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Fragilité intrinsèque des dictatures

Les relatives bonnes performances économiques de l’Egypte et de la Tunisie n’ont pas évité des soulèvements populaires décisifs.


Fragilité intrinsèque des dictatures
LeRapport sur le développement humain 2010 de l’ONU (édition anniversaire de la vingtième année de publication) met en évidence le résultat remarquable des pays musulmans du Moyen- Orient et d’Afrique du Nord. Ainsi la Tunisie est classée sixième parmi 135 pays sur les 40 dernières années, devant la Malaisie, Hong Kong, le Mexique et l’Inde. L’Egypte figure non loin derrière à la 14e place.

L’indice de développement humain (IDH) qui permet d’établir ce classement prend en compte non seulement la croissance économique, mais aussi la santé et l’éducation. L’Egypte, et encore davantage la Tunisie, se sont montrées performantes en terme de croissance, mais aussi particulièrement brillantes à l’aune de ces autres paramètres. Avec une espérance de vie de 74 ans, la Tunisie devance la Hongrie et l’Estonie, des pays plus de deux fois plus riches. 69% des enfants égyptiens sont scolarisés, un taux voisin de celui de la Malaisie pourtant bien plus riche. Manifestement l’Etat tunisien et l’Etat égyptien n’ont pas négligé la protection sociale et ont largement redistribué les bénéfices de la croissance. Mais en fin de compte, cela n’a pas eu d’importance. Pour paraphraser Howard Beale, on peut dire que les peuples tunisiens et égyptiens étaient fous de colère contre leur gouvernement et n’étaient pas disposés à le subir encore longtemps. Si le président tunisien Ben Ali et le président égyptien Moubarak comptaient sur la croissance économique pour assurer leur popularité, ils doivent être bien déçus.

L’annus mirabilis du monde arabe montre que réussite économique et politique ne vont pas nécessairement de pair. Il est vrai que la plupart des pays riches sont démocratiques, pourtant la démocratie n’est ni nécessaire ni suffisante pour garantir le développement économique à long terme.

Bien qu’ayant réalisé des progrès économiques, la Tunisie, l’Egypte et beaucoup d’autres pays du Moyen-Orient sont restés sous l’emprise de régimes autoritaires avec à leur tête des cliques corrompues s’appuyant sur le clientélisme et le népotisme. Leur classement en terme de développement humain est en décalage total par rapport à la corruption de ces régimes et au système policier sur lequel ils reposent. Selon l’ONG Freedom House, avant la Révolution de jasmin «les autorités harcelaient, arrêtaient et emprisonnaient les journalistes, les blogueurs, les militants des droits de l’homme et les opposants ». L’Egypte se trouvait au 111° rang parmi 180 pays dans le classement 2009 sur la corruption réalisé par Transparency International.

Bien entendu la réciproque est vraie: l’Inde qui connaît la démocratie depuis son indépendance en 1947 n’a commencé à échapper à son minuscule «taux de croissance hindou» qu’au début des années 1980.

Les événements de Tunisie et d’Egypte montrent qu’une croissance économique rapide ne suffit pas à garantir la stabilité politique si elle ne s’accompagne pas du développement et de la maturation des institutions politiques. La croissance économique engendre une forme de mobilisation sociale et économique, source en elle-même d’instabilité politique.

Ainsi que le politologue Samuel Huntington (décédé en 2008) l’a formulé il y a plus de 40 ans, «le changement social et politique (l’urbanisation, l’alphabétisation, l’éducation et la diffusion croissante de l’information) engendre la multiplication des exigences en matière politique et élargit la participation à la vie publique». Si l’on ajoute à cela les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, le changement économique rapide met en mouvement des forces sociales capables de déstabiliser un régime.

Ces forces sont encore plus puissantes quand le fossé entre mobilisation sociale et qualité des institutions politiques s’élargit. Lorsque ces dernières fonctionnent correctement, elles répondent aux exigences populaires par une combinaison d’ajustements, de concessions et de droit à la représentation de la population. Quand ce n’est pas le cas, elles opposent une réponse de non-recevoir dans l’espoir que la demande populaire va s’atténuer ou disparaître grâce au développement économique. Les événements du Moyen-Orient montrent que la situation peu prendre une tournure très différente.

Les protestataires de Tunis et du Caire ne manifestaient pas contre une situation économique insatisfaisante ou un manque de protection sociale. Ils se dressaient contre des régimes politiques qui ne leur donnaient pas droit à la parole et qu’ils estimaient coupés du peuple, arbitraires, et corrompus. Un régime politique capable de faire face à ces pressions n’a pas besoin d’être démocratique au sens occidental du terme. On peut imaginer des systèmes politiques sans élection libre et sans véritable pluripartisme. On cite parfois Oman et Singapour comme exemple de régimes autoritaires qui résistent face à des changements économiques rapides. C’est peut-être le cas. Mais la démocratie de type occidental constitue la seule forme de système politique à avoir fait ses preuves dans la durée.

Cela nous amène à la Chine. Au maximum des manifestations en Egypte, lorsque les internautes chinois faisaient une recherche sur les mots «Egypte» ou «Le Caire» ils tombaient sur un message annonçant qu’il n’y avait aucun résultat. De toute évidence le gouvernement chinois ne voulait pas que la population sache ce qui se passe en Egypte, de crainte que cela ne lui donne de mauvaises idées. Les dirigeants chinois n’ont pas oublié les événements de la place Tiananmen de 1989 et veulent éviter leur répétition.

La Chine n’est ni la Tunisie ni l’Egypte. Le gouvernement chinois a fait des ouvertures en faveur de la démocratie locale et a pris des mesures sévères contre la corruption. Malgré cela, des manifestations de mécontentement ont eu lieu tout au long de la dernière décennie. Le gouvernement en a recensé 87000 en 2005, dernière année pour laquelle il a fourni des chiffres - ce qui laisse à penser que leur nombre a augmenté depuis. Les dissidents contestent la suprématie du parti communiste à leurs risques et périls.

Les dirigeants chinois comptent sur une rapide élévation du niveau de vie et la création d’emplois pour jouer le rôle de soupape de sécurité à l’égard des tensions sociales et politiques en fermentation. C’est pourquoi ils visent à une croissance d’au moins 8% par an - le nombre magique susceptible croient-ils de contenir la contestation.

Mais l’Egypte et la Tunisie viennent d’adresser un message glacial à la Chine et aux autres régimes autoritaires : ne comptez pas sur les progrès économiques pour rester éternellement au pouvoir.

L’Agefi, quotidien de l’Agence économique et financière à Genève
www.agefi.com

Vendredi 18 Février 2011




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