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Greenspan : « La peur déprime la reprise américaine »

Alan Greenspan, président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, de 1987 à 2006, a publié mercredi dernier une tribune dans le Financial Times intitulée « Fear undermines the American recovery » : la peur déprime la reprise américaine.


Paul Jorion
Paul Jorion
Selon une longue tradition chez lui, qu’il s’agisse de ses discours ou de ses articles, seules deux ou trois phrases en sont immédiatement intelligibles et, comme à leur habitude, ce sont celles-là que les agences de presse se contentent de retenir et de diffuser. Un exemple parmi cent des phrases « moins intuitives » de sa tribune libre : « Durant les quatre décennies les plus récentes, l’investissement en capital fixe en tant que part des flux de trésorerie a été corrélé (négativement) avec le taux du déficit fédéral par rapport au PIB ».

Heureusement pour tous, le lendemain jeudi, Tom Keene, un journaliste de l’agence Bloomberg, eut un entretien d’une heure avec Greenspan, ce qui a permis à ce dernier de lever le voile couvrant certains de ses propos écrits de la veille. Confirmation du caractère énigmatique de l’article de Greenspan : quand Keene lui demanda si une représentation imagée de l’un de ses arguments qu’il lui proposait, était valable, l’ancien patron de la Fed lui répondit que les représentations imagées n’ont souvent aucun sens, et que c’était le cas en particulier de celle que le journaliste venait de lui offrir, et quand celui-ci lui demanda ensuite si l’on pouvait qualifier de « bulle » la préférence actuelle des investisseurs pour la dette à court terme, Greenspan lui répondit que non, puisqu’il s’agissait très précisément du contraire : les bulles révèlent une indifférence au risque de crédit et le cas présent, tout au contraire, une aversion au risque.

Pourquoi, s’interroge Greenspan, les banques commerciales américaines préfèrent-elles déposer mille milliards de dollars dont elles disposent auprès de la Federal Reserve au taux médiocre de 0,25 %, alors qu’elles pourraient sans difficulté prêter ces sommes à court terme au taux significativement plus élevé de 1,75 % ? Seule explication possible dit-il : la conviction des banques que les sommes avancées ne leur seront pas remboursées. Pourquoi, dans ce cas-là, demande Greenspan, envisager – comme le font Ben Bernanke, le président actuel de la Fed, et l’administration Obama – un nouvel assouplissement quantitatif, la création monétaire d’un millier de milliards de dollars supplémentaires, en sus des 1,7 mille milliards de dollars déjà créés dans la première phase de la relance ? Si les banques n’ont aucune intention de les prêter, il ne s’agira, dit-il, que d’« une opération comptable » sans impact favorable sur l’économie.

D’où vient la défiance des banques ? D’une part, affirme Greenspan, des conséquences imprévisibles de la mise en application du « financial overhaul » : en raison du caractère « massif », dit-il, de la loi Dodd-Frank. D’autre part, de la taille même des efforts financiers consentis par le gouvernement, qui suggère immanquablement que seuls des impôts de taille colossale pourront à terme les éponger. Selon un calcul statistique effectué par Greenspan et son équipe, deux tiers des sommes consacrées à la relance auraient été ainsi neutralisées de fait.

La création monétaire doit correspondre à de la richesse créée, souligne Greenspan. Et si cette richesse n’est pas déjà présente, il doit s’agir d’une anticipation correcte de richesse à venir. Aucun droit à l’erreur n’est permis : l’erreur provoque une inflation immaîtrisable, le cauchemar du banquier central. Pourquoi s’exposer à un tel risque, demande encore l’ancien patron de la Fed, alors qu’il s’agit d’abord de débloquer le « trillion » de dollars, parqué à la Fed par les banques ? Ce désaveu – en forme d’avertissement solennel – par Greenspan des nouveaux projets d’assouplissement quantitatif de Bernanke, son successeur à la tête de la Fed, est bien entendu passé totalement inaperçu, logé qu’il est dans quelques phrases alambiquées.

Greenspan préfèrerait que le problème de la dette publique soit résolu par le biais d’une réduction des dépenses plutôt que par la hausse de l’impôt. Devrait-on pourtant se résoudre à augmenter celui-ci, cela ne pourrait se faire, dit-il, que dans les conditions telles que Reagan les avaient définies en son temps : qu’il existe un sentiment dans l’opinion que toutes les couches de la population sont appelées à participer à l’effort de rigueur de manière équitable. Le talent de Georges Papandréou résiderait, selon Greenspan, dans sa capacité à avoir su donner ce sentiment au peuple grec.

Un danger suprême guette, avertit cependant l’ancien patron de la Fed : il existe une taille de la dette publique telle que la capacité de l’État à emprunter davantage se trouvera compromise. Nous ne savons pas où se situe ce seuil dit Greenspan, la seule chose qui soit certaine est que nous nous en rapprochons dangereusement et il cite à ce propos Larry Summers : « La nation la plus emprunteuse au monde peut-elle être aussi la plus puissante ? », et il ajoute : poser la question, c’est y répondre.

La foi dans l’autorégulation des marchés semble revenue à ce libertarien qui se décrit durant l’entretien comme « républicain tendance Goldwater », le plus libertarien en effet des candidats républicains qui affrontèrent jamais un démocrate (Goldwater réalisa face à Lyndon B. Johnson le plus mauvais score d’un républicain en n’obtenant que 38,4 % des votes à l’élection présidentielle de 1964). On sait qu’en octobre 2008, quelques semaines après la faillite de Lehman Brothers qui entraîna à sa suite la chute du système financier tout entier, Greenspan reconnut que « cette fois-ci », la main invisible d’Adam Smith ne s’était pas manifestée et que la poursuite des intérêts particuliers avait trahi l’intérêt général. Il réaffirme aujourd’hui sa foi dans le laissez-faire : observez, dit-il, que le seul secteur financier qu’on ait laissé tranquille, le marché boursier américain se porte très bien.

L’exemple n’est cependant pas aussi convaincant qu’il le souhaiterait puisque depuis le « krach éclair » du 6 mai, les intervenants désertent ce marché (je rappelle que le volume y a baissé de 25 % entre le deuxième et le troisième trimestre de cette année), les plus optimistes d’entre eux en raison de sa prédisposition actuelle au krach, et les plus pessimistes en raison du fait que cette prédisposition pourrait être due aux manipulations de prix qu’autorise le High Frequency Trading (HFT) que j’évoquais ici la semaine dernière.

L’intelligence d’Alan Greenspan ne cessera apparemment d’impressionner qu’au jour de sa mort (il a aujourd’hui 84 ans). Ceci dit, il n’en est pas moins pareil à nous : combinant les jugements éclairés par la raison et ceux égarés par la foi.

(*) Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
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Mardi 12 Octobre 2010




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