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Bernardins : A qui appartient l'Entreprise ?

J'ai pris un congé studieux d'une journée fin avril pour assister au colloque organisé sur le thème : « L'entreprise, forme de la propriété et responsabilités sociales ». Il présentait les conclusions d'un travail de recherche pluridisciplinaire de deux ans par une trentaine de chercheurs organisé sous l'égide du Collège des Bernardins.


Rémy Mahoudeaux
Rémy Mahoudeaux
Outre les synthèses des rapporteurs de ces équipes, des intervenants étrangers étaient amenés à faire part de leurs critiques de ces travaux, et lors de la dernière demi journée, un panel d'acteurs de la vie économique était invité à se positionner par rapport aux résultats et aux propositions formulées. Je vous infligerai quelques microscopiques éclairages sur les idées brassées et les réflexions qu'elles m'inspirent, sans prétendre ni être exhaustif, ni faire œuvre de synthèse, ni même imaginer avoir tout compris !

Un fait paradoxal : l'Entreprise n'existe pas comme objet juridique. Il existe bien une société qui résulte d'un contrat d'association conclu entre des associés et qui conditionne l'existence d'une personne morale privée, mais cette société n'est pas et n'encapsule pas l'entreprise, même si les abus de langage communs témoignent d'un emploi fréquent d'un terme pour l'autre. À un groupe va correspondre une et une seule entreprise, mais avec plusieurs sociétés. La société est certes détentrice d'un certain patrimoine identifiable et le nœud d'engagements reçus et donnés avec des parties prenantes, mais ne saurait détenir ses salariés et les divers savoir-faire et liants qui font qu'une société n'est au mieux qu'une sorte de représentation incomplète de l'entreprise.

A qui appartient l'entreprise ? Un certain Milton Friedman a énoncé en 1970 que l'entreprise appartenait à ses actionnaires. De ce prémisse découle une focalisation exclusive de l'objet social sur la création de valeur actionnariale, une théorie de l'agence où le dirigeant, cet opportuniste, doit « exclusivement » servir ses super principaux que sont les actionnaires, et une gouvernance d'entreprise qui vise à implémenter un rigoureux contrôle de cette chaine d'agences. C'est, dixit le collectif de chercheurs, la source des maux subis par l'économie qui asservit les entreprises aux actionnaires après qu'elles se soient affranchies des dictatures des managers et des clients. Ils appellent cela le Grand Désordre.

Nos chercheurs s'insurgent et s'érigent vigoureusement contre le socle de cette supposée appartenance de l'entreprise aux actionnaires : Non, ils ne sont que les détenteurs de leurs seules actions dans la société, ce qui est différent. Soit, ils ont raison d'être précis et le distinguo est important. Du simple fait de la personnalité morale conférée à la société, il existe une intangible barrière entre le patrimoine de la société et la quote-part de celui-ci qui correspondrait à chaque action détenue. De plus, le droit actuel interdit qu'une « personne » soit détenue. C'est le cas de l'esclavage, où nulle personne physique ne saurait être réduite dans un cadre légal moderne. C'est aussi le cas de l'État ou des personnes morales publiques qui ne sont pas non plus le « patrimoine mutualisé » de concitoyens. Et c'est le cas de la société / entreprise, qui, ès qualité de personne morale, bénéficie de cette impossibilité d'être un « patrimoine » qui serait détenu, quand bien même le langage courant le permettrait. Puisqu'une personne quelque soit sa nature ne peut être réduite à l'état de patrimoine détenu, les sociétés et les entreprises n'appartiennent à personne. CQFD. Je trouve cependant à cet argument un arrière goût de spécieux …

A ce moment, je viens de m' appauvrir considérablement, ayant perdu « ma boite » qui vient subitement de tomber en déshérence, mais je bénéficie du soutien éminent du CEO d'EADS, M. Louis Gallois qui s'insurge, monte au créneau et proclame que les actionnaires détiennent effectivement l'entreprise. J'ai envie de lui donner raison, non pour sauvegarder égoïstement mon patrimoine, mais parce que dans les faits, les actionnaires ont le pouvoir sur l'entreprise et que ce contrôle effectif, qu'il résulte d'un abus de droit ou non, est bien réel et s'impose à toutes les parties prenantes. Là encore, le « substance over form » doit être un garde fou pour nous éviter d'élucubrer de façon trop libre. Je peux admettre qu'il soit discutable sur le fonds qu'une entreprise soit détenue et que la loi soit imparfaite et ambigüe, je peux concevoir que d'autres parties prenantes de l'entreprise puissent prétendre en « détenir » des pans, je peux imaginer qu'un meilleur futur verrait une entreprise indubitablement sujet de droit et donc exclue de toute appartenance, mais le pragmatisme voudrait que nous présentions des faits qui sont patents : Dans la vraie vie, à tort ou à raison, les actionnaires contrôlent (1) et donc détiennent les sociétés et les entreprises.

La première intervention opposait une logique purement fordienne qui voit l'entreprise comme une coordination d'individus à une vision plus moderne et valorisante où des personnes collaborent à un projet d'entreprise, et dénonçait la schizophrénie de notre époque où l'individualisation de la performance est poussée à son paroxysme, mais où jamais le travail n'a demandé un tel niveau d'engagement du salarié et ne lui a procuré d'opportunités d'épanouissement et d'accomplissement personnel.

Parmi les idées qui ont été brassées, il en est une qui, plus que d'autres et de mon humble point de vue, mérite d'être mise en lumière : le prototypage de nouveaux hybrides d'entreprises. Les chercheurs proposent deux pistes qui sont :

(A) Soit d'étendre l'objet social de l'entreprise à des objectifs plus larges que la simple création de valeur actionnariale ; c'est le sens que tente de donner la proposition de loi Californienne sur les « Flexible Purpose Corporations » qui n'auraient plus à se déterminer de façon exclusive entre « faire du profit » et « faire du bien » ;
(B) Soit que le contrat d'association intègre comme partie prenante les (des ?) salariés et les associe à la nomination et au contrôle des dirigeants, tout en imposant que l'objet social ne soit pas au bénéfice exclusif du pourvoyeur de fonds. Sur cette dernière proposition, j'ai quelques doutes et mes cheveux blancs m'ont appris qu'il vaut mieux pas mélanger les genres : permettre aux salariés de contrôler le dirigeant 1 jour sur 365 quand au quotidien ils lui doivent allégeance n'est pas d'une simplicité absolue. Mais un prototype existe pour que les erreurs qu'il met en évidence soient corrigées.

Un des facteurs clefs de succès de l'entreprise résulte effectivement dans la participation à un même affectio societatis des actionnaires, du ou des dirigeants et des salariés. La cogestion à l'Allemande semble avoir de ce point de vue quelques longueurs d'avance.

Il est assez réconfortant pour un praticien (un pratiquant ?) de l'entreprise de constater que des pistes de réflexions originales sont élaborées et proposées au débat pour tenter d'échapper à une financiarisation du monde dont les effets pervers ne sont plus cachés. J'invite tous ceux qui souhaiteraient approfondir la réflexion à se procurer sur le site des Bernardins l'ensemble des actes de ce colloque, puis à lire, commenter et diffuser ce travail qui mérite d'être poursuivi. (2)

(1) C'est bien sûr une affirmation à brule-pourpoint qui mériterait d'être nuancée. Un minoritaire passif n'a aucun pouvoir parce qu'il abandonne celui qu'il détient en droit.
(2) Suivre le lien : http://www.collegedesbernardins.fr/index.php/pole-de-recherche/economie-homme-societe/economie-homme-societe-seminaire.html

Rémy Mahoudeaux
Managing Director, RemSyx

boss@remsyx.com
www.remsyx.com

Mercredi 8 Juin 2011




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