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Mésentente entre associés : prévention et solutions

Sauf cas particulier, les associés d’une société ont tous été, à l’origine, désireux de participer à un projet commun, une même aventure sociale. Malgré cela, certaines de ces aventures finissent devant les tribunaux, alors que l’entreprise avait su trouver son marché, ses clients, etc.


Yann Martin-Lavigne
Yann Martin-Lavigne
Le conflit entre associés fait partie des risques de l’entreprise : plusieurs entrepreneurs, a fortiori un créateur et un investisseur, ont des intérêts divergents au-delà de la réussite de l’entreprise. En plus de s’en remettre à la traditionnelle (mais parfois bien absente) sagesse des parties, il est n’est pas inutile de rappeler la nécessité de minimiser ce risque par une réflexion en amont.

Les conseils d’un professionnel expérimenté au stade de la mise en place du projet sont toujours moins onéreux qu’un conflit ouvert, dont les conséquences peuvent être la perte d’un temps précieux, des capitaux investis, et éventuellement d’emplois. Ils permettent de poser les questions essentielles et de trouver les réponses les plus adaptées aux cas d’espèce.
Si, malgré, ou en l’absence de ces travaux d’anticipation, un conflit intervient, il peut dans la plupart des cas être résolu sans l’intervention des juges, par l’utilisation des droits statutaires des associés ou selon des voies conventionnelles (1). A défaut, les litiges peuvent être tranchés par les tribunaux, dont la compétence en la matière n’est pas, comme on le pense souvent, uniquement de se prononcer sur la dissolution de la société (2).

1. Résolution extrajudiciaire des conflits

Les conflits entre associés résultent souvent de divergences qui aboutissent à une disparition du dialogue ou à des échanges explosifs. Il est donc important, dès l’apparition d’un conflit, de pouvoir rétablir les conditions d’une communication normale.

Le Code de commerce attribue aux associés des droits qu’il est alors possible d’utiliser (1.1). Les statuts ou un pacte peuvent en outre contenir des mécanismes de résolution des conflits (1.2).

1.1 Législation

Les outils mis à disposition par le code de commerce ne sont pas à proprement parler des outils de résolution des conflits, mais l’associé qui se jugerait écarté de la prise de décisions ou qui contesterait les orientations dictées par le ou les mandataires sociaux, dispose de plusieurs moyens pour obtenir certaines réponses ou au moins provoquer un débat.

Les questions écrites. Le code de commerce permet aux associés de poser des questions écrites.

En premier lieu, dans les SA et les SARL, tout associé peut poser par écrit autant de questions qu’il estime nécessaire pour l’approbation des comptes. Le gérant dans le cas d’une SARL, le conseil d’administration ou le directoire dans le cas d’une SA, est tenu de répondre à ces questions au cours de l’assemblée (a) .

En second lieu, tout associé non gérant de SARL, ou un ou plusieurs détenteurs d’actions représentant ensemble au moins 5% du capital social d’une société par actions, peuvent poser, deux fois par exercice, des questions écrites aux dirigeants sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation (b) . Le gérant, le président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, selon le cas, est tenu de répondre dans le mois, en adressant une copie de sa réponse au commissaire aux comptes, lorsqu’il en existe un.

Ces dispositifs permettent aux associés d’être informés de la conduite des affaires sociales. Ils peuvent servir à alerter les dirigeants d’une impasse financière ou stratégique identifiée par le ou les auteurs. Un associé qui craindrait de voir sa responsabilité engagée en cas de difficulté de l’entreprise pourrait aussi par ce moyen se dédouaner des faits dont il aurait connaissance, dans la perspective d’une future procédure collective.

Le dépôt de projets de résolutions. Dans les sociétés par actions seulement (SA ou SAS, lorsque les statuts le prévoient), un ou plusieurs actionnaires représentant ensemble au moins 5% du capital (quand celui-ci est inférieur à 750 000€) peuvent déposer des projets de résolution (c).

La demande d’inscription des projets de résolution doit être envoyée au siège social au moins 25 jours avant la date de l’assemblée. Les résolutions proposées doivent obligatoirement être jointes à la convocation de l’assemblée, qu’elles aient ou non un rapport avec l’objet de l’assemblée.

Dans le contexte d’un litige entre associés, cette faculté permet d’obtenir une discussion sur un point donné et, le cas échéant, d’y faire participer les autres associés.

Le droit de vote en assemblée générale. L’exercice du droit de vote par un associé ne permet pas en soi de résoudre des conflits, mais le vote d’un majoritaire risque de les trancher en sa défaveur. C’est pourquoi il est important de comprendre en amont quels droits sont conférés lors de l’acquisition ou la souscription des part sociales ou actions.

La loi fixe les principes concernant les règles de majorité pour un certain nombre de décisions : l’unanimité pour l’augmentation des engagements des associés (d), la majorité des 2/3 pour la quasi-totalité des modifications statutaires et la dissolution de la société (e) , et la majorité simple pour la désignation et la révocation des mandataires sociaux et les autres décisions ordinaires (et notamment l’approbation des comptes, la distribution de dividendes).

Certaines de ces conditions de majorité peuvent être modifiées par les statuts, mais l’aménagement le plus courant est l’établissement d’une liste de décisions, relevant par défaut de la compétence du seul mandataire social, pour lesquelles l’avis favorable de l’assemblée ou d’un comité devra être obtenu au préalable.

Il faut noter qu’en cas de répartition égalitaire du capital entre deux associés, ou dans le cas d’un comité de direction composé de deux membres, la majorité simple équivaut à l’unanimité. C’est la raison pour laquelle les associations égalitaires sont le plus souvent déconseillées, à moins d’avoir mis en place les mécanismes adéquats pour la résolution rapide des conflits, le cas échéant via un droit de retrait.

Il convient néanmoins de préciser que si l’exercice du droit de vote comme de tout droit d’actionnaire permet de marquer son opposition à une stratégie donnée, son usage peut être sanctionné s’il s’avère abusif. Les tribunaux sanctionnent de la même manière l’abus de majorité et l’abus de minorité.

1.2 Statuts et pactes

Dès lors qu’un conflit ouvert s’installe entre les associés et si l’actionnaire ou associé n’a pu obtenir de réponse à ses questions, il est utile de recourir à des méthodes extrajudiciaires de résolution des différends. Plusieurs options sont envisageables :
Les clauses de médiation. La clause de médiation permet aux associés de recourir à un tiers qui tâchera de dégager une solution de compromis.

La médiation peut être rendue obligatoire en amont, par exemple via l’insertion d’une clause spécifique dans les statuts ou le pacte. Dans ce cas, les parties sont tenues de respecter ce préalable, faute de quoi une action portée directement devant les tribunaux serait irrecevable (f). La médiation peut également faire l’objet d’un accord entre les parties une fois le litige né. Il est évident que cette dernière solution est plus rare.

Le médiateur peut être soit une personne indépendante choisie en amont par les parties (par exemple, un dirigeant d’entreprise dont l’autorité est reconnue par les deux protagonistes), soit désigné par l’organisme visé dans la clause de médiation (CMAP, CCI, etc.) parmi des personnes spécifiquement formées à ce type d’exercice.

Par ailleurs, on assiste à un développement des modes alternatifs de règlement des conflits, parmi lesquelles l’évaluation indépendante, la décision d’urgence ou la décision sur dernière offre. Cette dernière méthode où un tiers retient l‘offre la plus raisonnable entre celle faite par chacune des parties, est de nature à favoriser l’émergence de propositions raisonnables.

Ces procédures font souvent l’objet de barèmes en fonction de l’enjeu du litige.

Les clauses d’exclusion. L’exclusion peut être prévue pour les cas où les différentes procédures mises en œuvre ne permettent pas l’apaisement du conflit.

L’exclusion constitue une atteinte grave au droit de propriété. Pour cette raison, autant les motifs d’exclusion que la procédure elle-même doivent faire l’objet d’une rédaction suffisamment détaillée pour éviter le risque d’arbitraire et de contestation. Certaines clauses objectives d’exclusion (concurrence déloyale, changement de contrôle) sont faciles à établir, d’autres (divergences sur la stratégie de l’entreprise) nécessitent une formalisation du désaccord.

Par application d’une jurisprudence récente, l’associé faisant l’objet de l’exclusion ne peut pas être privé de son droit de participer à cette décision. Les conditions de majorité doivent tenir compte de cette contrainte, en instaurant des règles spécifiques (par exemple, le vote par un comité spécifique, au sein duquel chaque associé dispose d’une voix, quelle que soit sa participation).

La présence de cette clause dans les statuts lui confère un caractère plus contraignant, puisque, malgré une évolution jurisprudentielle dans le sens d’un renforcement de l’efficacité des pactes, le non-respect d’une clause d’un pacte peut ne donner lieu, dans certains cas, qu’à l’allocation de dommages et intérêts. Compte tenu de la grande liberté statutaire, et des simplifications apportées au fonctionnement de la SAS par la loi LME (absence de capital minimum et, sous certaines conditions, dispense de désignation d’un commissaire aux comptes), cette forme sociale doit être privilégiée autant que possible.

Dans tous les cas, le prix doit être déterminé ou déterminable, et doit être fixé en dernier recours par un expert désigné par le tribunal (article 1592 ou 1843-4 du code civil). La pratique a également dégagé certaines méthodes intéressantes, et notamment la clause « d’achat ou vente » où un associé propose un prix pour l’acquisition de ses propres actions par ses associés. En cas de refus, il est tenu d’acquérir les actions de ses associés au même prix.

La clause d’exclusion peut être utilisée comme un moyen d’éviter les blocages entre deux associés égalitaires. Elle nécessite alors d’avoir au préalable défini lequel des associés pourra exclure l’autre. A défaut, seule une négociation, qui souvent s’apparente à un processus d’enchère, permettra de déterminer lequel des deux associés sera contraint de céder sa participation.
L’exclusion se lit comme une faculté de retrait lorsque le minoritaire qui s’est vu imposer certaines décisions demande le rachat de sa participation.

2. Résolution judiciaire des conflits

Action en dissolution. L’article 1844-7, 5° du code civil prévoit la possibilité pour le juge de prononcer la dissolution de la société pour « justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».

La décision des juges de prononcer la dissolution est systématiquement liée à leur appréciation de la paralysie. Celle-ci peut se matérialiser par l’impossibilité de désigner le dirigeant (de droit ou de fait) de la société, l’impossibilité de toute décision stratégique ou simplement la succession des missions d’administration provisoire.
Si l’action en dissolution est une arme de dissuasion efficace, surtout à l’usage des minoritaires, les tribunaux l’écartent lorsqu’elle émane de l’auteur du différend, et elle est d’un recours dangereux car le succès d’une telle action affecte tous les associés, sans distinction.

Pour cette raison, d’autres actions peuvent être envisagées en cas de conflit, avec autant, si ce n’est plus d’efficacité.
Administrateur judiciaire : Pour pallier un blocage, il est possible de solliciter du tribunal la désignation d’un administrateur judiciaire. Il remplace alors le dirigeant dans l’exercice de ses fonctions.

Compte tenu de l’importance de cette décision, les juges réservent cette solution aux cas où un différend entre associés entrave le fonctionnellement de celle-ci et menace l’intérêt social, mais où un redressement reste très probable. En tout état de cause, la seule mésentente n’est pas un motif suffisant.

En outre, la rémunération de l’administrateur est en principe à la charge de la société.

Le risque de dessaisissement du mandataire social et de coûts pour la société rend cette action très efficace, notamment à l’appui de la négociation engagée par un minoritaire pour sa propre sortie.

Mandataire ad hoc : Pour des missions ponctuelles ou limitées dans leur objet, les tribunaux préfèrent la désignation d’un mandataire ad hoc, d’autant que la demande de désignation d’un administrateur judiciaire ou d’un mandataire ad hoc est le plus souvent présentée sous la forme des référés, procédure rapide par définition. La mission du mandataire peut être de représenter un associé lors d’une assemblée générale lorsqu’est à craindre un abus de minorité, de surveiller le bon fonctionnement des organes sociaux, ou encore de trouver une solution à un conflit entre associés.

Expert : Un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital peuvent demander la désignation judiciaire d’un expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. La décision d’expertise et la définition de la mission de l’expert revient au juge. Le coût de l’expertise est supporté par la société.

Cette expertise permet de réunir les éléments pour engager, le cas échéant, une action en responsabilité civile ou pénale contre le dirigeant de l’entreprise. Elle peut servir d’avertissement au dirigeant et encore une fois favoriser l’émergence d’une solution négociée.


(a) C. com., art. L. 223-26, al. 3 pour les SARL et art. L. 225-108, al. 3 pour les SA
(b) C. com., art. L. 223-36 pour la SARL et art. L. 225-232 pour la SA, et la SAS par renvoi
(c) C. com., art. L. 225-105 al. 2 pour la SA
(d) C. com., art. L. 223-30 pour la SARL et Cass. Com. 26/03/1996 pour les SA
(e) C. com., art. L. 223-30 pour les SARL et art. L. 225-96 pour les SA
(f) Chambre mixte, 14/02/2003

Par Yann Martin-Lavigne
Avocat à la Cour

15 rue Montbauron 78000 Versailles
Tél : 01 30 21 82 50
contact@martinlavigne.fr

Vendredi 24 Juillet 2009




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