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Risques et limites de la finance islamique

Le succès de la finance islamique ne doit pas faire perdre de vue ce qui est généralement pointé comme des difficultés de mise en place. Ces risques sont d’ordre réglementaires, de compétences et d’image.


Jean-Michel Huet
Jean-Michel Huet
Créer un système « parallèle » au système financier conventionnel nécessite de bien comprendre son périmètre d’action, de bien cerner la complémentarité des deux systèmes. Les états ont donc un rôle fort à jouer dans la réglementation encadrant le développement de la finance islamique.

Le premier risque pour les entreprises est d’ordre réglementaire et fiscal : le risque de double imposition. L’islam exige du croyant qu’il paye annuellement la zakat ; cet impôt est calculé sur le patrimoine et nécessite d’être reversé à des œuvres vertueuses. Il s’agit d’une aumône mais également de subventions aux projets améliorant la vie des croyants ou des projets bénéfiques aux conversions. Cet impôt est transférable aux entreprises et aux banques désirant être certifiées « Sharia Compliant » : l’entreprise se doit de participer à cet impôt. Evidemment, le rôle de l’état intervient pour rendre compatible l’impôt conventionnel, laïc, et l’impôt religieux. Les autorités fiscales doivent statuer sur les statuts respectifs de ces deux impôts. Dans les états occidentaux, se pose la question du statut accordé à la Zakat : un choix personnel ou une collaboration à la collectivité ? La Zakat doit-elle être exonérée d’impôts comme un don habituel ? Dans les états religieux, où la Zakat peut être perçue comme une alternative à l’impôt : comment impliquer les entreprises étrangères ? Les citoyens étrangers ? Le statut vis-à-vis de cet impôt est une question épineuse. Il implique des questions fiscales, des questions économiques et des questions politiques. Le choix de chaque état influe directement sur le business model des banques islamiques. Ces dernières doivent être capables d’anticiper les dépenses fiscales, et sont obligées de payer la Zakat afin d’espérer être labelisées « Sharia Compliant ». Permettre une transition vers un modèle financier s’appuyant sur le religieux nécessite une politique de mise en œuvre complexe. Cette transition implique une expertise financière, juridique et religieuse pour permettre de créer un modèle juridique adapté aux besoins des banques et investisseurs respectant la loi financière islamique. Les subtilités sont parfois fines mais nécessitent d’être identifiées et définies. Dans le cadre d’un prêt murabaha, par exemple, l’institution accordant le prêt est propriétaire du bien jusqu’à ce qu’il soit intégralement rachetée par le client ; le bien est malgré tout mis à disposition du client en amont. Il en va de même avec d’autres contrats ou produits. La mousharaka où l’investisseur doit être associé à l’activité de l’entreprise, les obligations/sukuks où l’investissement doit être adossé à un actif défini. Ces contraintes influent peu sur la gestion quotidienne, mais doivent être encadrées juridiquement. Les réglementations n’ont bien souvent été qu’amorcées par les états encore peu positionnés sur ce sujet. C’est ce flou réglementaire et l’absence de jurisprudence qui peut impacter les banques islamiques et leurs clients.

Au-delà de ces risques d’environnement, la question des compétences est aujourd’hui la plus sensible pour les entreprises financières. Dans la finance islamique ce n’est pas l’argent qui manque mais la compétence. Le rôle de la banque dans un système financier islamique est sensiblement différent de celui d’un banquier traditionnel : il doit non seulement comprendre les besoins financiers de ses entreprises clientes, mais également s’impliquer dans leur gestion au quotidien. Le principe de partage des profits et des pertes implique d’encourager les investisseurs et les banques à s’impliquer dans la gestion des entreprises clientes. Dans un cas de pertes, celle-ci doivent être partagées selon l’implication financière de chacun. Les gains, eux, se partagent en fonction d’un accord établi en amont ; cet accord prenant en compte l’engagement financier et l’implication dans la gestion du projet. Afin de réduire les risques et de maximiser les gains, la banque a donc tout intérêt à privilégier une implication dans la gestion plutôt qu’un engagement financier lourd. En ce sens, les banques islamiques ont donc besoin de banquiers ayant également une expertise valorisante vis-à-vis de l’entrepreneur client. Cette gestion des compétences exigeante génère une contrainte particulière pour les banques et qui n’est pas nécessaire pour les prêts conventionnels.
La question de la compétence va au-delà des banques elles-mêmes mais concerne aussi les acteurs dans l’environnement des banques. Certes leur fournisseurs ou sous-traitants mais surtout, à une époque post-crise où le sujet est sensible, les auditeurs et certificateurs sont concernés au premier point. Dans ce marché jeune et encore peu mature, un des enjeux est de réussir à trouver des Sharia Auditors or ceci pose problème actuellement. Qui a la légitimité pour certifier une banque ? Qui peut définir les règles ? Qui valide ou interdit tel ou tel produit ? C’est un risque systémique possible qui est ici mis en relief avec l’ensemble des impacts qu’il est possible d’imaginer quant à la confiance inhérente au système.

La troisième série de limite concerne l’image de marque. Celle-ci intervient à plusieurs niveaux. Un des principes fondateurs de la finance islamique est de ne pas mélanger ses activités haram de ses activités halal : une cloison nette doit être définie entre les deux activités. On peut faire l’analogie avec les producteurs d’électricité : lorsque l’utilisateur consomme de l’énergie, il ne peut distinguer si son énergie est produite via de l’énergie renouvelable ou via des énergies fossiles. Il est dans l’impossibilité de faire son choix de consommation en fonction de sa sensibilité. Ce cloisonnement, pourtant, est obligatoire dans le cas de la finance islamique. Le client doit pouvoir être certain que son argent provient bien d’un circuit légitime. La création d’une filiale finance islamique doit donc passer par une marque différente. C’est le choix qu’on fait AtijariWafa Bank avec sa filiale Dar Safaa, le choix d’HSBC avec sa filiale Amanah. Faire le choix des se positionner sur le segment « sharia compliant » des produits financiers peut s’avérer un pari risqué en termes d’image. Dans le cadre des pays occidentaux, c’est prendre le risque de se retrouver au cœur des polémiques politiques houleuses. Lorsque David Cameron a fait appel aux investisseurs des pays du golfe (majoritairement) pour lever des obligations sur la base de la finance islamique (sukuks), celui-ci a dû faire face à une levée de bouclier des médias déplorant une invasion de la sharia dans le système financier islamique. Bien que souvent induite par une simple immaturité du marché, ces critiques peuvent susciter un risque vis-à-vis de l’image de marque d’un homme politique ou d’une entreprise. Au Maroc, ce risque de méfiance de la part des consommateurs des consommateurs s’est posé d’une autre manière. Le consommateur pourrait voir dans les produits proposés une marchandisation de la religion. Les produits islamiques sont donc souvent présentés comme ceux d’une finance « alternative » appuyés sur les concepts de la religion musulmane mais sans lien direct avec la Loi. Le risque est plus généralement que ces produits soient perçus comme imposés aux consommateurs. Le consommateur non musulman peut trouver qu’on lui impose des préceptes qui ne sont pas les siens ; et le consommateur qu’on lui impose une obligation nouvelle et éventuellement perçue comme artificielle.

Jean-Michel Huet, associé BearingPoint et Saleh Cherqaoui, directeur du développement du bureau Marocain de BearingPoint

Mardi 25 Novembre 2014




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