant au grand soleil.

Les petits rentiers dévots des quartiers tranquilles, les pauvres prêtres de campagne débarqués le matin du chemin de fer, bâillaient de béatitude devant la porte, en ressortaient rouges du plaisir d’avoir des fonds là-dedans.

La folie...
Le bruit se répandit, vague et léger encore, que se préparait une nouvelle augmentation du capital. De cent millions, on voulut le porter à cent cinquante. C’était une heure de particulière excitation, l’heure fatale où toutes les prospérités du règne, les immenses travaux qui avaient transformé la ville, la circulation enragée de l’argent, les furieuses dépenses du luxe, devaient aboutir à une fièvre chaude de la spéculation. Chacun voulait sa part, risquait sa fortune sur le tapis vert, pour la décupler et jouir, comme tant d’autres, enrichis en une nuit. Les illuminations et les musiques du Champ de Mars, les foules du monde entier inondant les rues, achevaient de griser Paris, dans un rêve d’inépuisable richesse et de souveraine domination. Par les soirées claires, de l’énorme cité en fête, montait le suprême coup de démence, la folie joyeuse et vorace des grandes capitales menacées de destruction.

La Banque Universelle
La chute...
Alors, pendant la dernière demi-heure, ce fut la débâcle, la déroute s’aggravant et emportant la foule en un galop désordonné. Après l’extrême confiance, l’engouement aveugle, arrivait la réaction de la peur, tous se ruant pour vendre, s’il en était temps encore. Une grêle d’ordres de vente s’abattit sur la corbeille, on ne voyait plus que des fiches pleuvoir; et ces paquets énormes de titres, jetés ainsi sans prudence, accéléraient la baisse, un véritable effondrement. Les cours, de chute en chute, tombèrent à 1 500, à 1 200, à 900. Il n’y avait plus d’acheteurs, la plaine restait rase, jonchée de cadavres. Au-dessus du sombre grouillement des redingotes, les trois coteurs semblaient être des greffiers mortuaires, enregistrant des décès. Par un singulier effet du vent de désastre qui traversait la salle, l’agitation s’y était figée, le vacarme s’y mourait, comme dans la stupeur d’une grande catastrophe. Un silence effrayant régna, lorsque, après le coup de cloche de la clôture, le dernier cours de 830 francs fut connu. Et la pluie entêtée ruisselait toujours sur le vitrage, qui ne laissait plus filtrer qu’un crépuscule louche ; la salle était devenue un cloaque, sous l’égouttement des parapluies et le piétinement de la foule, un sol fangeux d’écurie mal tenue, où traînaient toutes sortes de papiers déchirés ; tandis que, dans la corbeille, éclatait le bariolage des fiches, les vertes, les rouges, les bleues, jetées à pleines mains, si abondantes ce jour-là, que le vaste bassin débordait.

Malgré les sommes prêtées par les autres établissements financiers, on avait dû fermer les guichets, suspendre les payements, devant les demandes croissantes. Cette banque qui, un mois plus tôt, possédait près de deux cents millions dans ses caisses, n’avait pu rembourser, à sa clientèle affolée, que les quelques premières centaines de mille francs. Un jugement du tribunal de commerce avait déclaré d’office la faillite, à la suite d’un rapport sommaire, remis la veille par un expert, chargé d’examiner les livres.

Cette fois, c’était bien la fin, comme si toutes les haines, toutes les malchances aussi se fussent acharnées. L’assemblée générale extraordinaire ne pouvait plus se réunir, la Banque Universelle avait vécu.

L'épilogue...
Les morts inconnus, les victimes sans nom étaient légion, jonchaient les buissons écartés, les fossés pleins d’herbe, et il y avait ainsi des cadavres perdus, des blessés râlant d’angoisse, derrière chaque tronc d’arbre. Que d’effroyables drames muets, la cohue des petits rentiers pauvres, des petits actionnaires ayant mis toutes leurs économies dans une même valeur, les concierges retirés, les pâles demoiselles vivant avec un chat, les retraités de province à l’existence réglée de maniaques, les prêtres de campagne dénudés par l’aumône, tous ces êtres infimes dont le budget est de quelques sous, tant pour le lait, tant pour le pain, un budget si exact et si réduit, que deux sous de moins amènent des cataclysmes !

Et, brusquement, plus rien, la vie coupée, emportée, de vieilles mains tremblantes, éperdues, tâtonnantes dans les ténèbres, incapables de travail, toutes ces existences humbles et tranquilles jetées d’un coup à l’épouvante du besoin !

Extraits choisis de l'ouvrage "L'Argent" de Emile Zola (1891)
Emile Zola s’est inspiré du krach de l’Union Générale (1881-1882).

La Banque de l’Union Générale avait été créée, à Lyon, en 1875, par des catholiques pour concurrencer les grandes banques de l’époque, comme la banque Rothschild.
L’action, émise en 1878 à 500 francs, atteignit 3 000 francs en 1881, avant de s’effondrer à 500 francs le 28 janvier 1882.
Le 2 février 1882, l’Union Générale fut mise en faillite.
Il s’agit du premier grand krach de l’histoire bancaire française, à l’origine, la même année, de la faillite de la Bourse de Lyon et de l’effondrement de la Bourse de Paris.

Cela fera bientôt 130 ans jour pour jour...

Laurent Leloup

Mardi 3 Janvier 2012




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