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Une sensibilité plus forte du juge européen à l’évasion fiscale

Au moment où, dans de nombreux pays, les gouvernements durcissent le ton contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, le juge européen vient sans doute, dans une décision d’espèce, de les rassurer sur un plan juridique.


Nicolas Jacquot
Nicolas Jacquot
Dans un arrêt du 11 juin dernier (affaires jointes C-155/08 et C-157/08, X et E.H.A Passenheim-van Schoot), la Cour de Justice des Communautés européennes (« CJCE ») a en effet validé le principe d’un délai de reprise (délai pendant lequel l’administration est en droit de réparer des omissions ou des insuffisances d’imposition) plus long, et celui de pénalités plus lourdes, en cas de dissimulation de revenus dans un autre Etat membre.

Est en cause dans ces affaires un dispositif du droit néerlandais selon lequel, en cas de détention à l’étranger, quel que soit l’Etat, de revenus d’épargne, le délai de reprise est porté de 5 à 12 ans (les pénalités proportionnelles, calculées sur cette période plus longue, étant en outre plus lourdes).

La CJCE, dans un raisonnement dont les étapes sont désormais classiques, relève d’abord qu’une telle réglementation constitue une restriction aux libertés du Traité, en l’occurrence la liberté de prestation de services et la libre circulation de capitaux entre Etats membres. Elle estime ensuite que cette restriction peut être justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux ainsi que par la lutte contre la fraude fiscale. Et enfin, elle considère que le dispositif ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, lorsque l’Etat membre qui le met en place ne dispose d’aucun indice lui permettant de déclencher une enquête et d’avoir recours le cas échéant à l’assistance administrative.

Cette décision revêt une double importance : d’une part quant à la sensibilité de la CJCE quand elle examine des dispositifs fiscaux au regard des objectifs d’efficacité des contrôles fiscaux et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, d’autre part quant à certains régimes fiscaux français.

C’est la dernière étape de son raisonnement, à savoir le contrôle de proportionnalité, qui est en effet notable. Ce n’est pas un hasard si la Cour a d’ailleurs jugé utile de publier un communiqué de presse sur cet arrêt. Il faut dire qu’elle était jusqu’alors relativement réticente à accepter de telles justifications en pratique. L’efficacité des contrôles fiscaux n’a été invoquée avec succès par un Etat membre que dans une affaire ancienne, relative au report de pertes (CJCE, 15 mai 1997, Futura Participations et Singer) et une autre, plus récente, qui concernait la liberté de circulation des capitaux vis-à-vis des pays tiers, c’est-à-dire un cadre juridique très spécifique (CJCE, 18 décembre 2007, Skatteverket contre A). L’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales était quant à lui circonscrit dans des limites relativement strictes, à savoir les montages purement artificiels (CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes), avec une charge de la preuve qui repose généralement sur l’administration.

La décision du 11 juin dernier montre ainsi, par un contrôle de proportionnalité souple, une réceptivité de la CJCE semble-t-il plus importante, dans le contexte actuel, à l’argument de lutte contre l’évasion fiscale. Nul doute en conséquence que les Etats membres se sentiront légitimés, sur le plan juridique, lorsqu’ils décideront de renforcer leur arsenal de mesures destinées à s’attaquer à la fraude fiscale.

Cette décision est en outre intéressante en ce qu’elle peut conduire à valider au regard du droit communautaire, du moins implicitement, les dispositifs français adoptés dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2008 du 30 décembre 2008.

Ainsi, le délai de reprise, usuellement de trois ans, voire de six ans en cas notamment d’activité occulte, a été porté à dix ans lorsque certaines obligations déclaratives concernant une activité menée dans un Etat ou territoire « non coopératif » (c’est-à-dire n’ayant pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires) n’ont pas été respectées. Il s’agit de l’obligation de déclaration des entités financières établies dans un pays à régime fiscal privilégié dans lesquelles une personne physique détient une participation d’au moins 50%, de l’obligation de déclaration des entités établies dans un pays à régime fiscal dans lesquelles une personne morale détient une participation de plus de 50%, ou encore de l’obligation de déclaration des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. De même, la pénalité pour défaut de déclaration de certains comptes dans ces mêmes Etats ou territoires non coopératifs avait été alourdie.

A la différence de ces dispositifs, la réglementation néerlandaise validée par la CJCE s’appliquait en cas de dissimulation de revenus d’épargne dans n’importe quel Etat ou territoire, qu’il soit « coopératif » ou non. Les dispositifs français, plus restreints, s’en trouvent dès lors d’autant plus légitimés au regard du droit communautaire.

Les projets de renforcement des dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale, sur lesquels l’administration fiscale française semble aujourd’hui travailler, s’inscriront à n’en pas douter dans le contexte de l’arrêt de la CJCE du 11 juin dernier.

Nicolas Jacquot, Associé
Landwell & Associés

www.landwell.fr

Mardi 30 Juin 2009




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