Du périmètre variable de l’invisible
Né du manque de représentativité des normes comptables, le capital immatériel a depuis son origine été associé à la richesse cachée de l’entreprise, cette fraction de sa valeur qui est invisible à la lecture du bilan, c'est-à-dire comptablement inexpliquée. Si cette image est en grande partie valable, il ne faut cependant pas oublier que la valeur d’une entreprise passe aussi par la réévaluation de certains actifs corporels (immobiliers par exemple) dont la valeur comptable avant les normes IFRS pouvait être nulle. Si la part de l’immatériel dans l’invisible n’est donc pas totale, à l’inverse la partie visible devient de plus en plus immatérielle, surtout depuis les IFRS. Avec de nouveaux actifs, comme les relations clientèles, l’immatériel s’est invité avec force dans la valeur comptable. Mais, paradoxalement, la valeur comptable de nos grandes entreprises est devenue majoritairement inexpliquée sous le poids grandissant des goodwill résiduels ! Le périmètre de l’invisible s’élargit donc et renforce l’importance du capital immatériel et l’enjeu de sa mesure.
De l’actif incorporel au capital immatériel
Derrière la question de savoir ce que l’on cherche à valoriser et pourquoi, il y a en fait une distinction à faire entre deux approches : une première, que l’on peut qualifier de globale, de la valeur du capital immatériel et une seconde, plus sélective et indépendante, de la valeur déterminée au niveau de l’actif. Dans ce second cas, il s’agit de déterminer la valeur d’un actif immatériel dans sa définition comptable. C’est en fait ce que l’on appelle communément un actif incorporel (logiciels, marque acquise, brevets, frais de développement, concessions, etc..).
Valorisation des actifs incorporels
Si le contexte est comptable, comme l’enregistrement au bilan des frais de développement ou l’évaluation d’une marque dans le cadre de l’allocation d’un écart d’acquisition, on fera alors appel à des techniques de valorisation reconnues. Elles sont nombreuses et la littérature à leur sujet abondante. Rappelons les principales méthodes : coûts historiques, exonération de redevances, price premium, multiples comparables, cash-flows actualisés etc… Certaines de ces méthodes sont relativement spécifiques à un ou plusieurs types d’actifs, comme le price premium pour les marques. En dehors d’un contexte comptable, l’évaluation d’un actif immatériel reste bien entendu possible avec les mêmes techniques, mais il existe dans ce cas d’autres méthodes en particulier pour les marques qui sont à la base de classements publiés chaque année.
Si la valorisation des actifs incorporels est une discipline mature, dont les techniques sont éprouvées et reconnues, il n’est cependant pas possible d’en déduire une valeur du capital immatériel qui serait la somme des valeurs calculées pour chaque actif. Ceci pour deux raisons majeures : une grande partie du capital immatériel n’a pas de définition comptable au sens d’actif (les hommes, l’organisation, les fournisseurs…) ou en a une mais qui est restrictive (brevet versus technologie) et la disparité des techniques de valorisation (approche par les coûts, par les revenus…) utilisées pour chaque actif ne permet pas de les additionner avec pertinence.
Valorisation du capital immatériel
Pour attribuer une valeur globale au capital immatériel d’une entreprise, il est nécessaire de s’éloigner de la définition comptable de l’actif et d’opter pour une cartographie par grandes familles d’actifs afin d’élargir au maximum le périmètre comme ce qui est publié par l’observatoire. Un tel exercice doit donc s’inscrire dans une approche économique en dehors de toute contrainte réglementaire ou comptable. Il y a deux grandes approches pour valoriser l’ensemble du capital immatériel.
Approche soustractive ou « ex-post »
En partant du principe que la valeur de marché reflète la richesse globale d’une entreprise, en opposition à la valeur comptable qui doit répondre à des contraintes plus normatives qu’économiques, il était tentant de rapprocher la valeur du capital immatériel de l’écart entre la valeur de marché et la valeur comptable.
Cette méthode a l’avantage d’être très facile à utiliser puisqu’il n’y a pas de calcul à effectuer, si ce n’est une soustraction. Elle est d’autant plus simple que l’entreprise étudiée est cotée et donc sa valeur de marché disponible. Ainsi, on a associé le capital immatériel au Q de Tobin (valeur des actions sur montant comptable des actifs), au PBR (Price to book ratio : rapport entre la valeur de marché des capitaux propres et leur valeur comptable). Or si la simplicité de la méthode est évidente, sa pertinence l’est beaucoup moins.
Premièrement, pour prétendre que l’écart entre la valeur comptable et la valeur de marché peut être assimilée à la valeur du capital immatériel, il faudrait que celui-ci soit la seule variable à l’origine de cet écart. Or d’autres comme la liquidité du titre, le caractère « O.P.able » de l’entreprise, la sensibilité de son secteur d’activité aux risques géopolitiques, et plus globalement tous les paramètres qui influent sur la loi de l’offre et de la demande ont une incidence sur le cours de l’action.
Deuxièmement, et indépendamment de la méthode de calcul, il est clair qu’une approche soustractive fournira une valeur globale du capital immatériel sans préciser sa répartition sur les différents actifs qui le composent. Or il est essentiel et riche d’enseignements de comprendre ce qui fait la valeur immatérielle de l’entreprise. Est-ce le capital humain, comme par exemple pour une SSII ? Où est ce la R&D, les brevets, comme dans l’Industrie Pharmaceutique ?
Troisièmement, les normes IFRS ont sensiblement modifié la structure de la valeur comptable et ont réduit la comparabilité des états financiers. En effet, les groupes bancaires ont des PBR faibles car leurs actifs financiers sont évalués à leur valeur de marché (fair value). Les entreprises du secteur des NTIC ont également des PBR faibles mais pour une autre raison : le nombre important d’opérations de croissance externe et le poids croissant des goodwills résiduels non amortissables. Des entreprises donc très « immatérielles » se retrouvent avec des PBR plus faibles que des entreprises industrielles à forte intensité capitalistique.
L’écart entre la valeur de marché et la valeur comptable est en fait un indicateur de l’existence du capital immatériel, mais on ne peut pertinemment pas prétendre qu’il est égal à la valeur de son capital immatériel.
Approche additive ou « ex ante »
Ce type d’approche cherche à déterminer la valeur du capital immatériel comme la somme des valeurs de chacune de ses composantes. Par rapport à la méthode précédente, l’approche additive valorise le capital immatériel indépendamment de la valeur de marché et vise d’ailleurs à la définir, ce qui semble plus logique. Toutefois, une réelle difficulté existe dans cette approche : le processus de création de valeur utilise tous les actifs en même temps et il faut trouver une bonne méthode d’allocation de la valeur créée à chaque actif pour éviter de compter plusieurs fois la même chose et en déduire une valeur d’entreprise anormalement élevée.
Cette complexité a freiné l’émergence d’une méthode fiable. Coincée entre la difficulté de mise en œuvre d’une méthode de valorisation additive et le manque de pertinence de l’approche soustractive, la mesure du capital immatériel a été réduite pendant longtemps à sa dimension qualitative jusqu’à la publication fin 2006 du livre* « Valoriser le capital immatériel » d’Alan Fustec & Bernard Marois.
Les auteurs y développent une méthode originale qui combine évaluation qualitative et valorisation financière du capital immatériel. Totalement déconnectée de la valeur de marché, elle propose un système de valorisation crédible de l’entreprise grâce à une allocation réaliste et non redondante de la valeur créée aux différents actifs matériels et immatériels de l’entreprise. Cette approche s’inscrit donc dans une vision dynamique du capital immatériel qui l’associe au processus de création de valeur. Le capital immatériel se définit ainsi comme étant la capacité actuelle d’une entreprise à dégager des revenus futurs.
Il n’est pas possible de détailler ici la méthode, mais en voici les grandes lignes. Sur la base d’une cartographie du capital immatériel en sept « grands » actifs :
- capital clients
- capital humain
- capital de savoir
- capital de marques
- capital organisationnel
- capital fournisseurs
- système d’information
la méthode réalise une première évaluation qualitative de chacun qui est le résultat d’une analyse très détaillée des mesures des indicateurs et critères constituant l’actif. Cette évaluation se traduit par une notation qui permet d’apprécier la qualité et la pérennité de l’actif, et donc de déterminer un niveau de risque qui servira à la valorisation.
Ensuite pour valoriser l’ensemble du capital immatériel, la méthode se base sur une bipolarité originale, mais qui repose sur une évidence : pour créer de la valeur il faut la rencontre d’une offre et d’une demande. A partir de ce principe, les sept actifs sont classés en deux catégories : ceux qui sont nécessaires à la conception de l’offre, donc des produits, et ceux qui représentent la demande et donc fournissent le cash en contrepartie des produits vendus : ce sont les clients.
Cette distinction est cruciale car elle permet de supprimer le risque de surévaluation. La méthode va donc calculer deux valeurs, celle des actifs d’offre et celle des actifs de demande. En effet, puisque le cash transite entre la demande et l’offre, dès lors que l’on valorise le capital client il est nécessaire de le faire de manière distincte car additionner les valeurs reviendrait à compter deux fois la même chose.
Sur l’aspect technique de la méthode, il s’agit d’une actualisation de revenus futurs. Mais ceux-ci ne sont pas déterminés par rapport à un business plan comme pour un DCF (Discounted cash-flows), mais par rapport au cash-flow réel (actuel) de l’entreprise. Si celui–ci peut être affecté en totalité au capital client qui en est la seule source, il doit être affecté aux actifs d’offre proportionnellement à leur importance dans le processus de création de valeur. La méthode de valorisation de chaque actif est ensuite la même : détermination des cash-flows futurs par rapport à l’évaluation de la pérennité de l’actif et actualisation par rapport au risque. Ces deux paramètres ayant été établis comme nous l’avons vu lors de l’évaluation qualitative (notation).
La méthode ne détermine donc pas une valeur absolue du capital immatériel, mais une valeur relative qui se situe dans une fourchette dont la valeur médiane peut être considérée comme une valeur théorique du capital immatériel. L’analyse de l’écart entre les deux valeurs obtenues apporte par ailleurs un éclairage intéressant. Si la valeur des actifs de demande est nettement supérieure à celle des actifs d’offre, on peut craindre une dégradation des performances de l’entreprise dans l’avenir : les clients de l’entreprise sont « fidèles nombreux et riches » mais le potentiel de l’offre est fragile et peut se révéler insuffisant pour entretenir l’intérêt des clients dans la durée. A l’inverse, si les actifs d’offre ont une valeur nettement supérieure à celle du capital client (actif de demande) cela signifie que l’entreprise « en a sous le pied », au regard de sa performance actuelle et qu’il est probable qu’elle recrute de nouveaux clients dans l’avenir.
Valorisé sur la base des revenus futurs qu’il peut engendrer, le capital immatériel offre à l’évaluateur d’entreprises une nouvelle méthode qui complète celles qu’il utilise habituellement. Elle lui permet en particulier de confronter ce résultat à celui issu d’un DCF et de se forger une opinion sur la crédibilité du business plan qu’on lui propose.
Conclusion
Si la valorisation des actifs incorporels pris séparément ne pose pas de difficultés majeures, la détermination de la valeur de l’ensemble du patrimoine immatériel de l’entreprise est un tout autre enjeu. Longtemps impossible, la valorisation additive du capital immatériel, si elle est une approche encore balbutiante et imparfaite, permet au dirigeant d’établir un premier lien entre son action visant à faire progresser ses actifs immatériels et la valeur de l’entreprise.
Didier DUMONT
Directeur Associé, Goodwill Management
didier.dumont@goodwill-management.com
06.80.87.19.78
* : « Valoriser le capital immatériel », de Alan Fustec & Bernard Marois, Editions d’Organisation, 2006
Ce livre a reçu le Prix Spécial du jury Turgot récompensant le meilleur ouvrage financier de l’année.
Né du manque de représentativité des normes comptables, le capital immatériel a depuis son origine été associé à la richesse cachée de l’entreprise, cette fraction de sa valeur qui est invisible à la lecture du bilan, c'est-à-dire comptablement inexpliquée. Si cette image est en grande partie valable, il ne faut cependant pas oublier que la valeur d’une entreprise passe aussi par la réévaluation de certains actifs corporels (immobiliers par exemple) dont la valeur comptable avant les normes IFRS pouvait être nulle. Si la part de l’immatériel dans l’invisible n’est donc pas totale, à l’inverse la partie visible devient de plus en plus immatérielle, surtout depuis les IFRS. Avec de nouveaux actifs, comme les relations clientèles, l’immatériel s’est invité avec force dans la valeur comptable. Mais, paradoxalement, la valeur comptable de nos grandes entreprises est devenue majoritairement inexpliquée sous le poids grandissant des goodwill résiduels ! Le périmètre de l’invisible s’élargit donc et renforce l’importance du capital immatériel et l’enjeu de sa mesure.
De l’actif incorporel au capital immatériel
Derrière la question de savoir ce que l’on cherche à valoriser et pourquoi, il y a en fait une distinction à faire entre deux approches : une première, que l’on peut qualifier de globale, de la valeur du capital immatériel et une seconde, plus sélective et indépendante, de la valeur déterminée au niveau de l’actif. Dans ce second cas, il s’agit de déterminer la valeur d’un actif immatériel dans sa définition comptable. C’est en fait ce que l’on appelle communément un actif incorporel (logiciels, marque acquise, brevets, frais de développement, concessions, etc..).
Valorisation des actifs incorporels
Si le contexte est comptable, comme l’enregistrement au bilan des frais de développement ou l’évaluation d’une marque dans le cadre de l’allocation d’un écart d’acquisition, on fera alors appel à des techniques de valorisation reconnues. Elles sont nombreuses et la littérature à leur sujet abondante. Rappelons les principales méthodes : coûts historiques, exonération de redevances, price premium, multiples comparables, cash-flows actualisés etc… Certaines de ces méthodes sont relativement spécifiques à un ou plusieurs types d’actifs, comme le price premium pour les marques. En dehors d’un contexte comptable, l’évaluation d’un actif immatériel reste bien entendu possible avec les mêmes techniques, mais il existe dans ce cas d’autres méthodes en particulier pour les marques qui sont à la base de classements publiés chaque année.
Si la valorisation des actifs incorporels est une discipline mature, dont les techniques sont éprouvées et reconnues, il n’est cependant pas possible d’en déduire une valeur du capital immatériel qui serait la somme des valeurs calculées pour chaque actif. Ceci pour deux raisons majeures : une grande partie du capital immatériel n’a pas de définition comptable au sens d’actif (les hommes, l’organisation, les fournisseurs…) ou en a une mais qui est restrictive (brevet versus technologie) et la disparité des techniques de valorisation (approche par les coûts, par les revenus…) utilisées pour chaque actif ne permet pas de les additionner avec pertinence.
Valorisation du capital immatériel
Pour attribuer une valeur globale au capital immatériel d’une entreprise, il est nécessaire de s’éloigner de la définition comptable de l’actif et d’opter pour une cartographie par grandes familles d’actifs afin d’élargir au maximum le périmètre comme ce qui est publié par l’observatoire. Un tel exercice doit donc s’inscrire dans une approche économique en dehors de toute contrainte réglementaire ou comptable. Il y a deux grandes approches pour valoriser l’ensemble du capital immatériel.
Approche soustractive ou « ex-post »
En partant du principe que la valeur de marché reflète la richesse globale d’une entreprise, en opposition à la valeur comptable qui doit répondre à des contraintes plus normatives qu’économiques, il était tentant de rapprocher la valeur du capital immatériel de l’écart entre la valeur de marché et la valeur comptable.
Cette méthode a l’avantage d’être très facile à utiliser puisqu’il n’y a pas de calcul à effectuer, si ce n’est une soustraction. Elle est d’autant plus simple que l’entreprise étudiée est cotée et donc sa valeur de marché disponible. Ainsi, on a associé le capital immatériel au Q de Tobin (valeur des actions sur montant comptable des actifs), au PBR (Price to book ratio : rapport entre la valeur de marché des capitaux propres et leur valeur comptable). Or si la simplicité de la méthode est évidente, sa pertinence l’est beaucoup moins.
Premièrement, pour prétendre que l’écart entre la valeur comptable et la valeur de marché peut être assimilée à la valeur du capital immatériel, il faudrait que celui-ci soit la seule variable à l’origine de cet écart. Or d’autres comme la liquidité du titre, le caractère « O.P.able » de l’entreprise, la sensibilité de son secteur d’activité aux risques géopolitiques, et plus globalement tous les paramètres qui influent sur la loi de l’offre et de la demande ont une incidence sur le cours de l’action.
Deuxièmement, et indépendamment de la méthode de calcul, il est clair qu’une approche soustractive fournira une valeur globale du capital immatériel sans préciser sa répartition sur les différents actifs qui le composent. Or il est essentiel et riche d’enseignements de comprendre ce qui fait la valeur immatérielle de l’entreprise. Est-ce le capital humain, comme par exemple pour une SSII ? Où est ce la R&D, les brevets, comme dans l’Industrie Pharmaceutique ?
Troisièmement, les normes IFRS ont sensiblement modifié la structure de la valeur comptable et ont réduit la comparabilité des états financiers. En effet, les groupes bancaires ont des PBR faibles car leurs actifs financiers sont évalués à leur valeur de marché (fair value). Les entreprises du secteur des NTIC ont également des PBR faibles mais pour une autre raison : le nombre important d’opérations de croissance externe et le poids croissant des goodwills résiduels non amortissables. Des entreprises donc très « immatérielles » se retrouvent avec des PBR plus faibles que des entreprises industrielles à forte intensité capitalistique.
L’écart entre la valeur de marché et la valeur comptable est en fait un indicateur de l’existence du capital immatériel, mais on ne peut pertinemment pas prétendre qu’il est égal à la valeur de son capital immatériel.
Approche additive ou « ex ante »
Ce type d’approche cherche à déterminer la valeur du capital immatériel comme la somme des valeurs de chacune de ses composantes. Par rapport à la méthode précédente, l’approche additive valorise le capital immatériel indépendamment de la valeur de marché et vise d’ailleurs à la définir, ce qui semble plus logique. Toutefois, une réelle difficulté existe dans cette approche : le processus de création de valeur utilise tous les actifs en même temps et il faut trouver une bonne méthode d’allocation de la valeur créée à chaque actif pour éviter de compter plusieurs fois la même chose et en déduire une valeur d’entreprise anormalement élevée.
Cette complexité a freiné l’émergence d’une méthode fiable. Coincée entre la difficulté de mise en œuvre d’une méthode de valorisation additive et le manque de pertinence de l’approche soustractive, la mesure du capital immatériel a été réduite pendant longtemps à sa dimension qualitative jusqu’à la publication fin 2006 du livre* « Valoriser le capital immatériel » d’Alan Fustec & Bernard Marois.
Les auteurs y développent une méthode originale qui combine évaluation qualitative et valorisation financière du capital immatériel. Totalement déconnectée de la valeur de marché, elle propose un système de valorisation crédible de l’entreprise grâce à une allocation réaliste et non redondante de la valeur créée aux différents actifs matériels et immatériels de l’entreprise. Cette approche s’inscrit donc dans une vision dynamique du capital immatériel qui l’associe au processus de création de valeur. Le capital immatériel se définit ainsi comme étant la capacité actuelle d’une entreprise à dégager des revenus futurs.
Il n’est pas possible de détailler ici la méthode, mais en voici les grandes lignes. Sur la base d’une cartographie du capital immatériel en sept « grands » actifs :
- capital clients
- capital humain
- capital de savoir
- capital de marques
- capital organisationnel
- capital fournisseurs
- système d’information
la méthode réalise une première évaluation qualitative de chacun qui est le résultat d’une analyse très détaillée des mesures des indicateurs et critères constituant l’actif. Cette évaluation se traduit par une notation qui permet d’apprécier la qualité et la pérennité de l’actif, et donc de déterminer un niveau de risque qui servira à la valorisation.
Ensuite pour valoriser l’ensemble du capital immatériel, la méthode se base sur une bipolarité originale, mais qui repose sur une évidence : pour créer de la valeur il faut la rencontre d’une offre et d’une demande. A partir de ce principe, les sept actifs sont classés en deux catégories : ceux qui sont nécessaires à la conception de l’offre, donc des produits, et ceux qui représentent la demande et donc fournissent le cash en contrepartie des produits vendus : ce sont les clients.
Cette distinction est cruciale car elle permet de supprimer le risque de surévaluation. La méthode va donc calculer deux valeurs, celle des actifs d’offre et celle des actifs de demande. En effet, puisque le cash transite entre la demande et l’offre, dès lors que l’on valorise le capital client il est nécessaire de le faire de manière distincte car additionner les valeurs reviendrait à compter deux fois la même chose.
Sur l’aspect technique de la méthode, il s’agit d’une actualisation de revenus futurs. Mais ceux-ci ne sont pas déterminés par rapport à un business plan comme pour un DCF (Discounted cash-flows), mais par rapport au cash-flow réel (actuel) de l’entreprise. Si celui–ci peut être affecté en totalité au capital client qui en est la seule source, il doit être affecté aux actifs d’offre proportionnellement à leur importance dans le processus de création de valeur. La méthode de valorisation de chaque actif est ensuite la même : détermination des cash-flows futurs par rapport à l’évaluation de la pérennité de l’actif et actualisation par rapport au risque. Ces deux paramètres ayant été établis comme nous l’avons vu lors de l’évaluation qualitative (notation).
La méthode ne détermine donc pas une valeur absolue du capital immatériel, mais une valeur relative qui se situe dans une fourchette dont la valeur médiane peut être considérée comme une valeur théorique du capital immatériel. L’analyse de l’écart entre les deux valeurs obtenues apporte par ailleurs un éclairage intéressant. Si la valeur des actifs de demande est nettement supérieure à celle des actifs d’offre, on peut craindre une dégradation des performances de l’entreprise dans l’avenir : les clients de l’entreprise sont « fidèles nombreux et riches » mais le potentiel de l’offre est fragile et peut se révéler insuffisant pour entretenir l’intérêt des clients dans la durée. A l’inverse, si les actifs d’offre ont une valeur nettement supérieure à celle du capital client (actif de demande) cela signifie que l’entreprise « en a sous le pied », au regard de sa performance actuelle et qu’il est probable qu’elle recrute de nouveaux clients dans l’avenir.
Valorisé sur la base des revenus futurs qu’il peut engendrer, le capital immatériel offre à l’évaluateur d’entreprises une nouvelle méthode qui complète celles qu’il utilise habituellement. Elle lui permet en particulier de confronter ce résultat à celui issu d’un DCF et de se forger une opinion sur la crédibilité du business plan qu’on lui propose.
Conclusion
Si la valorisation des actifs incorporels pris séparément ne pose pas de difficultés majeures, la détermination de la valeur de l’ensemble du patrimoine immatériel de l’entreprise est un tout autre enjeu. Longtemps impossible, la valorisation additive du capital immatériel, si elle est une approche encore balbutiante et imparfaite, permet au dirigeant d’établir un premier lien entre son action visant à faire progresser ses actifs immatériels et la valeur de l’entreprise.
Didier DUMONT
Directeur Associé, Goodwill Management
didier.dumont@goodwill-management.com
06.80.87.19.78
* : « Valoriser le capital immatériel », de Alan Fustec & Bernard Marois, Editions d’Organisation, 2006
Ce livre a reçu le Prix Spécial du jury Turgot récompensant le meilleur ouvrage financier de l’année.
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