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L’Europe doit affirmer son modèle d’entreprise

Y-a-t-il plus grand symbole que la faillite de General Motors pour marquer la fin d’un mythe économique, le management à l’américaine ? Cela fait plus d’un demi-siècle que les lois de l’efficience sont édictées des Etats-Unis. Cela a commencé avec l’organisation taylorienne puis le marketing s’est imposé comme la panacée de la pensée microéconomique avant que la finance ne devienne le centre de la création de valeur. Les Européens ont été suiveurs dans cette évolution qui a instrumentalisé le client plus qu’elle ne l’a servi. Ils ont imité ce modèle et même transmis pieusement les enseignements de Mintzberg, Porter et Jack Welch, sans la moindre distance critique.


Patrick d’Humières
Patrick d’Humières
Existe-t-il donc un seul mode de gestion efficace que la planète doit appliquer pour apporter une vraie valeur ajoutée au consommateur et aux autres partenaires de l’entreprise ? De fait, c’est outre-Atlantique qu’on a le mieux formalisé la méthode pour optimiser l’avantage concurrentiel. Mais ceci a été fait dans un cadre d’abondance des ressources, d’une forte demande d’équipement au sortir de la guerre, à l’intérieur d’un mouvement d’innovation tiré par la recherche. Ce modèle ne s’est jamais remis en question, en dépit des fautes éthiques d’Enron – la loi Sarbanes-Oxley a changé les sanctions, pas les causes – et de la désindustrialisation à outrance vers les zones à bas salaires. Il ne s’est pas ému d’un transfert sans pareil d’externalités négatives aux contribuables et aux générations futures.

Sans être distancée dans la rentabilité du capital investi, l’entreprise européenne a exprimé plusieurs différences culturelles visibles. Nous attachons plus d’importance aux autres parties prenantes que les seuls actionnaires dans le cadre de pactes sociaux élargis, qu’on nous envie aujourd’hui. L’implication des entreprises dans la gestion de la protection sociale au sens large redistribue une part de la valeur ajoutée à la société. Dépendance oblige, nous avons démarré plus tôt des actions d’efficacité énergétique et de protection des ressources naturelles. Nous privilégions l’autofinancement à l’appel au marché, ce qui suscite des planifications à moyen terme, moins spéculatives. Nos politiques industrielles se soucient de conserver des savoir-faire locaux sur des territoires qui s’organisent pour pérenniser des filières. Certes, nous sommes moins investis dans l’enseignement supérieur et la recherche fondamentale, et nous ne sommes pas exemplaires dans l’intégration multiculturelle.

La différence entre le management autocentré à l’américaine et le management plus partenarial à l’européenne éclate dans cette crise. Le rattrapage américain, en matière environnementale, de financement de la santé, de régulation des marchés, est la preuve que « ce qui a été bon pour GM jusqu’ici et bon pour le pays », est bien derrière nous. Les managers européens et leurs gouvernements ne doivent pas hésiter à tirer les conséquences de ce retournement en favorisant cette relation différente avec la société, dans le sens de ce « capitalisme de parties prenantes » qui émerge aujourd’hui. Il se caractérise par des règles concurrentielles strictes, une coopération sincère avec les régulateurs et une répartition équilibrée de la croissance de la valeur ajoutée. Le temps est aussi venu de constater qu’il est plus efficace de ne pas considérer les territoires comme des comptoirs coloniaux et de bannir un centralisme réducteur qui permet de faire un dumping social, environnemental et fiscal – en utilisant les outils monétaires et comptables – comme on l’a pratiqué sans vergogne jusqu’ici au nom de la prétendue théorie des avantages comparatifs.

La prochaine mandature européenne ne devra pas rater ce rendez-vous « reconstructif », comme l’a laissé entendre l’actuel commissaire à l’Industrie, qui a regretté son attentisme sur la question de la responsabilité sociale des entreprises. De fait, il aurait dû pendant ce mandat encourager l’information extra-financière en généralisant l’intégration du rapport de responsabilité dans le rapport de gestion des entreprises, ce que la France s’apprête à faire. Cette mesure simple permet aux investisseurs et aux donneurs d’ordre, publics et privés, de favoriser les entreprises socialement vertueuses et à ces dernières d’obtenir une compensation économique de leurs efforts en attendant d’en tenir compte dans la fiscalité générale. L’Europe montrerait ainsi que l’économie de marché n’est pas qu’une technique, qu’elle n’est pas neutre politiquement et que c’est l’articulation entre l’entreprise et la société qui structure l’intérêt collectif. Le management qui nous a fait croire que l’entreprise doit être autonome par rapport au reste du monde, l’environnement politique étant sa contrainte à combattre, n’est plus pertinent en termes de création de valeur au sens large. La qualité de la régulation public-privé s’avère le facteur de croissance le plus facile à mobiliser pour générer de la productivité et de la confiance dans le système économique.

Tribune parue dans Les Echos du 20 aout 2009

Patrick d’Humières
www.company21.fr

Mercredi 14 Octobre 2009




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