L’excédent brut d’exploitation (Ebitda) ? Calculé avant les dépenses de R&D, ou encore de marketing, l’amélioration de ce solde intermédiaire de gestion incite à effectuer des coupes claires dans des investissements pourtant vitaux pour l’entreprise à moyen terme. Un exemple. En se focalisant sur le seul Ebitda, Serge Tchuruk n’a cessé de sabrer dans ses équipes de R&D. Sans surprise, les effets bénéfiques sur les niveaux de marge à court terme d’Alcatel-Lucent ont donc été plus que compensé par le recul de l’activité du fait de la moindre capacité de l’entreprise à répondre aux besoins de son marché. Une stratégie suicidaire, dans un secteur aussi dépendant de l’innovation.
Le cours de Bourse ? Tributaire de facteurs de marché sur lesquels les managers n’ont que peu de prises, ce critère amène les dirigeants à répondre en priorité aux exigences des analystes et d’investisseurs de plus en plus volages. Surtout, la valorisation boursière les désavantage en cas de mouvement soudain d’aversion pour le risque ou de retournement conjoncturel, comme aujourd’hui, et les favorise à l’excès lors de tendances haussières, et notamment lors de la constitution de bulles. Le retour sur investissement (RoE) ? Arbitrairement exigé à 15% pendant de nombreuses années, ce critère focalise dangereusement les dirigeants sur les baisses de coûts, dont les conséquences sont plus rapidement visibles que la construction d’une stratégie de développement à long terme.
Au final, ce type de mode de calcul inciterait plus à réduire la voilure qu’à préparer l’avenir. Or justement, le parcours boursier d’une entreprise dépend avant tout des choix stratégiques décidés au cours des années précédentes. Essilor International ou Air Liquide ne surperformeraient pas leurs indices de référence avec autant de force et depuis si longtemps si leurs dirigeants ne s’étaient pas attelés à bâtir une stratégie ambitieuse, fruit d’une vision générale de leur métier à long terme, afin de préparer leur entreprise aux rapides mutations en cours de leur secteur. Autre écueil, ce mode de calcul désavantage les managers dans des secteurs en crise, comme l’automobile ou le transport aérien, même si ceux-ci n’ont pas démérité par rapport à leurs homologues plus chanceux évoluant dans un secteur porteur, mettons les énergies renouvelables. Rares sont donc les observateurs à contredire l’exigence désormais largement répandue d’une nécessaire refonte des pratiques. Il en va de la pérennisation des entreprises autant que de la moralisation du système. Mais l’apparent consensus s’arrête là. S’agissant de la mise en oeuvre pratique et de la formalisation d’un nouveau mécanisme plus pertinent, peu a finalement été dit. Et pourtant, du choix des critères d’évaluation et des modes de calculs dépendent au final l’intérêt des actionnaires et des salariés.
Quelles seraient donc ces nouvelles pratiques à instaurer ?
Commençons par disqualifier les stock options, qui ont l’inconvénient fâcheux d’accaparer la valeur à venir d’une entreprise, et non de récompenser une valeur effectivement créée. Pertinent pour les jeunes entreprises qui n’ont pas les moyens de rémunérer à leur juste prix les cadres talentueux nécessaires à leur développement, ce mode de rémunération est donc particulièrement néfaste pour les grands groupes. La part fixe du salaire du dirigeant reflétant déjà sa compétence, son expérience et son réseau, autrement dit sa valeur marchande, le bonus doit être à considérer comme un variable bloqué pendant une durée minimum suffisamment longue pour évaluer les résultats concrets de sa stratégie, mettons cinq années. La part de son bonus découlant du travail réalisé pendant une année donnée pourrait ainsi être calculé à la fin de chaque exercice, puis provisionnée et intégrée dans le passif social de l’entreprise jusqu’à son règlement effectif, cinq ans plus tard. De quoi apporter une bonne visibilité, même si le dirigeant devait quitter prématurément l’entreprise.
Reste à identifier les critères d’évaluation qui soient à la fois en mesure d’assurer la pérennité des entreprises et de ne pas désavantager les dirigeants d’un secteur par rapport à un autre. Commençons par les paramètres comptables et financiers.
- A la différence de l’excédent brut d’exploitation (Ebitda), le résultat opérationnel (Ebitd) est calculé avant les investissements en R&D. Ce critère incite donc le dirigeant à mener une gestion saine, sans pour autant l’amener à sacrifier les investissements nécessaires au développement de l’entreprise.
- Un choix stratégique découle d’une vision, et non d’un simple pari. Un dirigeant doit donc logiquement chercher à maximiser la rentabilité à long terme de son entreprise, mais en prenant garde à ne pas lui faire prendre de risques démesurés. Dans ce contexte, une attention continue doit donc être portée au
résultat exceptionnel, dont toute détérioration reflèterait une mauvaise maîtrise des risques.
- Ecart entre le retour sur investissement (RoE) et le coût du capital, la création de valeur donne une indication fidèle de la performance économique d’une entreprise, expurgée de toute considération purement financière.
Dans certains cas, le goodwil peut en effet compter jusqu’aux trois-quarts de la valeur d’une entreprise. Ces outils purement financiers et comptables ne peuvent donc suffire. Dans ces conditions, l’évaluation d’un manager doit également prendre en compte ces paramètres intangibles. Une tâche d’autant plus aisée que beaucoup a été fait au cours des dernières années pour quantifier les actifs immatériels.
- L image et la satisfaction des clients sont un gage de pérennité de l’activité d’une entreprise, indépendamment de ses performances économiques immédiates.
- Un autre actif immatériel, qui découle des deux précédents, est la valeur d’une marque, désormais mesurée par des agences de communication et autres instituts de sondage. Que les performances soient vigoureuses ou non, une marque prestigieuse représente en effet un filet de sécurité particulièrement
appréciable en cas de coup dur, en rendant notamment la société opéable.
- Enfin, l’évolution de la part de marché sur une longue période permet d’estimer la pertinence de choix stratégiques, quel que soit le moment d’un cycle économique. Et ici encore, ce paramètre est d’autant plus facilement mesurable que la valeur d’un client est désormais connue par son coût d’acquisition
moyen.
La liste des critères éligibles est longue et ne s’arrête certainement pas là. Mais si elles sont forcément imparfaites, ces pistes ont en tout cas le mérite de montrer que des solutions pragmatiques et directement applicables existent. La balle est dans le camp des conseils d’administration et de leurs Comités de rémunération pour en affiner l’élaboration, l’évaluation et le panachage. Le timing n’a jamais été aussi opportun.
L A C H R O N I Q U E
Le commentaire mensuel de Delubac Asset Management
Février 2009
Pour une vision structurelle de la cote « Delubac Exceptions et Delubac Exceptions Europe sont deux FCP actions gérés activement selon une conviction forte : seules les sociétés en mesure d’imposer leurs prix parviendront à maintenir durablement leurs marges dans l’environnement économique actuel (baisse des barrières douanières, montée en puissance des places de marchés électroniques, infidélité croissante des consommateurs, émergence des pays producteurs à faible coût de main d’oeuvre…). Notre attention exclusivement portée aux entreprises capables d’affirmer leur « pricing power » nous donne une vision structurelle, à long terme de la cote et affranchit notre gestion des aléas purement conjoncturels des marchés. L’objectif de cette chronique, qui vous sera adressée tous les mois, est d’examiner les grandes mutations en cours au sein de l’économie mondiale sous cet angle novateur, et d’en retenir des enseignements en matière d’investissement. Nous espérons vous faire partager notre conviction. »
Gérard Moulin, gérant actions à la Banque Delubac & Cie
www.delubac.fr
Le cours de Bourse ? Tributaire de facteurs de marché sur lesquels les managers n’ont que peu de prises, ce critère amène les dirigeants à répondre en priorité aux exigences des analystes et d’investisseurs de plus en plus volages. Surtout, la valorisation boursière les désavantage en cas de mouvement soudain d’aversion pour le risque ou de retournement conjoncturel, comme aujourd’hui, et les favorise à l’excès lors de tendances haussières, et notamment lors de la constitution de bulles. Le retour sur investissement (RoE) ? Arbitrairement exigé à 15% pendant de nombreuses années, ce critère focalise dangereusement les dirigeants sur les baisses de coûts, dont les conséquences sont plus rapidement visibles que la construction d’une stratégie de développement à long terme.
Au final, ce type de mode de calcul inciterait plus à réduire la voilure qu’à préparer l’avenir. Or justement, le parcours boursier d’une entreprise dépend avant tout des choix stratégiques décidés au cours des années précédentes. Essilor International ou Air Liquide ne surperformeraient pas leurs indices de référence avec autant de force et depuis si longtemps si leurs dirigeants ne s’étaient pas attelés à bâtir une stratégie ambitieuse, fruit d’une vision générale de leur métier à long terme, afin de préparer leur entreprise aux rapides mutations en cours de leur secteur. Autre écueil, ce mode de calcul désavantage les managers dans des secteurs en crise, comme l’automobile ou le transport aérien, même si ceux-ci n’ont pas démérité par rapport à leurs homologues plus chanceux évoluant dans un secteur porteur, mettons les énergies renouvelables. Rares sont donc les observateurs à contredire l’exigence désormais largement répandue d’une nécessaire refonte des pratiques. Il en va de la pérennisation des entreprises autant que de la moralisation du système. Mais l’apparent consensus s’arrête là. S’agissant de la mise en oeuvre pratique et de la formalisation d’un nouveau mécanisme plus pertinent, peu a finalement été dit. Et pourtant, du choix des critères d’évaluation et des modes de calculs dépendent au final l’intérêt des actionnaires et des salariés.
Quelles seraient donc ces nouvelles pratiques à instaurer ?
Commençons par disqualifier les stock options, qui ont l’inconvénient fâcheux d’accaparer la valeur à venir d’une entreprise, et non de récompenser une valeur effectivement créée. Pertinent pour les jeunes entreprises qui n’ont pas les moyens de rémunérer à leur juste prix les cadres talentueux nécessaires à leur développement, ce mode de rémunération est donc particulièrement néfaste pour les grands groupes. La part fixe du salaire du dirigeant reflétant déjà sa compétence, son expérience et son réseau, autrement dit sa valeur marchande, le bonus doit être à considérer comme un variable bloqué pendant une durée minimum suffisamment longue pour évaluer les résultats concrets de sa stratégie, mettons cinq années. La part de son bonus découlant du travail réalisé pendant une année donnée pourrait ainsi être calculé à la fin de chaque exercice, puis provisionnée et intégrée dans le passif social de l’entreprise jusqu’à son règlement effectif, cinq ans plus tard. De quoi apporter une bonne visibilité, même si le dirigeant devait quitter prématurément l’entreprise.
Reste à identifier les critères d’évaluation qui soient à la fois en mesure d’assurer la pérennité des entreprises et de ne pas désavantager les dirigeants d’un secteur par rapport à un autre. Commençons par les paramètres comptables et financiers.
- A la différence de l’excédent brut d’exploitation (Ebitda), le résultat opérationnel (Ebitd) est calculé avant les investissements en R&D. Ce critère incite donc le dirigeant à mener une gestion saine, sans pour autant l’amener à sacrifier les investissements nécessaires au développement de l’entreprise.
- Un choix stratégique découle d’une vision, et non d’un simple pari. Un dirigeant doit donc logiquement chercher à maximiser la rentabilité à long terme de son entreprise, mais en prenant garde à ne pas lui faire prendre de risques démesurés. Dans ce contexte, une attention continue doit donc être portée au
résultat exceptionnel, dont toute détérioration reflèterait une mauvaise maîtrise des risques.
- Ecart entre le retour sur investissement (RoE) et le coût du capital, la création de valeur donne une indication fidèle de la performance économique d’une entreprise, expurgée de toute considération purement financière.
Dans certains cas, le goodwil peut en effet compter jusqu’aux trois-quarts de la valeur d’une entreprise. Ces outils purement financiers et comptables ne peuvent donc suffire. Dans ces conditions, l’évaluation d’un manager doit également prendre en compte ces paramètres intangibles. Une tâche d’autant plus aisée que beaucoup a été fait au cours des dernières années pour quantifier les actifs immatériels.
- L image et la satisfaction des clients sont un gage de pérennité de l’activité d’une entreprise, indépendamment de ses performances économiques immédiates.
- Un autre actif immatériel, qui découle des deux précédents, est la valeur d’une marque, désormais mesurée par des agences de communication et autres instituts de sondage. Que les performances soient vigoureuses ou non, une marque prestigieuse représente en effet un filet de sécurité particulièrement
appréciable en cas de coup dur, en rendant notamment la société opéable.
- Enfin, l’évolution de la part de marché sur une longue période permet d’estimer la pertinence de choix stratégiques, quel que soit le moment d’un cycle économique. Et ici encore, ce paramètre est d’autant plus facilement mesurable que la valeur d’un client est désormais connue par son coût d’acquisition
moyen.
La liste des critères éligibles est longue et ne s’arrête certainement pas là. Mais si elles sont forcément imparfaites, ces pistes ont en tout cas le mérite de montrer que des solutions pragmatiques et directement applicables existent. La balle est dans le camp des conseils d’administration et de leurs Comités de rémunération pour en affiner l’élaboration, l’évaluation et le panachage. Le timing n’a jamais été aussi opportun.
L A C H R O N I Q U E
Le commentaire mensuel de Delubac Asset Management
Février 2009
Pour une vision structurelle de la cote « Delubac Exceptions et Delubac Exceptions Europe sont deux FCP actions gérés activement selon une conviction forte : seules les sociétés en mesure d’imposer leurs prix parviendront à maintenir durablement leurs marges dans l’environnement économique actuel (baisse des barrières douanières, montée en puissance des places de marchés électroniques, infidélité croissante des consommateurs, émergence des pays producteurs à faible coût de main d’oeuvre…). Notre attention exclusivement portée aux entreprises capables d’affirmer leur « pricing power » nous donne une vision structurelle, à long terme de la cote et affranchit notre gestion des aléas purement conjoncturels des marchés. L’objectif de cette chronique, qui vous sera adressée tous les mois, est d’examiner les grandes mutations en cours au sein de l’économie mondiale sous cet angle novateur, et d’en retenir des enseignements en matière d’investissement. Nous espérons vous faire partager notre conviction. »
Gérard Moulin, gérant actions à la Banque Delubac & Cie
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