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Comment maîtriser les budgets informatiques ?

« Une chose n'a pas une valeur parce qu'elle coûte, comme on le suppose, mais elle coûte parce qu'elle a une valeur» (Etienne de Condillac).


Serge Masanovic
Serge Masanovic
Question – De plus en plus de dirigeants s’intéressent aux budgets SI. Est-ce une conséquence de la crise économique et financière ? Est-ce une tendance plus profonde ?

Pour comprendre ce changement, il faut partir de l’informatisation des entreprises sur les 3 dernières décennies.

Partons des années 80, qui correspondent à une phase de diffusion progressive des outils informatiques, en particulier via le poste de travail et les grands systèmes. On ne parle pas encore de « système d’information » mais d’informatique. La DSI n’existe pas. L’informatique n’a pas systématiquement de Direction et de budget en propre. Les informaticiens sont logés au sein des DOSI (Direction de l’Organisation et de Systèmes Informatiques), des DOI (Direction de l’Organisation et de l’Informatique) et, plus rarement, des DI (Direction Informatique).

Dans les années 90, les outils informatiques dépassent le « poste de travail » et s’installent au cœur des processus de l’entreprise : informatisation rime avec automatisation, sous l’impulsion des progiciels, et tout particulièrement des ERP. Les coûts informatiques et les dépenses de service explosent, les projets « An 2000 » et « Euro » contribuant à rendre l’addition « salée ». Les entreprises tentent de s’organiser face à cette déferlante, empruntant beaucoup au secteur du BTP : maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, organisation en mode projet… En réalité, les années 90 constituent une transition entre ce qui était encore une activité marginale dans les années 80 et ce qui va devenir une activité stratégique.

C’est à partir des années 2000 que l’expression « Système d’Information » s’impose et remplace le terme « informatique ». Cette remarque sémantique n’est pas neutre. Elle traduit l’ancrage des outils informatiques dans tous les métiers de l’entreprise, au-delà des fonctions supports qui ont été les premières cibles. Aujourd’hui, l’entreprise est informatisée du sol au plafond. Face à la multiplication des projets SI et à l’inscription de la « technique » au cœur des processus, les entreprises ont réagi pour maîtriser la croissance des SI et la prolifération des demandes : création des DSI, mise en place de programmes d’urbanisation, d’une gouvernance SI et d’une gestion de portefeuilles de projets. Les réflexions actuelles se concentrent sur deux axes : (1) l’évolution des relations entre les métiers et la DSI, pour dépasser le cadre des relations MOA / MOE qui a montré ses faiblesses et ses limites ; (2) la mise en place de « business case » projet, pour mieux appréhender la valeur ajoutée prévisionnelle du projet, faciliter la prise de décision et obliger les équipes à inclure dans leurs travaux la mesure de la performance.

Très logiquement, la prochaine étape devrait consister à organiser, structurer et outiller le « pilotage économique » des SI, dont le « business case » constitue la première brique.

Pour répondre à votre question initiale, la crise actuelle est venue anticiper cette nécessité, en mettant l’accent dans un premier temps sur la réduction des coûts du SI. Les efforts pour comprendre et maîtriser ces coûts ne devraient pas disparaître avec la fin de la crise, et s’orienter vers la mise en place d’un contrôle de gestion SI.

Si je vous comprends bien, vous laissez entendre que les budgets SI ne sont pas suffisamment maîtrisés. Pour quelle (s) raison (s) ?

Oui, vous avez raison. Ce n’est d’ailleurs pas un secret. Beaucoup de DAF et de DSI partagent et admettent cette réalité.

Il existe de bonnes raisons : la complexité des relations MOA / MOE, les difficultés pour respecter les objectifs des projets, la dispersion et/ou le manque de données budgétaires, la variété des ressources, la multiplicité et la diversité des intervenants internes et externes, les inflexions stratégiques de l’entreprise, les crises conjoncturelles et les divers chantiers règlementaires…

Il existe aussi de mauvaises raisons : la préservation de marges de manœuvre (vivons heureux, vivons cachés !), l’insuffisance du contrôle budgétaire, une faible culture analytique, la déficience du reporting des prestataires, la non prise en compte des coûts cachés…

Bien entendu, le contrôle de gestion SI n’est pas une fin en soi. En revanche, une DSI qui ne dispose pas de contrôle de gestion SI efficace court aujourd’hui de très grands risques.

Quels risques ? Ou, pour le dire autrement, quelle est, selon vous, le véritable enjeu du pilotage budgétaire des SI ?

Vous avez raison, il faut parler réellement d’enjeu. Ce qui est « en jeu » est la flexibilité de la DSI, à travers ses leviers d’action.

Piloter la DSI n’est pas un long fleuve tranquille. A tout instant vous faites face à des inflexions stratégiques, à des demandes, à tous types d’imprévu. Si vous ne disposez pas de leviers d’action suffisants, vous êtes systématiquement pris à la gorge et mis en difficulté.

En synthèse, un véritable contrôle de gestion SI vous offre les leviers suffisants pour piloter vos SI, identifier des gains de productivité, maîtriser les budgets, simuler et évaluer les impacts de nouvelles orientations, externaliser des activités, facturer des services, se comparer aux ratios du marché (benchmarks).

Avouez que l’enjeu est de taille, tout particulièrement en cette période de reprise progressive de l’économie !

Comment la DSI peut-elle réussir à maîtriser l’ensemble de ses budgets SI ? Est-ce réellement possible ? N’est-ce pas un objectif irréaliste ? Quelles sont vos préconisations ?

A notre avis, la meilleure démarche consiste à mettre en œuvre une analyse de la valeur, fondée sur la méthode ABC-ABM.

Partons d’une approche schématique de la DSI, considéré comme un centre de production. Au cœur du système, il y a des processus, des activités et des « injections » de ressources. La DSI acquiert des inputs (produits, services, ressources humaines), les transforme et les délivre sous forme de produits et services, grâce aux processus et activités de transformation. Pour un gestionnaire, un décideur, un manager, toute la difficulté consiste à comprendre, maîtriser et piloter le mécanisme de transformation / de production pour qu’il soit le plus efficace au regard des objectifs fixés.

Dans une approche de type ABC-ABM, on ne parle plus de coûts directs ou de coûts indirects. Les coûts des produits et des services résultent in fine de la consommation d’activités, auxquelles sont rattachées des charges : les activités consomment des ressources ; les produits et services consomment des activités (les clients internes consomment ces produits et services). Cette approche analytique par les activités permet d’identifier les dysfonctionnements d’une organisation en processus, de définir les coûts de revient, de mettre en place des logiques de facturation interne ou externe, de mettre en œuvre un contrôle budgétaire global et détaillé, de disposer d’un outil efficace de simulation (investissement, nouveau produit/service, réorganisation…). Elle constitue une brique essentiel du système de pilotage.

Depuis quelques années, l’analyse ABC-ABM s’est développée pour offrir une solution pragmatique et efficace de suivi et de pilotage de la performance. Sa richesse et sa fécondité sont encore trop méconnues par les dirigeants.

Christophe Coupé
Christophe Coupé
Quels avantages retire-t-on de la mise en œuvre d’une analyse de la valeur sur les SI ?

Pour faire simple, l’analyse de la valeur permet de connaître et de comprendre la manière dont la valeur se créée tout au long du cycle de vie de votre SI. Elle poste sur différents axes : les ressources, les activités et les processus ainsi que les produits et services. Elle vous offre la possibilité d’agir rapidement et efficacement :

- Au niveau des ressources, pour renégocier vos contrats, recourir au financement évolutif pour acquérir des matériels, recourir au off shore, optimiser l’organisation…

- Au niveau des activités, pour arbitrer les projets en fonction de leur création de valeur, « monitorer » les temps et arbitrer entre faire faire et faire…

- Au niveau des produits et services, pour externaliser les services « polluants », rationaliser les choix techniques, refacturer les produits et services en interne…

- Au niveau des clients, pour contrôler les demandes, sensibiliser les utilisateurs et analyser leur satisfaction…

Pour chaque axe, vous disposez, grâce à l’analyse de la valeur, d’une mesure de votre existant, d’une base de simulation et, bien entendu, d’une mesure de vos progrès dès que vous activez un levier.

Quelles sont les difficultés de mise en œuvre d’une telle démarche ? Quels sont les écueils possibles ?

Soyons prudents et réalistes. Cette démarche n’est nullement une solution miracle : il ne faut faire ni trop simple, ni trop compliqué ; il faut la mettre en œuvre avec une optique de travail dans la durée.

- Il n’existe pas de modèle d’analyse ABC-ABM. Il s’agit d’une démarche et de l’application de principes. Il ne s’agit en rien d’une modélisation analytique valable pour toutes les entreprises. Il y aura autant de modèle que d’organisation.

- Comme toute modélisation, l’analyse ABC-ABM doit être manipulée avec prudence, pragmatisme et recherche d’efficacité. La tentation est grande de modéliser les processus le plus finement possible. Très vite vous risquez de mettre en place une « usine à gaz » et de perdre tous les bénéfices attendus.

- La réussite dépend beaucoup de la qualité données, et donc de la maturité de l’entreprise dans la connaissance et la maîtrise de ses processus. Il est en effet beaucoup plus facile de mettre en place un modèle d’analyse ABC-ABM à partir d’une modélisation claire des processus. A ce jour, l’industrie et les activités de transformation sont les plus avancées.

- La mise en place d’une analyse de type ABC-ABM est une démarche itérative. Le modèle repose sur des hypothèses qui devront être confirmées ou infirmées à la marge à chaque itération. De plus, le modèle devra prendre en considération les réorganisations et les inflexions stratégiques.

Combien de temps faut-il pour mettre en œuvre une telle démarche ? Combien cela coûte-t-il ?

Cette démarche doit être menée rapidement, dans une logique d’autofinancement : les premiers résultats obtenus doivent couvrir les dépenses engagées. Dans une logique de démarche itérative et de résultats rapides, il est possible d’obtenir une première itération en 3 à 4 mois, pour un budget moyen de 75 k€. L’entreprise dispose alors d’une « photographie » de sa DSI. Soit cette photographie statique répond à son besoin. Soit elle souhaite mettre en place une analyse de la valeur dynamique (coûts, budgets, études d’impacts…), c’est-à-dire mise à jour régulièrement (mois, trimestre). Il faut alors tenir compte d’un transfert de compétences ou bien d’un accompagnement externe de quelques jours par mois ou par trimestre.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de bénéfices retirés à l’issue de vos missions ?

Pour un leader mondial de l’industrie agroalimentaire, nous avons mis en place un outillage pour suivre les budgets et mesurer les dépenses IT, établir des factures IT. Nous avons identifié des gisements d’économie à très court terme. Par exemple, en réallouant certaines activités, une économie récurrente de 100 k€ / an a été immédiatement réalisée.

Pour une entreprise de haute technologie, nous avons mesuré et comparé la qualité de service d’un infogérant. En analysant le modèle de coût, les processus et les contrats, nous avons révélé deux anomalies majeures : des contrats de TMA inutiles et des prestations surtaxées. Notre client a ainsi pu réduire immédiatement de 3 % le montant total de son contrat d’infogérance, à périmètre et niveau de service identiques.

Dans le cadre du rapprochement de deux entreprises publiques, nous avons réalisé la fusion de leurs modèles budgétaires IT. Nous avons mis en évidence des incohérences au niveau des coûts de maintenance, et accompagné une renégociation des contrats. Notre client a gagné plus de 5% sur sa facture annuelle de la maintenance sous-traitée.

Faut-il se lancer systématiquement dans ce type de démarche ?

L’analyse de la valeur n’est pas une fin en soi. Elle doit répondre à un besoin précis : une réorganisation, une logique de réduction des coûts, une refacturation interne ou externe des services, une volonté d’externaliser…

Quels sont les éventuels freins ?

La principale « réticence » se situe au niveau du management de la DSI, qui a souvent peur de perdre du pouvoir, alors qu’il s’agit de gagner en connaissance, en maîtrise et en capacité pour agir.

Vous parlez finalement peu d’outillage, d’application, quels sont les outils du marché que vous préconisez ?

Soyons sérieux, l’outil n’est toujours qu’un moyen d’automatiser un processus qui fonctionne. Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités. L’essentiel se situe en amont : mettre en place une démarche rigoureuse et robuste, des processus opérationnels et des outils simples. L’automatisation viendra en temps voulu, plus tard. Dans bien des cas, Excel suffit amplement…

Serge MASANOVIC (VCM Conseil – www.vcm-conseil.fr & Christophe COUPE

Serge MASANOVIC, Associé fondateur de VCM Conseil, est un expert en économie des SI. Il intervient pour anticiper les gains et les bénéfices attendus des projets SI, pour identifier les gisements d’économie et enfin pour mesurer et piloter la performance du SI au quotidien.

Christophe COUPE, Ingénieur en Télécommunications, docteur en Economie et consultant, s’intéresse à l’inscription sociale des techniques. Il accompagne les dirigeants et managers pour mesurer la performance et la valeur créée par les projets informatiques.

Lundi 5 Juillet 2010




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