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Electricité : le vrai coût de la renaissance nucléaire

Ce sera peut-être une des aventures industrielles du XXIème siècle. C'est déjà une conséquence manifeste de la grande peur provoquée par le réchauffement climatique. C’est peut-être aussi le meilleur moyen, pour les économies, d'atténuer leur empreinte carbone, de réduire leur dépendance à l'égard du pétrole et de rogner dans leur facture énergétique.


Electricité : le vrai coût de la renaissance nucléaire
Partout à travers le monde – ou presque – l’électricité d’origine nucléaire amorce son grand retour. Après avoir incarné le mal absolu et un niveau inacceptable de danger, le nucléaire apparaît désormais dans un nombre croissant de pays comme l’énergie propre et abordable de l’avenir. Les opinions publiques ont digéré l’accident de Three Mile Island (1979) et la catastrophe de Tchernobyl (1986). Les adversaires traditionnels de l’atome ont de plus en plus de difficultés à faire entendre leurs arguments, surtout depuis que quatre des plus virulents militants antinucléaires des années 70, parmi lesquels Stephen Tindale, l’ex-directeur exécutif de Greenpeace au Royaume-Uni, ont fait publiquement volte-face en 2009 dans une tribune explosive publiée par The Independent.

En 2010, 438 réacteurs nucléaires sont en opération dans 31 pays et 44 unités sont en construction. Le Brésil, qui poursuivait deux programmes nucléaires en 2008, prévoit d’en accueillir plus de 40 en 2060 et peut être 330 en 2100. La Chine prend résolument la même direction : de 8 centrales en 2008, elle prévoit d’en abriter plus de 500 en 2100. La France, qui reste le second parc en nombre de réacteurs actifs, derrière les Etats-Unis, possède déjà un parc installé de 63 centrales et pourrait en construire une dizaine de plus d’ici à 2030, si les responsables politiques le jugent économiquement nécessaire et financièrement possible. André Pineau, fondateur de la chaire “Matériaux du Nucléaire” de Mines ParisTech, rappelle les enjeux : «Tout dépend de l’avenir que l’on souhaite pour le pays. Si on veut inverser la désindustrialisation et retrouver les niveaux de l’Allemagne (l’industrie y fournit 32 % du PIB contre 16 % en France), alors oui, il faut de nouvelles centrales. Si nous allons vers un parc important de voitures électriques, il en faut aussi. Sinon, pourquoi ? L’énergie électrique est un moyen au service d’une politique».

Deux pays industrialisés illustrent tout particulièrement le grand retournement attendu pour les prochaines années. D’abord, l’Italie. En 2010, ce pays est le seul du G8 à ne posséder aucune centrale nucléaire en activité, ses quatre unités ayant été stoppées dans le sillage d’un referendum organisé après Tchernobyl. Le gouvernement de Silvio Berlusconi prévoit d’en construire huit avant 2030, qui produiraient à terme 25 % de l’électricité consommée dans le pays. Aujourd’hui, 54 % de l’électricité italienne provient du gaz, importé pour l’essentiel de Libye et de Russie. Un ministre italien estimait en août 2010 que la sortie du nucléaire avait coûté à l’Italie « plus de 50 milliards d’euros ».

Pour sa part, le Royaume Uni évolue rapidement. En août 2010, le gouvernement de James Cameron a révélé que le pays ouvrirait en 2018 sa première centrale nucléaire depuis des décennies. L’initiative est d’autant plus remarquable qu’elle a été annoncée par Chris Huhne, le secrétaire d’Etat (libéral démocrate) britannique à l’Energie et au Changement Climatique, un défenseur acharné de l’environnement.

Dans l’Union européenne, la relance du nucléaire n’allait pas de soi. Si L’Europe à Six avait rédigé le traité Euratom (1957) dans l’espoir – sévèrement déçu – de refaire pour le nucléaire ce qu’elle avait réussi pour le charbon et l’acier, les élargissements successifs ont fait trébucher la doctrine des pères fondateurs. Avec l’entrée de l’Irlande (1973) et de l’Autriche (1994), ce sont deux pays foncièrement antinucléaires qui faisaient leur entrée dans le club européen. Depuis, la diplomatie de Vienne repose presque entièrement sur son opposition à l’électricité nucléaire.

Il a fallu attendre l’élargissement de 2004 et l’entrée dans l’Union des pays de l’est pour voir le balancier repartir dans l’autre sens. La Pologne, la Slovaquie, la République Tchèque (qui lance cette année un appel d’offres pour deux réacteurs supplémentaires à Temelin) n’ont aucune prévention contre le nucléaire, bien au contraire. Entre temps, à Bruxelles, la pensée dominante, obsédée de consensus, était restée plutôt hostile au nucléaire, jusqu’à ce que la commissaire à l’Energie et aux Transports, Loyola de Palacio, publie en 2002 un livre Vert qui recommandait de considérer l’option nucléaire au nom de l’indépendance énergétique, de la compétitivité et de l’environnement.

Si la planète veut vraiment réduire ses émissions de CO2 de moitié d’ici 2050, explique un rapport de l’agence Internationale de l’Energie (AIE), associée pour l’occasion au G8, à l’agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE et à l’Association nucléaire mondiale (WNA), le parc nucléaire mondial devra produire 1200 gWh en 2050. En clair, il faudrait que le rythme de construction de nouvelles centrales double d’ici 2020 pour atteindre 20 nouveaux chantiers par an. Si cet effort est réalisé, 24 % de l’électricité mondiale serait nucléaire en 2050. La fourchette haute de l’estimation met ce ratio à 38 %, avec 1900 GWh installés en 2050. Les « ultras » du nucléaire trouvent ces chiffres encore bien trop timorés. Ils comptent sur l’Inde et la Chine pour les dépasser rapidement, et tablent sur une production électronucléaire globale de 3000 GWh en 2050.

Pour accompagner cette gigantesque vague de construction, les gouvernements, les industriels et les institutions financières vont devoir faire preuve d’imagination. Dans une étude publiée en août 2010, Robert Grimes (Centre for nuclear engineering, Imperial College, Londres) et William Nuttall (Judge Business School, Cambridge) évoquent de nombreuses pistes. Ils suggèrent par exemple la construction de réacteurs portatifs qui, en fin de vie, pourraient être restitués en toute sécurité au fabricant qui les recyclerait, ce qui éviterait au pays acheteur le problème de la gestion des déchets. On pourrait même concevoir des centrales « scellées » qui fonctionneraient sans réapprovisionnement pendant environ 40 ans avant d’être retournées au fabricant. Avantages : moins de risque d’irradiation pour les personnels et moins de risque de prolifération, puisqu’il n’y aurait pas de transfert de technologie.

La fabrication généralisée de pièces détachées permettrait de porter la durée de vie des centrales de 40-50 ans à 70 ans. Car les pays déjà nucléaires vont devoir prolonger leurs centrales. En septembre 2010, l’Allemagne a annoncé le prolongement des siennes : de douze à quatorze ans, selon les modèles. La France est dans le même état d’esprit.

Pour les pays décidant de se lancer dans l’électricité nucléaire, les deux chercheurs proposent des centrales nucléaires embarquées sur des navires mouillés au large des côtes qui alimenteraient en électricité les villes avoisinantes. Pour un coût bien moindre que la construction d’une centrale classique.

Il faudra par ailleurs, poursuivent les auteurs, inventer des réacteurs plus efficaces. En 2010, la plupart des pays abritent des réacteurs à eau légère qui n’utilisent qu’une petite partie de l’uranium pour la production de l’électricité. Des Réacteurs à Neutrons Rapides, dits de 4ème génération, expliquent Grimes et Nuttall, pourraient exploiter l’uranium de manière quinze fois plus efficace, ce qui aurait pour corollaire supplémentaire de repousser l’extinction de cette matière première.

Car pour entrer dans les faits, la renaissance nucléaire aura besoin de beaucoup d‘uranium. Le débat fait rage, entre les spécialistes, sur le risque de pénurie. D’un côté, un expert comme Jan Slezak, de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA), affirme que les réserves sont capables de répondre à la demande pour au moins un siècle, surtout si on introduit dans l’équation une accélération du rythme d’extraction dans les mines du Kazakhstan, le recyclage de l’uranium et le recours aux réacteurs à thorium, un minerai qui existe en abondance (non fissile en tant que tel, le thorium-232 placé dans un réacteur peut capturer des neutrons et donner du thorium-233 fissile ). De l’autre, quelques chercheurs jugent que la cote d’alerte est déjà atteinte. Michael Dittmar de l’Institut Fédéral Suisse de Technologie de Zurich, explique que des 65 000 tonnes consommées chaque année par l’industrie, 40 000 tonnes proviennent des mines, le reste provenant de « sources secondaires » qui risquent de se tarir. Selon Dittmar, qui travaille au Cern de Genève, les stocks occidentaux d’uranium seront à sec dès 2013, ce qui condamne de facto, selon lui, tout espoir de renaissance nucléaire. C‘est une thèse qu’il est presque seul à défendre.

En revanche, il est important d’affecter aux espoirs de « renaissance » des probabilités raisonnables. Si le nucléaire connait une vogue indéniable, d’autres formes d’énergie aussi. Le gaz, et en particulier le gaz non conventionnel, sont à la mode. Le charbon est à nouveau en odeur de sainteté, une bonne nouvelle pour des pays comme l’Inde et la Chine, dont le sous-sol regorge de charbon, et même pour les Etats-Unis, où Barack Obama se révèle un avocat fervent du charbon dit « propre » (grâce à la captation de CO2 et à la méthanisation).

Nul doute, enfin, que la réputation retrouvée du nucléaire doit beaucoup à sa réputation de compétitivité : en dépit d’investissements initiaux massifs, ces derniers sont amortis assez vite (environ quinze ans). Mais la question demeure : combien coûte vraiment le nucléaire, comparé aux autres formes d’énergie ? Le monde peut il s’offrir cette « renaissance » ? La plupart des experts s’accordent sur le fait que le nucléaire est compétitif par rapport aux autres énergies à faible empreinte carbone. Un exemple parmi d’autres : le « Mesa Wind project », un des volets du plan énergétique conçu en 2008 par l’Américain T. Boone Pickens, aurait coûté 16 milliards de dollars, pour la même production électrique qu’un réacteur nucléaire estimé entre 6 et 10 milliards de dollars.

Le département américain de L’Energie calculait récemment, en se fondant sur la valeur actuelle des investissements à consentir pour construire et opérer les centrales, que le nucléaire est meilleur marché que l’éolien « on shore » (de 20%), que l’éolien « off shore » (de 38%), que le solaire photovoltaïque (de 70 %) et même que l’hydroélectricité (de 1 % seulement). En France, le ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer, affirme que le nucléaire est la filière la plus compétitive pour la production électrique en base et que ceci resterait vrai même si les investissements connaissaient des surcoûts de 10 à 40%.

Toutefois, il n’ y a pas de miracle : la compétitivité de l’énergie nucléaire n’est pas un absolu. Elle dépend de plusieurs paramètres que rappelle Jan Horst Keppler, économiste dans la division de l’AEN consacrée au développement de l’énergie nucléaire. Selon lui, « la compétitivité réelle de l’énergie nucléaire ne peut pas être déterminée une fois pour toutes ». Elle fait partie d’un écosystème : dans tout environnement où les taux d’intérêt sont faibles, les prix du carbone élevés et les prix de l’électricité stables, la compétitivité de l’énergie nucléaire est manifeste. En revanche, dans un environnement où les coûts de financement seraient élevés, les prix du carbone faibles ou nuls et les prix de l’électricité volatils (on peut stopper une centrale à gaz provisoirement non rentable, pas une centrale nucléaire !), le dossier économique de l’énergie nucléaire serait beaucoup plus difficile à défendre. Les deux observations s’appliquent d’ailleurs aussi bien aux énergies renouvelables. Comme l’énergie nucléaire, ces dernières sont des technologies dont les coûts fixes sont élevés et qui rejettent peu de carbone.

Keppler a calculé l’impact d’une variation des taux d’intérêt sur le poids que les investissements initiaux représentent dans le coût total d’une centrale pendant sa durée de vie. Quand les taux passent de 5 % à 10 %, ce poids passe de 11% à 17 % pour une centrale à gaz, de 26 % à 40 % pour une centrale à charbon, de 59% à 76 % pour une centrale nucléaire et de 78 % à 85 % pour un parc éolien. Les conditions de financement sont donc bien plus déterminantes pour le nucléaire.

Enfin, il convient de mentionner deux facteurs de coût, inconnus à ce jour mais qui pourraient, le jour venu, peser lourd : le coût du démantèlement des centrales et celui de la gestion et du retraitement des déchets. Dans certains scénarios, qui reposent sur un durcissement accéléré des réglementations environnementales en Europe, les surcoûts induits se chiffreraient en dizaines de milliards de dollars et compromettraient définitivement la profitabilité globale de la filière.

Ne nous faisons pas d’illusions. Cette fois, la compétitivité économique de l’énergie nucléaire sera déterminante, bien plus que lors de la première vague de construction, il y a un demi-siècle. D’abord parce que la vaste libéralisation des marchés de l’énergie, surtout dans les pays de l’Ocde, tend à renforcer le rôle des critères de nature commerciale dans les choix des technologies. Ensuite parce que la renaissance devra séduire non seulement les Etats mais aussi les investisseurs privés.

References
Nuclear power ? Yes please... (Steve Connor, The Independent, 23/02/2009)
Generating the Option of a Two-Stage Nuclear Renaissance (Robin W. Grimes and William J. Nuttall, Science, 13/08/2010)


Mercredi 6 Octobre 2010




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