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L’éthique et le droit des plans sociaux

Un récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation a annulé la possibilité de contester le fondement d’une procédure de licenciement pour motif économique. Le débat soulevé est surtout, et à juste titre, juridique, mais en un sens il ne change rien à l’éthique des procédures de licenciement économique telle qu’elle est conçue dans l’éthique des affaires, par exemple d’un point de vue kantien.


Alain Anquetil
Alain Anquetil
L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 3 mai 2012 (Cass. soc., 3 mai 2012, n° 11-20741) a invalidé une décision rendue il y a un an par la Cour d’appel de Paris, laquelle avait prononcé la nullité d’une procédure de licenciement collectif, celle de l’entreprise Viveo (1). Selon Le Monde du 3 mai 2012, le cas « Viveo était devenu emblématique de la contestation des plans sociaux non motivés par des difficultés économiques ». Le nouvel arrêt vient en quelque sorte rétablir la situation qui prévalait avant l’arrêt Viveo.

À l’origine de cette affaire se trouvait une plainte déposée par les syndicats de l’entreprise Viveo quant au bien-fondé économique de sa décision de licencier une partie du personnel dans le cadre d’un plan social. Après un premier jugement défavorable aux plaignants, la Cour d’appel de Paris avait validé, par un arrêt rendu le 12 mai 2011, la position des syndicats, affirmant que « la procédure de licenciement collectif engagée par la société Viveo France le 10 février 2010 n’est pas fondée sur un motif économique ». Deux décisions du même ordre avaient été prises en 2011 pour les affaires Sodimédical et Ethicon.

À cette époque, ces décisions furent considérées comme le signal d’une « révolution culturelle douce », selon les termes de l’avocat des salariés dans ces trois affaires, Philippe Brun, alors interviewé dans Le Figaro. Celui-ci ajoutait : « C’est une véritable jurisprudence anti-délocalisation. Comment pouvait-on faire un plan social sans cause économique ? Les juges ont osé imposer ce que le législateur n’a jamais eu le courage de voter ». L’article ajoutait que cette jurisprudence revenait à « interdire purement et simplement les licenciements dit « boursiers » ». C’est cette jurisprudence que l’arrêt du 3 mai 2012 de la chambre sociale de la Cour de cassation vient d’annuler en rappelant « qu’en statuant ainsi alors que la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement, la Cour d’appel a violé le texte susvisé [l’article L. 1235-10 du Code du travail, cf. note (1) ci-dessous] ».

Un récent numéro de l’émission « Le grain à moudre » de France Culture, diffusé le vendredi 11 mai 2012, a été consacré à cette question. Dominée à juste titre par des considérations juridiques (2), l’émission a laissé place, à la toute fin du débat, à un développement relatif à la responsabilité sociale des entreprises en matière de gestion de l’emploi. Mais les débatteurs n’ont pas eu l’occasion d’aborder les principes éthiques susceptibles de fonder une telle responsabilité.

Quels pourraient être ces principes ? Une décision de licenciement individuel ou collectif qui serait arbitraire ou ne serait pas fondée sur une raison légitime serait jugée immorale – comme tout autre type de décision ayant des conséquences nuisibles sur autrui. Mais beaucoup de situations problématiques ne sont pas aussi tranchées et, d’une façon générale, il est utile de disposer de principes éthiques susceptibles de fonder l’évaluation du caractère moralement acceptable d’un licenciement individuel ou collectif.

La théorie morale néokantienne propose des principes éthiques de cette nature. Elle confère une importance essentielle aux motivations qui se trouvent à l’origine de la décision de procéder à un licenciement pour motif économique. Par exemple, en application de la première formule de l’impératif catégorique de Kant (3), toute décision de ce genre doit être universalisable – plus précisément, le principe d’action à la base de la décision de licenciement collectif prise par une entreprise donnée dans un contexte donné doit pouvoir avoir le statut d’une loi à laquelle n’importe quelle autre entreprise dans la même situation se conformerait. En application de la seconde formule de l’impératif catégorique, les salariés licenciés doivent être considérés comme des fins et pas seulement comme des moyens – ils doivent être traités avec respect, ce qui suppose par exemple qu’ils soient informés des motifs réels du licenciement et de la procédure mise en œuvre, et que leur développement futur en tant que personne autonome soit autant que possible assuré après leur départ de l’entreprise.

Ces principes moraux ne sont pas substantiellement différents de ceux d’un « travail qui a du sens », pour reprendre l’expression du philosophe Norman Bowie (4). Ils recoupent partiellement les principes du droit des procédures de licenciements collectifs. Ils ne les recoupent que partiellement parce que, contrairement aux principes du droit en la matière, ils servent à mener une évaluation morale des motifs économiques d’une procédure de licenciement pour motif économique.

(1) Texte du communiqué de la chambre sociale de la Cour de cassation relatif à l’arrêt du 3 mai 2012 : « Par un arrêt du 3 mai 2012, qui casse une décision de la cour d’appel de Paris, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans la ligne de nombreux précédents, que l’article L.1235-10 du code du travail ne permet d’annuler une procédure de licenciement pour motif économique qu’en cas d’absence ou d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi et que cette nullité ne peut en conséquence être prononcée au motif que la cause économique du licenciement n’est pas établie. La cour d’appel ne pouvait donc déclarer nulle la procédure de licenciement sans constater l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi établi par l’employeur. Cette délimitation du champ de la nullité résulte de la prise en compte de la volonté du législateur qui, par la loi du 27 janvier 1993, entendait faire du plan de sauvegarde de l’emploi le moyen d’éviter des licenciements, l’absence de cause économique n’ouvrant droit qu’au paiement de dommages-intérêts au bénéfice du salarié licencié, en application des articles L. 1235-3 et L.1235-5 du code du travail. »

(2) L’importance de la question juridique est par exemple soulignée par Sophie Amar qui affirme d’une façon générale à propos de la décision de la Cour de cassation que « si la jurisprudence est source de droit, elle n’octroie pas un pouvoir normatif absolu aux juges ».

(3) Voir Kant, E. Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, tr. fr. V. Delbos, Paris, Vrin, 1992.

(4) N.E. Bowie, « The business corporation as a kingdom of ends », tr. fr. C. Laugier, « L’entreprise comme règne des fins », in A. Anquetil (éd.), Textes clés de l’éthique des affaires, Paris, Vrin, 2011.



Alain ANQUETIL
Philosophe et professeur d’éthique des affaires à l’ESSCA
 
 
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Vendredi 1 Juin 2012




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