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L’immobilier a appauvri l’Occident

“Il y a eu plus de volatilité sur le marché immobilier ces cinq dernières années que pendant les cinq cent années précédentes ! ». C’est en ces termes significatifs que s’est tout récemment exprimé Glenn Kelman, grand patron de Radfin, une importante société immobilière américaine, qui ne fait qu’exprimer des inquiétudes légitimes par rapport à un marché immobilier devenu – en tout cas aux Etats-Unis – aussi volatil que les bourses. Il semblerait que nul n’ait tiré les enseignements de la crise des subprimes : pas plus les privés que les banques et même les Etats qui, ayant évacué la catastrophe immobilière US des années 2007 et 2008, participent tous aujourd’hui à gonfler une nouvelle bulle dont l’ampleur semble même dépasser la précédente. Une récente étude de Goldman Sachs n’est-elle pas parvenue à la conclusion aberrante que le P.I.B. américain (attendu à 2% pour 2013) serait, en réalité, de – 1% sans l’escalade du marché immobilier ? Voilà donc les gouvernements britanniques et américains qui rivalisent d’inventivité fiscale afin de promouvoir les acquisitions immobilières sur leurs territoires respectifs. Politique insensée assimilable à une campagne contre l’obésité qui serait menée parallèlement à des subventions accordées aux « fast-food »…


Michel Santi
Michel Santi
L’index « Better Life » de l’OCDE le dit pourtant sans équivoque : il n’existe nulle relation de cause à effet entre l’accès à la propriété et la qualité de vie. De même, ce n’est pas les nations aux économies les plus développées, ni même celles dont les citoyens jouissent des plus hauts revenus, qui ont le pourcentage le plus élevé de propriétaires. En effet, tandis que la France, l’Allemagne et le Japon ont 30 à 40% de leurs citoyens qui sont propriétaires de leur domicile, cette proportion grimpe à 80% dans des pays comme le Mexique, le Népal ou la Russie. Et à 65 – 70% aux USA et en Grande-Bretagne. Ces deux derniers pays se rendent-ils seulement compte des distorsions majeures qu’ils induisent sciemment sur leurs économies en encourageant sans équivoque l’accès à la propriété, voire à la multi-propriété ? C’est effectivement toute la chaîne des intervenants, privés et publics, qui conjugue ses efforts dans ces deux pays : de l’Etat qui accepte toutes les déductions fiscales corrélées aux prêts hypothécaires et aux rénovations comme aux travaux immobiliers, aux établissements financiers qui n’hésitent pas à solliciter le propriétaire afin de lui augmenter son financement en cas d’appréciation de la valeur de son bien. Dans nombre de pays aux économies dites « intégrées », l’association et les actions actives de la volonté publique et des intérêts privés se traduisent donc en une situation potentiellement catastrophique où les avoirs des ménages se réduisent à leur seul bien immobilier.

Ainsi, les pouvois publics motivent-ils ouvertement les familles et les individus à placer leur épargne dans un actif souvent volatil, dont la valeur est difficile à quantifier, dont la réalisation (c’est-à-dire la vente) prend parfois plusieurs mois et qui occasionne en outre divers frais d’entretien, charges de copropriété, etc… Quelle est la crédibilité d’une politique publique dont l’objectif est de canaliser l’épargne en direction du marché immobilier, quand il est tellement plus utile à la collectivité d’investir dans la recherche et le développement, dans les infrastructures ou encore dans la création de nouvelles entreprises ? La pierre est effectivement un placement stérile tant pour l’individu que pour l’ensemble de l’économie, sachant que – par ailleurs – la promotion de l’accès à la propriété immobilière constitue une régression sociale fondamentale. L’accumulation de richesses immobilières ne profite effectivement qu’à celles et à ceux qui ont suffisamment de chance d’avoir des parents et des grands-parents propriétaires, dont ils vont hériter. La propriété immobilière ne fait que perpétuer un système basé sur la succession qui défavorise indiscutablement les laissés pour compte privés d’ascenseur social. Ce faisant, l’Etat encourage une authentique évasion fiscale – ou à tout le moins une méga niche fiscale – qui renforce les lobbies immobiliers, qui autorise de payer moins d’impôt, et qui déséquilibre la compétition par le mérite en favorisant notoirement les héritiers chanceux.

La propriété immobilière décourage indirectement le développement de nouveaux talents qui, d’une part se retrouvent privés de liquidités préférant aller se loger dans la pierre et qui, d’autre part, sont pénalisés par rapport à celles et à ceux ayant la chance d’hériter de l’épargne de leurs parents. Comme la propriété immobilière a en outre un impact négatif tout à la fois sur la mobilité géographique du travail que sur la création de nouvelles entreprises, il est possible d’en conclure que l’immobilier constitue une externalité négative sur l’emploi. Une étude de l’Université de Warwick (http://www.iie.com/publications/wp/wp13-3.pdf) étant même parvenue à la déduction selon laquelle l’augmentation du chômage dans un Etat américain était étroitement corrélée au nombre de propriétaires de biens immobiliers ! S’il va de soi que tout individu est libre d’acquérir une propriété, il ne devrait pas être des attributions de l’Etat de subventionner de tels investissements, comme il ne permet aucune déduction fiscale pour un achat de bien de luxe. La clémence et la sollicitude fiscales accordées par l’Etat aux propriétaires de biens immobiliers créent donc une distorsion majeure dans l’allocation du capital, favorisent les lobbies liés au marché immobilier, nuisent aux transferts équitables des richesses, et sapent une mobilité indispensable dans un marché du travail en pleine évolution. Tout en contribuant à la formation de bulles spéculatives aux effets dévastateurs pour l’ensemble de l’économie.

Enfin, l’encouragement de l’accès à la propriété ne bénéficie malheureusement pas aux pauvres qui restent – dans leur écrasante majorité- locataires, alors qu’une politique publique digne de ce nom devrait au contraire avoir pour objectif de rendre le marché immobilier accessible à l’ensemble de la société. Au lieu d’aider à siphonner les ressources au profit de l’immobilier, l’Etat devrait au contraire s’employer à circonscrire la fièvre spéculative de ce marché afin de le rendre abordable à l’ensemble de la population. C’est effectivement en pesant sur ce marché pour en restreindre l’escalade irraisonnée de ses prix que l’Etat peut matériellement contribuer à augmenter notre pouvoir d’achat. L’acquisition d’une propriété immobilière ne devrait effectivement pas être considérée autrement que celle d’une voiture. Tout comme les politiques publiques ne font pas la promotion de voitures chères qui entament sérieusement notre pouvoir d’achat, elles ne devraient pas plus encourager les acquisitions immobilières qui réduisent tout autant notre train de vie. Au lieu de cela, – et en consentant une fiscalité extrêmement avantageuse aux propriétaires et à toute la chaîne alimentaire qui gravite autour de ce marché -, l’Etat participe activement de cette raréfaction immobilière et des flambées de ses prix. S’il coule de source qu’un privé ou qu’une famille bénéficierait pleinement de l’appréciation de son bien immobilier, on voit difficilement comment la hausse du marché immobilier pourrait bien profiter à l’ensemble de la collectivité ?

Loin de contribuer à la prospérité de nos pays, les flambées immobilières de ces dernières années pourraient bien au contraire avoir fondamentalement contribué à l’incontestable appauvrissement de notre Occident. Car le but ultime de toute politique publique devrait bien être l’accessibilité des ressources au plus grand nombre, et non les retours sur investissement.

Michel Santi
Economiste et Analyste Financier (indépendant)
www.gestionsuisse.com

Lundi 7 Octobre 2013




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