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Nouveau Bretton Woods – au-delà de l’effet d’annonce

Les agendas présidentiels – aussi bien français qu’américain - semblent le permettre : il y a une fenêtre de quelques heures, le temps de « faire un nouveau Bretton Woods ». Risible. C’est oublier qu’avant de poser les jalons d’un système institutionnel international, il faut être au clair à la fois sur le diagnostic et sur la vision. Or, le cafouillage institutionnel actuel dure au moins depuis 1971, et il a seulement été mis en exergue par la crise actuelle. Il témoigne à la fois d’une absence de diagnostic partagé et d’un criant défaut de vision commune. La liste ci-dessous compare la situation au moment de Bretton Woods avec la nôtre afin de montrer que s’ il est important d’empoigner immédiatement les problèmes économiques dans une perspective globale, il est tout aussi illusoire penser pouvoir finaliser le projet en quelques heures.


Paul H. Dembinski
Paul H. Dembinski
1. Le « système » issu de Bretton Woods est la dimension économique d’un projet politique issu de l’alliance anglo-américaine dont l’ONU est devenue l’armature porteuse. Ce projet a progressivement pris forme dès 1941 pour aboutir (partiellement) en 1944. Ainsi, alors que la guerre battait encore son plein, les chancelleries pensaient et préparaient l’avenir obsédées par une seule idée : « plus jamais ça !». Pour le garantir, le monde de l’après-guerre s’est développé autour de la vision partagée d’une société mondiale de nations prospères, rendues interdépendantes par un commerce intense.
Or les références contemporaines à Bretton Woods passent la plupart du temps sous silence le fait que l’inclusion et la prospérité pour tous ont été au coeur de la vision de Bretton Woods. Il est donc faux de ramener les ambitions de Bretton Woods au seul système monétaire. Il était certes présent mais en tant qu’instrument au service du commerce équilibré, lequel devait être le véritable moyen de la prospérité et de l’inclusion. Qu’en est-il aujourd’hui? D’un côté, on est face à un échec retentissant de toutes les politiques et initiatives se réclamant « du développement » depuis des décennies. De l’autre côté, on trouve une crise financière récente dans le contexte d’un chaos institutionnel vieux de 37 ans très exactement. Si on veut effectivement lancer un nouveau Bretton Woods, il faut donc revenir à une vision intégrale des défis de l’économie mondiale et mettre la question du développement en son cœur.

2. Le système institutionnel de Bretton Woods comportait trois volets : un volet commercial (GATT ensuite OMC), un volet monétaire et de soutien aux déséquilibres éventuels de balances commerciales (FMI), et un volet de financement de la reconstruction et du développement (aujourd’hui la BM). Dans ce triptyque, le commerce et le financement des projets de développement étaient clairement essentiels. Quant au volet monétaire, dont la gestion avait été confiée au FMI, il consistait à éviter que les fluctuations de taux de change ne viennent perturber le commerce, véritable facteur de paix et de prospérité. Dans ce schéma, la place de la monnaie était donc clairement précisée : elle était un moyen de paiement au service du commerce et du développement. Aujourd’hui, alors que le cycle de Doha (dit du développement !), est sous respiration artificielle, nous sommes loin d’avoir une hiérarchie de valeurs aussi claire. Dans les débats actuels, c’est la préoccupation de préserver l’édifice financier qui semble dominer, alors que la question du commerce, et surtout celle du développement, reste visiblement au second plan..

3. Au temps de la mise sur pied du triptyque de Bretton Woods, la finance internationale n’existait quasiment pas. Là où il y avait activité financière, elle était nationale. Il n’est donc pas si étonnant que la finance ait été la grande oubliée du « système » de Bretton Woods. C’est à cause de cette lacune dans sa construction que le développement de la finance internationale dans les années 1960 (eurodollars) a si facilement eu raison du « système » de Bretton Woods, qui a été précipité dans le chaos en 1971. L’irruption de la finance avec ces flux de capitaux a changé la donne en profondeur. Le système de Bretton Woods était armé pour gérer un ordre basé sur les taux de change fixes entre les monnaies-moyens de paiement ; aujourd’hui, il faut pouvoir faire face à un amalgame monnaie-finance hautement mobile qui combine liquidité monétaire avec rentabilité financière. Cet amalgame est issu de la fusion effective entre le monétaire et le financier. Ainsi, en quelques décennies, le paysage économique international s’est compliqué par l’apparition d’une sphère financière en expansion continue, aux côtés du commercial et du monétaire traditionnel. Ceci a remis en question la hiérarchie commerce-monnaie. Aujourd’hui il n’y a plus aucun consensus à ce sujet et, pour cacher les divergences d’intérêts et d’opinions politiques qui la divisent, la « société internationale » a continué, depuis 1971 au moins, à créer des institutions supplémentaires qui répondaient aux mandats précis pour répondre à des préoccupations ad hoc mais sans s’inscrire dans une vision systémique d’ensemble. Si ce foisonnement institutionnel a profité à des villes d’accueil, comme Genève, il a fait perdre au « système de Bretton Woods » sa clarté initiale. Pour le « refonder » il faut donc non seulement une vision et une hiérarchie entre monnaie-finance-commerce-développement mais aussi un espace institutionnel qui ne soit pas encombré de scories et laisse une marge de manœuvre politique suffisante. Ce n’est pas impossible, mais nous en sommes loin une fois de plus.

Nouveau Bretton Woods – au-delà de l’effet d’annonce
4. Le monde à l’issue de la guerre avait besoin d’investissements pour se reconstruire et se développer. Au niveau international ce fut la tâche de la future Banque Mondiale. La croissance des Trente Glorieuses (1944-1974) a été le fait d’un haut taux d’investissement. Aujourd’hui, le système financier mondial se trouve dans une situation bien différente : la finance mondiale est saturée par un océan d’épargne qui entend rester liquide (grâce aux marchés financiers) et refuse donc de se faire « coincer » dans des projets d’investissement de long-terme. La quête de liquidité – synonyme de refus d’engagement à moyen terme de l’épargne – est une des données structurelles de la finance contemporaine. Toute remise à plat doit donc se pencher sur le rôle systémique de cette épargne (notamment des fonds de pension) qui était la grande absente au moment où le système de Bretton Woods était mis au point. Si, le terme de « nouveau Bretton Woods » n’était invoqué que pour légitimer la recherche des modalités d’un retour à la liquidité, il est un abus de langage notoire. Il faut en effet redéfinir les moyens pour mettre l’épargne au service de l’économie dite réelle.

5. Bretton Woods était un ordre bâti sur l’hypothèse de la souveraineté effective (et pas seulement théorique) des Etats membres. L’enjeu du système se situait au niveau de l’économie internationale, à laquelle il s’agissait alors de redonner une impulsion après son quasi-anéantissement durant la guerre. Aujourd’hui, d’une part dans biens des cas la souveraineté des Etats est plus théorique qu’effective, d’autre part l’enjeu économique est trans-national. En témoigne la puissance des entreprises transnationales, y compris dans la finance. Elles sont – et non pas les Etats – les véritables acteurs économiques au niveau global. La difficulté qu’a un petit état comme la Suisse à sauver un géant de la banque met bien en évidence la dimension transnationale – et non pas internationale – de la crise. En conséquence, un nouveau Bretton Woods ne devrait pas rester prisonnier de l’illusion souverainiste, il faut qu’il parvienne à poser les jalons d’une gouvernance des processus économiques transnationaux, en associant tant du côté de la légitimité que de celui de la responsabilité, à la fois les Etats et les entreprises. Bien que des expériences existent, telle Basel II, le nouvel Bretton Woods devait en faire un principe de fonctionnement. Là encore beaucoup reste à faire.

6. Les institutions de Bretton Woods étaient à vocation mondiale. Depuis se sont multipliés des arrangements, accords, traités et organisations à vocation régionale, dont l’UE est la plus visible. Les institutions régionales existent ainsi, avec plus ou moins de bonheur, sur tous les continents aussi bien dans le domaine du commerce, que de la finance, de la monnaie et du développement. Ce foisonnement fait que toute tentative de poser les bases d’une nouvelle architecture internationale doit compter avec les réalités régionales et le principe de subsidiarité.

7. Enfin, à la sortie des horreurs de la guerre, les vainqueurs avaient un socle éthique commun. Ils savaient que la victoire avait été obtenue au prix d’un effort de tous et de chacun et donc que la coopération, à tous les niveaux, était un gage de paix et de stabilité. La crise récente, plus que toutes les analyses théoriques antérieures, a montré à quel point notre économie et notre finance sont gangrenées par des attitudes, individuelles et de groupe a-éthiques, pour ne pas dire simplement scandaleuses. Aucune régulation, aucun système international ne fonctionnera sans la prise en compte explicite de l’insoutenable fragilité éthique de notre monde. Toute initiative qui omettrait cet aspect du problème est condamnée à court terme. Aussi, un nouvel Bretton Woods ne saurait être esquissé avec quelques chances de succès sans la prise en compte de cette dimension essentielle à toute activité économique à la fois libre et responsable.

La mise en place d’un nouvel Bretton Woods ne peut donc être que l’aboutissement d’un processus de cristallisation qu’il s’agirait d’initier au plus vite. Aujourd’hui, plus qu’hier, les certitudes chancellent sur leurs bases, ce qui offre une fenêtre de tir inespérée pour la mise en place d’une initiative littéralement radicale, c’est-à-dire reprendre à la racine les questions du développement, du commerce, de la monnaie et de la finance. La tentation de dirigeants avides de succès rapides est sans doute grande de n’aborder que la facette financière de la problématique, d’ajouter une nouvelle institution ou un volet aux institutions existantes, et de passer à autre chose. Le faire tout en se référant au « nouveau Bretton Woods » serait abuser de la bonne foi des citoyens et se voiler la face devant les véritables défis planétaires.

Paul H. Dembinski, directeur de l’Observatoire de la Finance (Suisse)

www.obsfin.ch

Mercredi 19 Novembre 2008




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