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Recours loi de finances rectificative pour 2014 (art. 46 et 72)

En application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, plus de soixante Sénateurs UMP et UDI-UC ont demandé au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur la conformité de la loi de finances rectificative pour 2014 et notamment sur les articles 46 et 72.


SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Loi de Finances Rectificative pour 2014

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l’honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, la loi de Finances Rectificative pour 2014, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 18 décembre 2014. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :

I. Sur l’article 46.

1°) Sur la méconnaissance du principe d’égalité.

Le principe d'égalité est énoncé dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune », avant d’être précisé à l'article 6 : « La loi est l'expression de la volonté générale. […] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

Ce principe implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables. Il ne fait en revanche pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet de solutions différentes. Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant la loi. Une différence de traitement à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations semblables doit donc toujours être justifiée.

Les requérants estiment que les dispositions de l’article 46 précitées sont contraires au principe d’égalité sous deux de ses aspects, d’abord en ce qui concerne l’égalité devant la loi, et ensuite en ce qui concerne l’égalité devant l’impôt et les charges publiques.

Pour l'application du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, c'est au regard de l'objet du texte qu'il convient de se placer pour juger du caractère objectif et rationnel des critères utilisés par le législateur pour apporter des différences dans le traitement de certaines situations. Ainsi que le juge constamment votre Conseil, l'objet du texte peut être déduit tant de l'exposé des motifs du projet de loi que du contenu des débats parlementaires.

Au cas particulier, l’article 46 de la loi de finances rectificative pour 2014 a pour objet de majorer de 50% le montant de la Taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) pour les établissements dont la surface de vente excède 2 500 m².

Ainsi, la mesure en cause instaure de fait une différence de traitement entre les entreprises dont la surface de vente est supérieure à 2 500 m² et celles dont la surface est inférieure à 2 500 m².
Pour déterminer si cette différence de traitement repose sur des critères objectifs et rationnels, il convient de se placer au regard de l’objet du texte instituant la majoration en cause.

Il ressort des travaux préparatoires que l’objectif principal de cette majoration consiste à contrebalancer les effets positifs dont bénéficient les entreprises de la grande distribution du fait de l’application du CICE. Il est souligné notamment que les entreprises susvisées ne font pas face à une concurrence internationale.

Au regard de cet objectif, il est possible d’émettre de sérieux doutes quant au respect par les dispositions de l’article 46 de la loi de finances rectificative pour 2014 du principe d’égalité devant la loi, et ce à plusieurs égards.

En premier lieu, il est particulièrement étonnant de relever que le législateur a institué une imposition aux fins de priver les contribuables du bénéfice d’autres dispositions qui lui sont par ailleurs applicables sans qu’aucun lien ne puisse être établi entre le bénéfice du CICE et la majoration du montant de la Tascom, alors qu’il serait parfaitement loisible au législateur de modifier directement les dispositions relatives au CICE, s’il l’estimait justifié.

De plus, il est erroné de considérer que les entreprises de la grande distribution sont épargnées de toute concurrence internationale.

En ce sens, dans le cadre des débats en première lecture à l’Assemblée Nationale en date du 3 décembre 2014, Monsieur le Député Dino Cinieri a pris soin de préciser que : « la distribution est, en France, soumis à une intense concurrence. Sur le terrain, j’ai pu le constater à de nombreuses reprises. Elle doit de plus se préparer à affronter, y compris dans le domaine alimentaire, celle des groupes de taille mondiale que sont Amazon et de Google, alors même qu’ils ne paient pas ou peu d’impôts en France ».

En ce sens également, le rapport concernant la loi de finances rectificative pour 2014 du rapporteur général de la Commission des finances du Sénat, lequel a d’ailleurs décidé de supprimer l’article en cause, notamment pour les raisons évoquées dans la présente note, précise que :

« La surtaxe instituée par le présent article, ne prend pas en compte l’évolution progressive des modes de consommation et de distribution. En effet, cette taxe s’applique uniquement aux surfaces commerciales ouvertes à la clientèle. Ainsi, les entreprises qui distribuent par e-commerce, qu’il s’agisse des enseignes installées également physiquement sur le territoire français ou d’autres, souvent étrangères, qui n’y disposent que d’entrepôts de stockage, ne sont pas soumis à la Tascom. » .

Enfin, il ressort de l’exposé des motifs ainsi que des débats portant sur la loi en cause que les auteurs des amendements précités ont entendu justifier cette mesure par l’idée que le CICE constituerait une aubaine pour ces entreprises.

Or, comme le souligne le rapport précité du rapporteur général de la Commission des finances du Sénat susvisé, « le commerce a d’ores et déjà été soumis à des mesures réglementaires et fiscales qui ont en grande partie compensé le bénéfice du CICE. En particulier, la réintégration des temps de pause, d’habillage et de déshabillage des salariés dans la rémunération figurant au dénominateur de la formule de calcul des allègements de cotisations patronales (allègements existants et à venir en application de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative du 8 août 2014), a conduit à elle seule à une augmentation des prélèvements obligatoires estimée à environ 180 millions d’euros par an par le secteur ».

En tout état de cause, il semble nécessaire de rappeler à ce titre que l’obtention du crédit d’impôt est soumise au respect de conditions fixées par la loi répondant à l’objectif d’incitation fiscale du dispositif, à savoir l’emploi de salariés afin de favoriser la compétitivité de la production française. Il est ainsi tout à fait inexact de considérer que le CICE constitue un effet d’aubaine pour les entreprises de la grande distribution dès lors qu’elles réalisent les contreparties requises par le législateur pour en bénéficier.

Au surplus, nul besoin de préciser que, selon les dispositions de l’article 244 quater C du CGI, le CICE bénéficie aux « entreprises imposées d’après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 decies à 44 quindecies ». Autrement dit, les entreprises imposées selon un régime réel, quelle que soit la nature de leur activité (industrielle, commerciale, agricole, non commerciale, etc.), peuvent bénéficier du CICE calculé sur les rémunérations versées à leurs salariés.

Ce vaste champ d’application était expressément souhaité par le législateur. En effet, dans le cadre de la discussion relative à la mise en place du CICE par la loi n°2012-1510 du 29 décembre 2012, le Ministre de l’économie et des finances a pris soin d’affirmer devant l’Assemblée Nationale durant les débats en première lecture en date du 5 décembre 2012 que :

« La première question est celle du champ des entreprises éligibles. Le Gouvernement a souhaité que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi bénéficie à toutes les entreprises imposées d’après leur bénéfice réel et soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, quel que soit le mode d’exploitation de ces entreprises – entreprises individuelles, sociétés de personnes, sociétés de capitaux, et caetera – et quelle que soit la catégorie d’imposition à laquelle elles appartiennent, dès lors que ces entreprises emploient du personnel salarié. Les employeurs non soumis à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu et les entreprises n’ayant pas de salariés en sont donc a priori exclus ».

A ce titre, il est difficile de comprendre en quoi il serait nécessaire de contrebalancer les effets positifs du CICE, souhaités par le législateur, à l’égard des seules entreprises de la grande distribution dont la surface de vente excède 2 500 m². Il est bien clair en effet que, au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, les redevables de la Tascom qui exploitent un établissement dont la surface de vente est inférieure à 2 500 m² bénéficient tout autant de ce que les débats parlementaires prétendent caractériser comme un « effet d’aubaine » du CICE. On ne voit donc pas pourquoi, au regard de l’objet de la loi, seuls les établissements dont la surface de vente excède 2 500 m² supporteraient la majoration instituée par les dispositions contestées.

Il est à noter que le critère relatif à la surface de vente ne présente strictement aucun lien avec le critère fixé pour le bénéfice du CICE, à savoir le nombre de salarié. En effet, il est bien évidemment possible de gérer une grande surface de vente avec un nombre limité de salariés tandis qu’il peut être nécessaire d’employer un nombre important de salariés afin de gérer une surface de vente plus restreinte. En d’autres termes, le nombre de salariés ne saurait dépendre de la surface de vente de l’entreprise en cause, d’autres facteurs déterminant l’embauche étant nécessairement pris en compte.
Dès lors, en fixant à 2 500 m² le seuil de surface de vente soumettant les entreprises concernées à la majoration, la mesure en cause crée une distorsion de concurrence non justifiée entre les entreprises dont la surface de vente excède 2 500 m² et celles dont la surface de vente n’excède pas 2 500 m².

Par ailleurs, comme cela a été précisé précédemment, la majoration de 50% du montant de la Tascom viserait également à lutter contre le quasi-monopole des entreprises de grande distribution qui impacterait de manière négative les commerces de proximité.

Là encore, il est bien difficile de comprendre comment une majoration du montant de la taxe permettrait de servir cet objectif sans prévoir par ailleurs une diminution du montant de la taxe en faveur desdits commerces de proximité comme cela a été prévu par l’article 99 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 ayant modifié l’article 3 de la loi du 13 juillet 1972 lequel disposait que le montant de la Tascom devait être majoré de 30% pour les établissements dont la superficie est supérieure à 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à 3 000 euros par m² tout en diminuant par ailleurs le montant de la taxe due par les petits commerces au moyen notamment d’une diminution du taux de la tranche basse. La modification opérée en 2008 avait en effet pour objectif de réaliser « un produit à l’équilibre, mais réparti différemment entre les assujettis, au profit des petits et moyens commerces, notamment de centre-ville ».

Au regard de l’objectif de développement des commerces de proximité, il est évident que la seule majoration du montant de la taxe en cause n’est pas suffisante. Bien au contraire, en ne prévoyant qu’une majoration du montant de la taxe pour les entreprises dont la surface de vente excède 2 500 m², l’objectif de développement des commerces de proximité aboutit en réalité uniquement à dissuader les entreprises de grande distribution de développer leur espace et, par voie de conséquence, leur chiffre d’affaires.

Ainsi, la majoration de 50% du montant de la taxe pour les entreprises dont la surface de vente excède 2 500 m² ne permet clairement pas de répondre à l’objectif de développement des commerces de proximité.

En conséquence, en déterminant les redevables de la majoration sans lien avec les objectifs visés, multiples et contradictoires, le législateur a porté au principe d’égalité une atteinte non justifiée.

Le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques est spécifiquement visé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives.

Si l'article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n'interdit pas de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques .

C’est ainsi qu’ont été jugées contraires au principe d’égalité devant les charges publiques :
- Une disposition portant le taux d’un prélèvement à 75 % de la rémunération brute d’un salarié.
- Le relèvement de 60% à 75% du prélèvement obligatoire libératoire sur les produits des bons anonymes qui portait le taux marginal maximal applicable à l’ensemble des revenus à 90,5 %.
- L’augmentation du taux de la contribution salariale sur les gains retirés de l’exercice de stock-options ou de l’attribution d’actions gratuites qui portait le taux marginal maximal applicable à l’ensemble des revenus à 77 % ou 72 %.
- Le nouveau régime d’imposition des plus-values réalisées sur la cession de terrains à bâtir, qui portait le taux marginal maximal applicable à l’ensemble des revenus à 82 %.
- Ou encore l’imposition au titre de l'impôt sur le revenu des profits réalisés par les personnes physiques issus d’opérations sur des instruments financiers à terme lorsque ces opérations sont réalisées dans un État ou un territoire non coopératif, dès lors que l’instauration d’une imposition forfaitaire de 75%, alors que ces bénéfices étaient déjà assujettis aux prélèvements sociaux, avait pour effet de porter le taux d'imposition total à 90,5 %.

De cette manière, les requérants estiment qu’il y a une première rupture d’égalité devant l’impôt et les charges publiques en ce qui concerne les effets combinés des majorations de 50 % et 30 %

Au cas particulier, la mesure en cause met en place une majoration de 50% du montant de la Tascom pour les entreprises dont la surface de vente excède 2 500 m². Cette majoration viendrait ainsi au surplus de la majoration de 30% prévue par l’article 99 de la loi du 4 août 2008 concernant les établissements dont la superficie est supérieure à 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes est supérieur à 3 000 euros par m².

Votre Conseil n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de la majoration de 30% dès lors que le Conseil d’Etat, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet, avait décidé de ne pas transmettre ladite question, estimant qu’elle ne présentait pas de caractère sérieux.

En tout état de cause, quand bien même votre Conseil aurait validé ces dispositions, celles-ci pourraient néanmoins être contestées au cas présent. En effet, depuis la jurisprudence dite « néo-calédonienne », votre Conseil considère que « la conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être appréciée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».

Il a été précisément fait application de cette jurisprudence pour l’application du principe d’égalité devant les charges publiques par la décision n°2012-662 DC du 29 décembre 2012. Votre Conseil a en effet estimé que dès lors qu’une augmentation générale affecte les dispositions déjà en vigueur ayant institué un prélèvement spécifique sur certaines catégories de revenus, lorsque son cumul avec ces autres dispositions entraîne une rupture de l’égalité devant les charges publiques, il y a lieu de déclarer contraire à la Constitution les dispositions en vigueur « pour remédier à l’inconstitutionnalité tenant à la charge excessive au regard des facultés contributives de certains contribuables percevant » les revenus soumis à ce prélèvement .

Au cas présent, le cumul des deux dispositions prévoyant une majoration du montant de la taxe sur les surfaces commerciales aboutit à une majoration totale de la Tascom de 95% pour les entreprises dont la surface de vente excède 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes excède 3 000 euros par m², dans la mesure où la majoration de 50% est calculée sur le montant initial de la taxe déjà majoré à hauteur de 30%. Or, cette majoration de 95%, sans compter l’application de la modulation prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l’article 77 de la loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009, susceptible de porter l’imposition au-delà de 100%, ne saurait être justifiée dès lors que chacune des majorations en cause repose sur des objectifs distincts, qui ne justifient en rien d’instituer une imposition majorée de près du double sur certains redevables de la Tascom.

Ainsi, à supposer que la majoration de 50% prévue par l’article 46 soit considérée comme conforme à la Constitution, la majoration de 30% devrait à tout le moins être considérée comme non conforme à la Constitution dès lors que leur cumul méconnait les facultés contributives des contribuables redevables de la taxe.

Mais les requérants estiment que la rupture d’égalité devant l’impôt et les charges publiques est aussi dû au prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement.

L’Etat assure notamment le recouvrement des impôts directs locaux au lieu et place des collectivités locales. Il supporte également la charge des dégrèvements éventuels prononcés en faveur des contribuables, quel qu’en soit le motif. En contrepartie, les articles 1641, 1644 et 1647 du CGI disposent que l’Etat prélève notamment des frais de gestion assis sur le montant des différents impôts locaux.

Pour rappel, les produits de la Tascom sont, depuis l’intervention de l’article 77 de la loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009, affectées au profit des communes sur le territoire desquelles sont situés les établissements imposables (ou des établissements publics de coopération intercommunale se substituant à la commune), tandis que l’Etat assure le recouvrement de la taxe en cause. Le même article précise que « pour les frais d’assiette et de recouvrement, l’Etat effectue un prélèvement de 1,5% sur le montant de la taxe sur les surfaces commerciales ». Votre Conseil considère que les frais d’assiette et de recouvrement présentent la nature d’impositions de toute nature

Or, cet article dispose que les recettes générées par la majoration de 50% sont affectées au budget de l’Etat. Il en résulte que l’Etat percevrait des frais d’assiette et de recouvrement de la Tascom calculés notamment sur la base de cette majoration alors même que cette dernière ne bénéficie pas aux collectivités locales. Autrement dit, l’Etat percevrait en partie les frais de recouvrement d’une taxe dont les recettes lui sont directement affectées.

Ceci est contraire au principe d’égalité devant les charges publiques puisque le redevable de la Tascom au titre de la majoration de 50 % institué par les dispositions déférés ne saurait se voir appliquer, compte tenu de l’affectation à l’Etat du produit de cette majoration, les frais d’assiette et de recouvrement en question sans que ne soit méconnu l’objet même des dispositions en cause. En effet, ainsi que l’a jugé votre Conseil dans sa décision n°90-277 DC du 25 juillet 1990, les frais en question visent « à la couverture globale des frais exposés par les administrations de l'État au profit des collectivités territoriales pour l'établissement et le recouvrement de leurs impositions directes ». Les frais en question ne sauraient donc être prélevés sur des impositions qui sont affectées au budget de l’Etat.

Les requérants estiment ainsi que l’article 46, parce qu’il contrevient au principe d’égalité devant la loi, et au principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, doit être déclaré contraire à la Constitution.

2°) Sur la méconnaissance du principe d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Le plein exercice de sa compétence par le législateur implique le respect du principe de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Votre Conseil considère ainsi que le principe de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi « impose d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». Vous avez ainsi eu l’occasion de juger que la disposition législative qui instituerait un nouveau régime susceptible d'au moins deux interprétations manquerait à l'obligation d’intelligibilité de la loi.

Au cas particulier, l’article 46 de la seconde loi de finances rectificative pour 2014 est contraire au principe d’intelligibilité à deux égards.

En effet, d’une part, à considérer que la majoration de 50% du montant de la taxe doit être calculée sur le montant de la taxe déjà majoré de 30% en vertu des dispositions de l’article 99 de la loi du 4 août 2008, les entreprises dont la surface de vente atteint 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes excède 3 000 euros par m² font l’objet en définitive d’une majoration du montant de la taxe de 95%. Or, le texte omet de préciser les effets d’un tel cumul de majoration.

Tel que rédigé, le texte ne permet pas aux entreprises dont la surface de vente atteint 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes excède 3 000 euros par m² de prendre conscience du taux effectif de majoration qui leur est appliqué. Les formules utilisées par le législateur ne sont pas sans équivoque car elles tendent à faire croire que le montant de la taxe est au total majoré de 80% (50% + 30%) alors qu’en pratique, la majoration atteindrait 95%, sans même prendre en considération, au surplus, la modulation prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l’article 77 de la loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009. Pour rappel en effet, en vertu de cet article, l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou, à défaut, le conseil municipal de la commune affectataire de la taxe peut appliquer aux montants de la taxe un coefficient multiplicateur compris entre 0,8 et 1,2 et ne comportant que deux décimales, les recettes générées par la modulation étant affectées au budget des communes en cause.

Dès lors, dans les cas où la commune décide de fixer le coefficient multiplicateur à 1,2, le montant de la Tascom due par les entreprises dont la surface de vente excède 5 000 m² et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe excède 3 000 euros par m² est en définitive majoré de 134% :
- Le montant initial de la taxe est majoré à hauteur de 30%.
- Le montant obtenu est majoré de 50% (soit une majoration de 95%).
- Le montant obtenu est majoré de 20% (soit une majoration définitive de 134%).

Or, le texte ne permet clairement pas aux entreprises concernées de prendre conscience qu’elles font l’objet en définitive d’une telle majoration, sans commune mesure avec le taux initialement annoncé.

D’autre part, s’agissant des modalités de calcul de la taxe, le texte précise que la majoration de 50% doit être calculée avant application de la modulation prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l’article 77 de la loi du 30 décembre 2009.

Ladite modulation s’opère à partir du montant de la taxe tel qu’il résulte de l’application des dispositions de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1972. Dans la mesure où la majoration de 50% prévue à l’article 46 est intégrée dans un nouvel alinéa de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1972, la modulation opérée par la commune doit être calculée sur le montant de la taxe majoré des 50% en cause.

Par voie de conséquence, la majoration de 50% du montant de la Tascom est susceptible d’entrainer une majoration supplémentaire du montant de la taxe due à raison de l’application par les communes du mécanisme de modulation, au moyen d’un coefficient multiplicateur supérieur à 1.

Or, l’article 46 prévoit expressément que « le produit de cette majoration est affecté au budget de l’Etat ». Il ressort en effet très clairement des travaux parlementaires que, la disposition en cause ayant pour objet de contrebalancer les effets du CICE, les recettes générées par la majoration de 50% doivent intégrer le budget de l’Etat.

Il en résulte une contradiction entre les effets directs de la majoration de 50% augmentant en partie le budget des communes et l’objectif expressément visé par le législateur d’affecter le produit de ladite majoration au budget de l’Etat.

Une contradiction d’une telle nature entre la lettre de la loi et ses effets directs sur les contribuables quant aux modalités de calcul de la taxe rend celle-ci incompréhensible. En ce sens, le rapport précité du rapporteur général de la Commission des finances du Sénat précise qu’en « affectant le produit de cette majoration à l’Etat, le présent article nuit à la visibilité et à la lisibilité du système fiscal, en entretenant une confusion sur les affectataires de la Tascom ».

Les requérants estiment ainsi que l’article 46, parce qu’il contrevient au principe constitutionnel d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, doit être déclaré contraire à la Constitution.

L’Etat assure notamment le recouvrement des impôts directs locaux au lieu et place des collectivités locales. Il supporte également la charge des dégrèvements éventuels prononcés en faveur des contribuables, quel qu’en soit le motif. En contrepartie, les articles 1641, 1644 et 1647 du CGI disposent que l’Etat prélève notamment des frais de gestion assis sur le montant des différents impôts locaux.

Pour rappel, les produits de la Tascom sont, depuis l’intervention de l’article 77 de la loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009, affectées au profit des communes sur le territoire desquelles sont situés les établissements imposables (ou des établissements publics de coopération intercommunale se substituant à la commune), tandis que l’Etat assure le recouvrement de la taxe en cause. Le même article précise que « pour les frais d’assiette et de recouvrement, l’Etat effectue un prélèvement de 1,5% sur le montant de la taxe sur les surfaces commerciales ». Votre Conseil considère que les frais d’assiette et de recouvrement présentent la nature d’impositions de toute nature (1), comme cela est précisé dans votre décision en date du 25 juillet 1990 sur la loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux, ou dans votre décision en date du 6 août 2009 sur la loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008 (2).

Or, l’article 46 de la seconde loi de finances rectificative pour 2014 dispose que les recettes générées par la majoration de 50% sont affectées au budget de l’Etat. Il en résulte que l’Etat percevrait des frais d’assiette et de recouvrement de la Tascom calculés notamment sur la base de cette majoration alors même que cette dernière ne bénéficie pas aux collectivités locales. Autrement dit, l’Etat percevrait en partie les frais de recouvrement d’une taxe dont les recettes lui sont directement affectées.

Ceci est clairement contraire au principe d’égalité devant les charges publiques puisque le redevable de la Tascom au titre de la majoration de 50 % institué par les dispositions critiquées ne saurait se voir appliquer, compte tenu de l’affectation à l’Etat du produit de cette majoration, les frais d’assiette et de recouvrement en question sans que ne soit méconnu l’objet même des dispositions en cause. En effet, ainsi que l’a jugé votre Conseil dans sa décision précitée du 25 juillet 1990, les frais en question visent « à la couverture globale des frais exposés par les administrations de l'État au profit des collectivités territoriales pour l'établissement et le recouvrement de leurs impositions directes ». Les frais en question ne sauraient donc être prélevés sur des impositions qui sont affectées au budget de l’Etat.

(1) Décision n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 sur la loi relative à la révision générale des évaluations des immeubles retenus pour la détermination des bases des impôts directs locaux. Considérant n°22.
(2) Décision n° 2009-585 DC du 06 août 2009 sur la loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008. Considérant n°4 à 7.

II. Sur l’article 72

L’article 216 du code général des impôts prévoit que les produits nets des participations, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges, fixée uniformément à 5 % du produit total des participations. Ce régime fiscal des sociétés mères – filles est issu, pour l’essentiel de règles de droit de l’Union, transposées par le législateur national. L’objectif de la loi est d’éviter des discriminations au niveau européen et de favoriser l’implantation de filiales à l’étranger et le rapatriement des bénéfices vers l’Etat où est implantée la société mère.

L’article 145 du même code pose diverses conditions au bénéfice de ce dispositif : les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration, représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice et être détenus depuis au moins deux ans. Dans ces conditions, la société mère est exonérée d’impôt sur les sociétés, à raison des dividendes reçus de sa filiale.

Les règles de l’Union ont été récemment modifiées afin que ce régime ne permette pas une optimisation fiscale, jusqu’ici tout à fait légale, consistant à déduire le dividende dans l’Etat de la filiale distributrice (certains pays assimilant les dividendes à des intérêts déductibles du résultat fiscal) tout en bénéficiant d’une exonération de ce même dividende chez la société mère le percevant : dans cette situation en effet, communément appelée « produits hybrides » l’application du régime mère filiale conduisait à permettre une économie fiscale.

L’objet de la directive 2014/86 UE du Conseil du 8 juillet 2014 est ainsi de mettre fin à de telles pratiques, sans remettre en cause le principe général évitant la double imposition ou les autres cas d’exonérations : « Pour éviter les situations de double non-imposition découlant de l'asymétrie du traitement fiscal appliqué aux distributions de bénéfices entre États membres, il convient que l'État membre de la société mère et celui de son établissement stable n'octroient pas à ces entreprises l'exonération fiscale applicable aux bénéfices distribués qu'elles ont reçus, dans la mesure où ceux-ci sont déductibles par la filiale de la société mère».

Cette modification de la directive, ne porte toutefois pas atteinte au principe contenu dans la directive initiale du 30 novembre 2011 (2011/96/UE), dont l’article 4 prévoit :
« Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État membre de la société mère et l’État membre de son établissement stable :
a) soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices
b) soit les imposent tout en autorisant la société-mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale relèvent des définitions de l’article 2 et respectent les exigences prévues à l’article 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant. ».

Formellement, le texte de la directive du 8 juillet 2014 modifie le a) ci-dessus ; et tel est le seul objet de la directive que l’article 72 transpose à l’alinéa 6. Or, un ajout, réalisé sous forme d’un cinquième alinéa, par une rédaction acquise, à l’Assemblée nationale, à la faveur d’un amendement sous-amendé par le gouvernement rend également inapplicable l’exonération « aux produits des titres d’une société prélevés sur les bénéfices d’une société afférents à une activité non soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent » ;

Au moment où le Parlement est invité par le Constituant à évaluer la loi qu’il vote, où les pouvoirs publics à l’unisson, comme l’ensemble des règles applicables au débat, et toute votre jurisprudence, affirment que le débat parlementaire doit répondre aux exigences de clarté et de sincérité - ce dont témoigne, de la façon la plus récente, votre décision du 11 décembre 2014 - ce qui suppose une information claire et complète du législateur, les conditions du vote de ce dispositif constituent un exemple emblématique d’un débat tronqué. Le gouvernement n’a fourni aucune explication de son sous-amendement n° 586, aucune analyse du dispositif proposé, aucune évaluation, et aucune information au Sénat.

C’est bien la sincérité du débat qui est ici en cause. L’absence d’information du Parlement est flagrante, jusque dans l’exposé sommaire du sous amendement du gouvernement « qui n’est pas que rédactionnel ». Ceci contraste avec l’importance des effets attendus du texte, mais aussi avec les questions constitutionnelles qu’il soulève.

Cette adjonction est en effet contraire à la directive de 2011 : « Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués, l’État membre de la société mère doit ou bien s’abstenir d’imposer ces bénéfices, ou bien les imposer, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices. ». La transposition de la directive du 8 juillet 2014 ne peut se faire qu’en respectant celle de 2011 dont elle constitue une modalité d’application. Au demeurant, cette adjonction est tout aussi contraire à la directive de 2014, dont le seul objet est de soumettre à l’impôt des bénéfices déductibles par la filiale et d’exonérer la perception des autres produits. Tel ne sera plus le cas.

Concrètement, sont visées par l’extension réalisée par le 5ème alinéa de l’article 72 les activités exonérées d’impôt dans le pays d’accueil de la filiale, lorsqu’il existe des régimes incitatifs à l’implantation de telles activités (sont dans ce cas nombre de pays d’Afrique dont le Nigéria, le Maroc ou l’Egypte), des pays émergents ou des pays européens (la Pologne, l’Irlande). Au moins cinquante pays sont concernés. La liste de ces pays, ou parfois des activités ou zones concernées, démontre à l’évidence que l’on ne situe pas dans une quelconque volonté de lutte contre les paradis fiscaux, mais bien dans une logique de pure taxation.

Dans la mesure où cette législation ne concernerait que la France, son effet serait économiquement très dissuasif pour de tels développements d’activités. Elle entrainerait une distorsion de concurrence avec les autres pays européens qui ne taxent pas de tels produits, dont les entreprises seraient toujours incitées à investir, par exemple en matière d’entreprises sociales, solidaires ou innovantes, ou dans des zones franches, donc non soumises à l’ impôt sur les sociétés dans la législation du pays- puis à rapatrier des bénéfices.

Outre son effet prévisible, cet ajout, dont le rapporteur général de la commission des finances du Sénat souligna l’absence totale d’évaluation des effets et proposa sa suppression, est à l’opposé de ce que recherchent les directives communautaires, à savoir assurer une égalité de traitement entre les pays membres. La France serait désormais privée de ce régime fiscal, contrairement à ses partenaires européens, ce qui est à l’opposé de l’objectif poursuivi au niveau de l’Union et à la logique concurrentielle.

Le dispositif du 5ème alinéa, pour être économiquement particulièrement néfaste, pour être contraire au droit de l’Union, est également contraire à la Constitution sur plusieurs points

1°) Le 5ème alinéa de l’article 72 est contraire à la directive qu’il prétend transposer, dont la Constitution exige une transposition conforme.

La directive, telle que modifiée, postule en effet que les pays s’abstiennent d’imposer chez la société mère les distributions de bénéfices de la société filiale à la condition qu’ils ne soient pas déductibles chez la dite filiale. En prévoyant d’imposer en France, les dividendes issus de bénéfices non soumis à l’impôt sur les sociétés chez la filiale, le dispositif méconnaît la lettre de la directive du 8 juillet 2014.

En effet, la seule condition posée par la Directive européenne est que les sociétés bénéficiant de ses dispositions soient « assujetties » à l’impôt sur les sociétés sans bénéficier d’un statut d’exonération spécifique : ces sociétés doivent entrer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés par opposition aux sociétés de personnes dont le régime de transparence fiscale s’oppose à ce que la directive leur soit applicable : en aucun cas, le texte européen n’exige que les revenus objet de la distribution soient effectivement soumis à l’impôt sur les sociétés contrairement à ce que prévoit l’alinéa 5 de l’article 72.

Pour preuve, si la rédaction de la directive initiale autorisait d’ores et déjà à d’exclure les revenus non soumis à l’impôt sur les sociétés dans l’Etat de l’entité distributrice, tel que le défend le législateur français, elle aurait de facto exclu les dividendes déductibles (par définition non soumis à l’impôt) et il n’y aurait pas eu besoin de la modifier en juillet dernier pour exclure spécifiquement ces situations.

À ce titre, la jurisprudence est parfaitement explicite. La décision de principe du 30 novembre 2006, n° 2006-543 DC prévoit en effet : « Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ;
Considérant qu'il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ;
Considérant, en premier lieu, que la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ;
Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel».

Le mécanisme du 5ème alinéa est donc manifestement contraire à la directive de 2011 et à la directive de 2014, dans leur objectif comme dans leur lettre même. La loi de transposition est manifestement incompatible avec la directive à transposer.

En vain serait- il soutenu que le dispositif ne s’inscrirait pas dans le cadre de la transposition : l’objet du mécanisme est bien de transposer la directive (a contrario : 30 mars 2006 n° 2006-535 DC, loi pour l’égalité des chances). En vain serait-il avancé que le cinquième alinéa n’est qu’un ajout à cette transposition : il porte sur les mêmes règles de droit fiscal interne et sur le même mécanisme de rapatriement de capitaux dans le cadre d’un régime mère-fille. Le cinquième alinéa de l’article 72 est donc manifestement incompatible avec la directive que cet article a pour objet de transposer, comme avec la directive de 2011 dans laquelle cette dernière s’insère : l’une et l’autre imposent aux Etats l’exonération de tels produits.

L’alinéa 5 de l’article 72 de la présente loi de finances rectificative, parce qu’il implique une soumission effective à l’impôt sur les sociétés puisqu’il refuse le régime mère fille à des dividendes « prélevés sur les bénéfices d'une société afférents à une activité non soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent », est clairement en contradiction avec la directive.

2°) Le 5ème alinéa de l’article 72 porte atteinte à des situations légalement acquises.

Ce principe constitutionnel de protection des situations légalement acquises est issu de l’article 16 de la Déclaration des droits e l’homme et du citoyen de 1789 aux termes de laquelle : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Ce principe a été invoqué à de nombreuses reprises, notamment dans la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 : « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant »

Une telle exigence s’applique en particulier aux situations contractuelles ou économiques, notamment lorsque sont remis en cause « les effets qui peuvent légitimement être attendus d’une situation », comme le précisent les décisions du 19 décembre 2013 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, ou la décision du 28 mars 2014 issue d’une QPC déposée par la collectivité de Saint-Barthélemy.

La remise en cause d’une exonération entre à l’évidence dans ce cadre, même lorsqu’elle n’est pas rétroactive comme le montre la décision du 17 décembre 2013 précité.

Il convient, en outre, de rappeler que la notion de sécurité juridique est utilisée en droit de l’Union pour assurer l’unité de l’ordre juridique communautaire. Le principe exige « une application uniforme dans tous les États membres des notions et qualifications juridiques dégagées par la Cour » (CJCE, arrêt Bavarie Fluggeseleschaft et Germanair c/Eurocontrol du 14 juillet 1977, n°9 et 10/77). S’agissant de la transposition d’une directive, le fait que le dispositif crée une distorsion fiscale entre la France et les autres pays européens ne peut manquer de conforter l’analyse.

Les décisions d’investissement sont naturellement lourdes, surtout si elles portent sur des implantations à l’étranger. Elles peuvent entraîner des mobilités de personnel, des exploitations de brevets dans le pays d’accueil, des transferts de technologie, des obligations comptables et bancaires, etc. Elles tiennent naturellement compte du régime fiscal applicable aux bénéfices, dans le pays de la société-mère comme dans celui d’implantation. Ceci vaut en particulier pour des implantations en zones franches. Ces décisions relèvent au premier chef de stratégies d’entreprises et touchent en particulier à la structure du capital, donc au droit de propriété, à des situations contractuelles, portant par exemple sur les relations entre la société mère et ses filiales, et à la liberté d’entreprendre.

L’entrée en vigueur du mécanisme aux exercices ouverts à compter du 1 er janvier 2015, va porter sur des situations économiques existantes, en particulier sur l’effet des implantations d’une entreprise française à l’étranger. Cette remise en cause de situations légalement acquises, dans de tels domaines, est contraire aux exigences constitutionnelles issues de l’article 16 de la Déclaration.

Le gouvernement ne saurait justifier d’aucun intérêt général suffisant : la seule volonté d’assurer des recettes supplémentaires, dont il est par ailleurs avéré que le premier effet serait d’altérer notre compétitivité, de remettre en cause des stratégies de développement international d’entreprises, de mettre fin à des implantations à l’étranger, et de créer une distorsion de concurrence, ne saurait tenir lieu d’intérêt général suffisant.

Les requérants estiment donc que l’article 72 méconnaît le principe selon lequel one ne peut porter atteinte à des situations légalement acquises.

3°) Le 5ème alinéa de l’article 72 introduit plusieurs ruptures d’égalité.

L’alinéa 5 de l’article 30 induit trois ruptures d’égalité.

En premier lieu, il existe une rupture d’égalité entre les entreprises françaises et les entreprises des autres pays de l’Union, pourtant situées dans une situation identique au regard d’un régime fiscal qui doit être égalitaire en application du droit de l’Union.

En deuxième lieu, il existe une rupture d’égalité liée à l’existence de zones franches dans le pays d’accueil. Ainsi, par exemple, 14 zones franches en Pologne exonèrent, jusqu’en 2017, d’impôt sur les bénéfices les entreprises qui s’y installent. D’autres régimes existent dans de nombreux autres pays : Chine, avec en particulier la zone de Shenzen, Gabon (zone de Nkok depuis 2010), Cote d’ivoire, Argentine, Taiwan, Vietnam, Maroc, etc. y compris des pays européens, dont la Lituanie ou la Lettonie. S’agissant des bénéfices rapatriés en France, que la filiale soit ou non implantée dans une telle zone, l’application de l’exonération était jusqu’alors uniforme : elle s’appliquait dans les deux cas. Dans le cas où les dividendes sont taxés dans le pays d’accueil, donc en dehors des zones franches, le régime mère fille continuera à s’appliquer, mais il ne s’appliquera plus du fait de l’activité implantée dans ces zones. La même activité, exercée par la même filiale, dans le même pays, donnera ainsi lieu, sans justification appropriée, à l’application de deux régimes fiscaux différents en France selon l’implantation de ladite filiale dans le pays. Cette rupture d’égalité n’est pas fondée sur un critère objectif et rationnel au sens de votre jurisprudence.

En troisième lieu, le projet ne prend pas en compte les organisations en cascade puisqu’il ne permet pas de raisonner par transparence pour rechercher l’origine et le niveau d’imposition du revenu distribué. Ainsi, si la société mère française détient directement une filiale opérationnelle en Chine taxée au taux de 25 %, la société française pourra bénéficier du régime mère filiale et être imposée sur les dividendes perçu à 1,90 % (quote-part de frais et charges de 5 % imposable au taux de l’IS: 5 X 38%). Dans la situation, où la filiale chinoise serait détenue par la société française par l’intermédiaire d’une société localisée à Hong-Kong où l’impôt sur les sociétés est à 0 %, la société mère française sera taxée à 38 % à raison des dividendes issus de son activité chinoise là où une détention directe lui aurait assurée une taxation à 1 ,90 %. A cet égard, on notera que la mesure aboutit à un effet contraire à son objet puisqu’il y aura bien eu dans ce cas une double imposition à raison des mêmes revenus, une première fois en Chine à 25 % et une seconde fois en France à 38 %

Le nombre de pays concernés est un facteur aggravant, au plan matériel, de ces ruptures d’égalité (DC n° 2013-679 du 4 décembre 2013), comme l’est la rédaction très imparfaite du dispositif.

Les requérants soutiennent donc que l’article 72 méconnaît le principe d’égalité.

4°) Le 5ème alinéa de l’article 72 méconnaît la clarté et l’intelligibilité de la loi.

Le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi découle directement des articles 4, 5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce principe qui n’est pas étranger au principe de sécurité juridique impose au législateur d’adopter « des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ».

En effet, au cas d’espèce la notion de dividendes d’une société prélevés sur les bénéfices d’une société afférents à une activité non soumise à l’impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est susceptible de s’appliquer à un tel nombre de cas qu’il n’est pas envisageable que le législateur ait entendu viser toutes ces situations.

On peut citer bien sûr les régimes où l’IS est égal à 0 %. Mais cela concerne-t-il toutes les sociétés situées dans des zones franches exonérées de pays dont l’impôt sur les sociétés est comparable à l’impôt français étant précisé que la plupart des pays en voie de développement prévoient de telles zones franches pour faciliter le financement des projets industriels ou d’installation d’infrastructures sur leur territoire ? Cela est-il limité aux activités exonérées en tant que telles ? Ou même les produits exonérés comme, par exemple, les dividendes ou les plus-values sur titres de participation qui bénéficient d’un régime d’exonération dans la quasi-totalité des pays notamment européens ? La mesure peut-elle exclure les structures juridiques en cascade compte tenu de son objet d’éviter les doubles exonérations ? A l’évidence la réponse textuelle est négative, ce qui ramène à la rupture d’égalité mise en évidence ci-dessus.

Pour preuve de cette inintelligibilité, on peut citer l’exposé des motifs du sous-amendement qui tente de préciser le texte pour exclure ces situations sans pour autant y parvenir :

« Le présent sous-amendement rédactionnel vise à préciser la règle selon laquelle les produits prélevés sur des bénéfices non soumis à l’impôt sur les sociétés ou un impôt équivalent n’ouvrent pas droit au régime des sociétés mères.
Il s’agit de préciser, conformément à ce que prévoit la directive relative au régime des sociétés mères et filiales, que cette règle doit être appréciée au regard du traitement général du bénéfice de la filiale distributrice, sans tenir compte d’un éventuel régime particulier accordé à tel ou tel type de produits. Ainsi, serait exclu du régime des sociétés mères les produits provenant de filiales exonérées d’impôt sur les sociétés ; en revanche et conformément à ce que prévoit la directive, continueraient à en bénéficier les produits provenant de filiales même faiblement imposées ou bénéficiant de mesures d’assiette favorables, en amont de la constitution du résultat imposable.
Par ailleurs, dans le cas où coexistent un secteur imposé et un secteur exonéré, seul le secteur exonéré serait exclu du régime des sociétés mères, à l’instar de ce qui est actuellement prévu à l’article »

On soulignera que dans une partie de l’exposé des motifs, il est indiqué que l’on ne tiendra pas compte d’un éventuel régime particulier accordé à tel ou tel type de produits alors même que dans la phrase d’après il est indiqué dans « dans le cas où coexiste un secteur imposé et un secteur exonéré, seul le secteur exonéré serait exclu du régime mère fille ».

Ainsi, si l’on reprend l’exemple d’une filiale espagnole d’une société française, cette filiale espagnole ayant par hypothèse à la fois une activité opérationnelle taxable mais percevant également des dividendes exonérés de ses propres filiales. Lors de la distribution des résultats de la filiale espagnole, quel sera le traitement en France des dividendes provenant des dividendes exonérés ? S’agit-il d’un secteur exonéré ? Ou cette exonération doit-elle être considérée comme issue d’une règle particulière ? Quoi qu’il en soit, nous sommes en présence d’une activité de gestion des participations non soumise à l’IS.

Pour ces raisons, les requérants estiment que l’article 72 contrevient au principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Les médias du groupe Finyear


Jeudi 8 Janvier 2015




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