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Où sont passées les « Tables de la loi » des sous-traitants ?

« Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un sous-traitant de négocier avec son donneur d’ordre ».


Thierry Charles
Thierry Charles
La plupart des grandes réussites industrielles de ses dernières années s’expliquent par un recours intensif à la sous-traitance. La sous-traitance demeure un jalon essentiel dans le processus de gestion de la qualité et de la traçabilité. C’est enfin un facteur essentiel de l’aménagement du territoire à la fois pour développer le tissu industriel régional mais également pour attirer les investissements !

Or du fait du rôle de plus en plus dictatorial joué par les directeurs d’achats, qui ne raisonnent que par le prix, des évolutions de comportements des consommateurs et de l’imprévisibilité actuelle de la conjoncture (hausses matières, rupture brutale d’approvisionnement, etc.), les sous-traitants souvent « coincés » entre des donneurs d’ordres et des fournisseurs puissants (entre le marteau et l’enclume !) pâtissent particulièrement de cette situation.

Les apporteurs de capitaux et notamment les fonds de pensions imposent à l’industrie des standards de rentabilité de plus en plus élevés qui impactent les marges des fournisseurs.

Certes, de nouveaux marchés s’ouvrent et les secteurs de sous-traitance en France exportent de plus en plus mais cela n’empêche pas leurs parts de marchés au niveau mondial de se réduire par rapport à leurs concurrents allemands voire… Italiens ! Les donneurs d’ordres en effet développent leurs achats dans des pays ou les facteurs de production, travail mais aussi capital, sont plus bas qu’en Europe. De plus en plus souvent, ils délocalisent dans ces pays leurs propres activités sans proposer de mesures d’accompagnement à leurs propres sous-traitants.

La loi sur la sous-traitance qui fête cette année son 35ème anniversaire protège le sous-traitant(1). La raison de cette loi était de défendre le sous-traitant en cas de défaillance de son client immédiat, appelé « entrepreneur principal » et de lui conférer un droit direct envers le client final, appelé « maître d'ouvrage ». Or, les principaux bénéficiaires ne l’utilisent pour autant que trop rarement alors que par ailleurs le droit de la sous-traitance est en constante évolution(2).

Dès lors, il s’agit de veiller à la mise en place d’un nouveau cadre législatif favorable à la sous-traitance et permettant un rééquilibrage véritable des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants.

En effet, la loi de, 1975 ne traite pas des abus de puissance économique ou du détournement des droits de propriété intellectuelle, elle ne vise que le non-paiement du sous-traitant.

Aussi, il s’agit notamment de réaffirmer le poids des conditions générales de vente des fournisseurs dans la négociation commerciale, mise à mal à l’occasion de la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 où les débats n’ont concernés que la grande distribution (ce qui avait déjà été le cas à l’occasion de la réforme de la loi n°96-588 du 1er juillet 1996, dite « loi Galland », sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, entrée en vigueur au 1er janvier 1997 ).

Il s’agit également de penser l’environnement global de la sous-traitance (le contrat d’entreprise, qui est « la convention par laquelle une personne s’oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son cocontractant », étant par nature très différent du contrat de vente)(3) en fonction de l’ensemble des acteurs de la filière et non en fonction des seules attentes des grands donneurs d’ordres et de leur direction des achats (à la différence de la France, la « technique » est au cœur de la négociation en Allemagne).

Il s’agit de veiller à une répartition pertinente de la valeur ajoutée et des responsabilités. Il n’est pas acceptable que les sous-traitants se voient transférer des responsabilités croissantes sans que leur savoir-faire soit en retour reconnu, valoriser et protéger. Les relations doivent pouvoir s’inscrire dans un objectif de long terme et non dans un perpétuel un rapport de force.

A noter qu’en vertu de l'article 9 de la loi n°192 du 18 juin 1998 sur le régime juridique de la sous-traitance en Italie « est considérée comme dépendance économique la situation où une entreprise est en mesure de déterminer dans ses rapports commerciaux avec une autre entreprise, un déséquilibre de droit et d'obligations excessif ». Ainsi la dépendance économie est évaluée en tenant compte de la possibilité réelle pour la partie faible de trouver sur le marché des alternatives satisfaisantes. Le contrat qui a pour effet de créer une telle situation est nul et non avenu. Par ailleurs, tout abus d'une telle situation de dépendance est interdit par la loi. L'abus de la dépendance peut résulte du refus de vente ou d'acheter, de l'imposition de conditions contractuelles discriminatoires et injustifiées, de l'interruption arbitraire des relations commerciales, etc.

En droit français, réserve faite de la loi de 1975 qui ne permet qu’exceptionnellement de qualifier la sous-traitance industrielle (on utilise indifféremment les termes de « vente », de « fourniture », de « travail à façon» ou de « réalisation de pièces », etc. Or, cette incertitude laisse ainsi une grande part d’interprétation au juge : ce qui profite aux donneurs d’ordres préférant parler du droit de vente offrant davantage de garanties(4)). Aucun texte impératif ni supplétif ne régit spécifiquement les contrats auxquels sa pratique peut donner naissance, qu’il s’agisse de leur forme, de leur objet, de leur durée, ou du régime de responsabilité qui leur est applicable (il s’agit de ce qu’on appel un « contrat innommé » ou d’une « convention sui generis »)(5).

Or, dans le régime juridique de la sous-traitance en Italie, selon la partie II de la loi n°192 du 18 juin 1998, le rapport de sous-traitance est constitué par un contrat qui doit être rédigé par écrit, sous peine de nullité.

La loi du 31 décembre 1975 ayant été élaborée en fonction de la sous-traitance immobilière et non pour la sous-traitance industrielle, aussi convient-il de donner une bonne fois pour toute une qualification juridique de la sous-traitance industrielle dans la loi.

Les contrats de sous-traitance industrielles ne sont soumis à aucun contrôle de légalité de leurs stipulations (il en va autrement avec la loi du 1er février 1995 sur la protection des consommateurs en matière de clauses abusives : or rien de tel dans le domaine des contrats de sous-traitance industriels) et aucun dispositif légal de contrôle a priori ou a posteriori ne vise à protéger les parties contre l’éventualité d’un déséquilibre significatif, au détriment du plus faible d’entre eux, dans le partage entre eux des droits et obligations résultants de leurs conventions ( ce qui laisse tout loisir aux donneurs d’imposer leurs conditions générales d’achats avec leur éventail de clause abusives sans cesse dénoncer auprès de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales / CEPC… en vain !).

Aussi, les entreprises de sous-traitance demandent un statut juridique réglementé de la sous-traitance industrielle : le contrat de sous-traitance devant être à tout le moins matérialisé par un écrit(6).

(1)A noter que le privilège de pluviôse qui permet au sous-traitant dans un marché public de se faire payer lorsque l’entreprise est en redressement ou liquidation judiciaire a été instauré par le décret du 26 pluviôse an II (repris dans l’article L. 3253-22 du Code du travail) !

(2)Voir projet de loi du 9 décembre 1992 n°3120 ; la loi n°192 du 18 juin 1998 sur la sous-traitance dans les activités de production en Italie et à un projet de loi relatif à la SST industrielle qui avait été proposé par Martine Clément dans le cadre de la CPCI le 12 juillet 2000. Lire également le rapport de la CPCI « Etat de l’industrie 2009 », le rapport de l’INSEE « la sous-traitance industrielle en chiffres » paru en juin 2009 et l’enquête annuelle d’entreprise publiée par la DGCIS.

(3)Le contrat de sous-traitance est un contrat d’entreprise et non pas un contrat de vente, dans la mesure où le contrat de vente portent sur la fourniture d’objets qui n’ont pas été fabriqués pour répondre à la demande d’un seul acquéreur et conformément aux spécifications fournies par lui. La pratique consistant à vouloir faire du contrat de sous-traitance, un contrat de vente, peut constituer une dérive dangereuse : les obligations juridiques sous-jacentes à ces contractualisations étant bien différentes. Il arrive même que certains juges, saisies d'une application de la loi de 1975, excluent la notion de contrat d'entreprise, du fait de l'existence d'une clause de réserve de propriété, traditionnellement connue dans le contrat de vente. Voir enfin à ce propos « Non, madame la Ministre, les conditions générales de vente ne sont pas « négociables », La Tribune, 20 fév. 2008.

(4)A titre d’exemple le régime de la responsabilité applicable au contrat de vente est très rigoureux en matière de garantie des vices cachés, celui du contrat d’entreprise tolère la validation des clauses limitatives de responsabilité.

(5)Lire Serge Peyret, « Sous-traitance industrielle », Ière édition, encyclopédie Delmas 2000, p.52 et suiv.

(6)A titre d’exemple, l’article L231-13 du Code de la Construction et de l’habitation modifié par loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004 - art. 39 JORF 10 décembre 2004 prévoit que le constructeur est tenu de conclure par écrit les contrats de sous-traitance avant tout commencement d'exécution des travaux à la charge du sous-traitant.


Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie
et du Centre National de la Sous-Traitance (CENAST)
t.charles@allize-plasturgie.com

Jeudi 24 Juin 2010




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