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Ils vont tuer la RSE !

Dans un contexte de mutations qui ne font que s’accélérer, marqué par un accroissement des tensions et des intérêts contradictoires entre un business intraverti et une planète en souffrance, cela fait vingt ans qu’une minorité d’entreprises, anglo-saxonnes et françaises aussi, ont ouvert la voie d’un rapport à la société civile volontairement constructif ; elles ont inventé ce qu’on a improprement appelé la responsabilité sociétale de l’entreprise qui consiste en réalité à prendre en charge des enjeux collectifs liés à son activité pour les retourner en avantage concurrentiel.


Patrick d’Humières
Patrick d’Humières
La démarche reste très minoritaire dans la communauté économique qui fait mine de la confondre avec de la bénévolance citoyenne, d’autant qu’elle n’est pas perçue comme significative par l’opinion. Seuls quelques académiques, à Harvard (Porter, Eccles, Ragan) notamment, encouragent ce management responsable qui renouvelle profondément le rapport entre le marché et l’intérêt collectif et y voient la nouvelle frontière d’une gestion qui équilibre enfin la prise en compte des quatre parties prenantes fondamentales de l’entreprise en économie de marché que sont les investisseurs, les clients, les salariés et les citoyens. Sous l’impulsion de Jacques Delors, l’Europe a encouragé ce modèle qui est resté modeste et expérimental jusqu’à ce que soit voté en 2014, en réaction à la crise financière, une directive intégrant dans l’information financière des grandes entreprises des éléments complémentaires sur les impacts sociétaux et les risques extra-financiers.

Le débat sur la transposition de cette directive s’engage de façon conflictuelle en France, pays qui pratique l’obligation d’information extra-financière depuis 2001 mais que les entreprises vivent largement de façon culpabilisatante et non comme un outil de management de progrès intéressant. Les administrateurs, pas plus que les partenaires sociaux ne s’en sont pas saisis alors qu’ils disposent à travers cela d’une grille de lecture de la durabilité de l’entreprise. L’incompréhension s’amplifie d’une façon inquiétante au moment où le retour à la compétitivité de notre économie nécessiterait plus que jamais de la confiance entre les acteurs, comme l’a démontré le Commissaire français à la stratégie et où il faudrait savoir passer plus de contrats – sinon un Pacte – qui échangent des efforts sociétaux contre des allègements réglementaires dans l’intérêt national. Les termes du conflit sont les mêmes depuis l’origine de la RSE. La communauté ONG ne veut pas faire confiance aux entreprises et considère la responsabilité comme l’extension continue du cadre légal obligatoire ; elle veut donc complexifier sans cesse le champ de l’information à rapporter sans considérer la pertinence des choses. Ce mouvement de légalisation extensive est aussi devenu un jeu parlementaire où il n’est plus de textes qui n’oblige nos entreprises à dire et à faire sur tout. De l’autre côté, l’irritation engendre un discours obsessionnel sur les contraintes de la mondialisation et fait échouer toute tentative d’autorégulation constructive, dans les filières ou au-plan européen, à quelques exceptions près (secteur du ciment, de la propreté, de l’événement…) au point que des organisations professionnelles s’opposent aveuglément aux projets salvateurs de l’OCDE sur la réforme de la fiscalité des multinationales, sur la transparence des impacts locaux, des enjeux sanitaires croissants, après avoir freiné les stratégies de décarbonations ou l’application pollueur –payeur, comme si la gestion des problématiques systémiques ne les concernaient pas. Cette guerre de positions nous coûte cher car elle détériore la gouvernance collective ; elle retarde la mise en place des innovations technologiques et elle freine les dynamiques collaboratives qui sont une partie de la solution. Et il n’est pas de forces conciliatrices pour ralentir la chute, car les syndicats ne croient pas dans la responsabilité volontaire des dirigeants, au vu de leurs comportements salariaux ou de leur refus de penser l’avenir ensemble, et les partis se mettent à la remorque des corporations, restant dans le seul champ de la critique de l’autre, et n’appelant pas la classe dirigeante à l’exemplarité dans la conduite d’un projet national, si tant est qu’on en veuille dans les étages supérieurs. La RSE comme espace de création volontaire et collective d’un modèle durable, est le vrai défi lancé à la gouvernance des entreprises, notamment les plus traditionnelles et les plus secouées par les changements de valeurs et d’usages ; mais c’est aussi un défi adressé aux acteurs de la société civile et politique pour qu’ils ne fassent pas de l’obligation par la loi française leur seule réponse idéologique aux graves problèmes du monde. Reconnaissons que l’Europe a bâti un texte d’information extra-financière bien meilleur que notre catalogue de près de cinquante critères et que la sagesse et l’efficacité serait de s’inscrire dans une loi de principes simples, incitant l’entreprise à éclairer ses enjeux mais à ne pas alourdir leur restitution, au moment où on s’efforce de donner à travers « le rapport intégré » une vision prospective et complète de la stratégie de l’entreprise, pour que ses parties prenantes en saisissent les exactes perspectives.

Faut-il laisser cette coalition des défiances et des peurs détruire une idée qui est la réponse forte à « la faillite de la pensée managériale » démontrée par François Dupuy ? Si la France est le seul pays en Europe à imposer des carcans au lieu d’encourager la durabilité des modèles, et d’y attacher les cadres d’incitation et d’évaluation collectives nécessaires, nous ne serons définitivement pas « concurrentiels ». D’autant que la question posée, au-delà de la transparence des entreprises sur leurs impacts, est celle des outils d’action publique appropriés pour faire en sorte qu’une entreprise engagée durablement dans son territoire – la France en ce qui nous concerne – soit mieux considérée et préférée par les régulateurs, alors que la RSE est tirée uniquement par les investisseurs éclairés aujourd’hui, et occasionnellement par les clients. La convergence entre les choix de marché et les intérêts publics est la question que pose l’économie contemporaine et à laquelle on ne répondra pas par les recettes et les discours d’hier. Nous en appelons à des échanges, des conciliations et des méthodes pragmatiques pour dépasser les positions bloquées et faire en sorte que les chefs d’entreprise conscients des impératifs nationaux et les acteurs civils convaincus que l’économie est déterminante dans l’espace public, s’efforcent enfin de légitimer une « RSE volontaire », comme nos partenaires européens et le reste du monde la vivent. Admettons enfin en France, à partir des démonstrations incontestables des Michelin, Danone et autres Schneider, que l’entreprise est capable de proposer des stratégies durables dignes de ce nom et que c’est la coopération avec les parties prenantes, Etat inclus, qui garantit qu’elles ne sont pas actes de communication mais des inflexions profondes de leur offre et de leur fonctionnement pour bien traiter les enjeux collectifs, qu’on attend d’elles. Nous avons là l’occasion de ressourcer notre culture de management, dans l’esprit du monde de demain, si on le fait le choix d’une RSE encouragée, assumée et véridique.

Patrick d’Humières
www.institutrse.com

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Lundi 11 Mai 2015




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