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Les « abcès de fixation » de la LME


Quelque 18 mois après la promulgation de la loi de modernisation de l’économie (LME), l’Assemblée nationale publie un nouveau rapport n° 2312 de la Commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie rédigé par les députés Patrick Ollier et Jean Gaubert.


Thierry Charles
Thierry Charles
Le rapport se concentre sur les aspects problématiques de l'application de la LME (« un bilan nuancé et quelques abcès de fixation persistants »), et notamment s’agissant de la négociabilité des tarifs («des abus persistants malgré la diminution sensible des marges arrières ») ou de la réduction des délais de paiement (« un contexte difficile, un effort insuffisant »).

Si la Commission relève une diminution sensible des marges arrières, qui baissent de 30 à 10 %, elle constate toutefois des résultats mitigés sur les prix et la persistance des abus « injustifiables » tels que l’explosion des pénalités abusives, la renégociation des contrats à peine ceux-ci conclus, les clauses d’alignement de marges, etc.

Par ailleurs la LME a privilégié l'effectivité et le caractère dissuasif des sanctions, qui ont été aggravées, plutôt que d'allonger la liste des pratiques interdites (art. L.442-6 du Code de commerce). Reste que la Commission estime que les contrôles doivent être renforcés et les sanctions appliquées.

A cet égard, elle se réjouit (sic ! signe pour certains députés qu’il n’y a pas d’amélioration des comportements) de la création d'une brigade de contrôle de la LME au sein de la DGCCRF (120 enquêteurs, soit une hausse de 50 % des effectifs jusqu'alors dévolus à ces contrôles) qui doit permettre à l’avenir une meilleure détection des pratiques abusives.

En effet, « la liberté accrue de négociation est assortie de garanties en faveur des fournisseurs, le législateur demeurant inspiré par la conviction que compte tenu de l’atomisation des producteurs d’un côté, et de la concentration de la grande distribution de l’autre, le cadre synallagmatique classique est inadapté au déséquilibre des rapports de force qui caractérise le secteur ».
A cet égard, la commission espère que les assignations de neuf grandes enseignes par le secrétaire d'État au commerce, fin 2009, seront dissuasives (le code de commerce prévoit en effet la possibilité pour le ministre de l’économie d’introduire une action devant la juridiction compétente et de demander le prononcé de sanctions civiles).
Quant à la loi du 4 août 2008, elle a, d’une part, modifié la qualification des pratiques interdites afin de rendre les sanctions plus effectives, en substituant à la notion d’abus de dépendance ou d’abus de puissance d’achat ou de vente, qui était inappliquée car faisant l’objet d’une interprétation restrictive par les juridictions, celle de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ; d’autre part, elle a renforcé la liste des clauses susceptibles d’être frappées de nullité, en visant celles ayant pour objet de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le co-contractant ; enfin elle a renforcé les sanctions encourues, en portant le plafond des amendes à 2 millions d’euros ou trois fois l’indu.
Au cours des débats à l’Assemblée Nationale, il convient de relever l’intervention de la députée Catherine Vautrin qui interpellent ses homologues à la fois sur les marques de distributeurs (MDD), « qui deviennent aujourd’hui un phénomène de grande ampleur », et sur les conditions générales, en précisant que « si tous s’accordent à dire que les conditions générales de vente constituent le socle des relations commerciales, je note par ailleurs qu’un certain nombre d’acteurs souhaiteraient néanmoins que l’on s’intéresse également aux conditions générales d’achat (CGA). Nous gagnerions donc beaucoup à nous intéresser à cet élément ».
Dont acte.

Sur la question de la réduction des délais de paiement, la commission des affaires économiques constate que de nombreux accords dérogatoires ont été signés et surtout que « certaines pratiques non-conformes à l’esprit de la loi se développent consistant à faire assumer au fournisseur le risque financier de la gestion du stock ».

A propos des accords dérogatoires, la commission rappelle que « les décrets d’homologation étendent le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l’activité relève des organisations professionnelles signataires de l’accord, respectant ainsi la lettre comme l’esprit de la loi permettant une extension « horizontale » secteur par secteur, et non une autorisation « verticale » par filière ».

Elle confirme par ailleurs que ces accords fixent des délais plafonds qui ne peuvent en aucun cas être automatiquement imposés aux fournisseurs par un client. Aussi, un fournisseur conserve la faculté de négocier avec son client un délai inférieur, même si dans les faits, bien souvent les fournisseurs n’ont pas le choix et se voient imposer de fait le délai plafond.

Les rapporteurs regrettent qu’au-delà des accords dérogatoires (39 ayant été conclus avant l’échéance du 1er mars 2009), l’article 30 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a modifié l’article 21 de la LME et ses dispositions relatives aux accords dérogatoires, en précisant que : « […] dans un secteur d'activité dans lequel un accord interprofessionnel n'a pu être signé, un décret peut, après avis de l'Autorité de la concurrence fondé sur une analyse des conditions spécifiques du secteur, prolonger cette échéance à une date ultérieure.»
En conséquence, la possibilité de conclure des accords dérogatoires est prolongée sans limite, « ce qui traduit un changement dans la philosophie qui avait animé le législateur au moment de la LME ».
En effet, l’article 21 de la LME concevait la possibilité de conclure des accords dérogatoires comme une adaptation limitée et proportionnée destinée à tenir compte de la spécificité de certains secteurs, marquée notamment par des rotations de stocks longues, et susceptible de s’exercer jusqu’à une date limite, afin de ne pas retarder indéfiniment la réduction globale à 45 jours.
Que dire encore de la loi du 27 janvier 2010 sur les délais de paiement dans le secteur du livre qui permet la fixation conventionnelle des délais de paiement dans ledit secteur, et qui constitue une nouvelle exception au droit commun des délais de paiement.
Olivier VIBERT, avocat au Barreau de Paris, ne manque pas de constater dans une chronique sur www.cfo-news.com, que « cette loi va très certainement raviver le lobbying de certains secteurs qui ne souhaitaient pas voir limiter les délais de paiement. Pourrions-nous donc après avoir vu défiler la liste des décrets dérogatoires voir désormais adopter une série de Loi visant à exclure certains secteurs de la réglementation des délais de paiement ? »
Il est également constaté qu’un certain nombre de ces accords comportent une clause stipulant que l’application des délais plafonds ne peut donner lieu à la perception d’aucune compensation. Or, après la conclusion de l’accord dérogatoire, ayant pour effet de relever le délai initialement conclu entre les parties, trop souvent la contrepartie alors obtenue par le client n’a pas été annulée (principe de la « double peine »).
La commission revient également sur la polémique autour de la manière dont devait être compris le mode de computation des délais fixés par la loi, c’est-à-dire 45 jours fin de mois.
Le rapport de la commission spéciale du Sénat avait indiqué que dans ce cas de figure, « la computation débute à la fin du mois ». Mais la DGCCRF estimait qu’il était également possible de « comptabiliser les 45 jours à compter la date d’émission de la facture, la limite de paiement intervenant à la fin du mois civil au cours duquel expirent ces 45 jours ». Or en pratique, certains clients choisissent l’un ou l’autre mode de calcul en fonction de la date d’émission de la facture, afin d’obtenir le délai qui leur est le plus favorable.
Enfin, la réduction des délais de paiement a induit des changements de pratiques plus vastes, en particulier s’agissant du régime des stocks. L’option consistant à faire supporter le coût de l’immobilisation financière au fournisseur s’est généralisée, justifiant une réponse quasi immédiate de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) :
« les parties peuvent modifier le cadre juridique antérieur en pratiquant par exemple le depôt-vente au lieu de la vente ferme ; les juristes spécialisés doivent pouvoir proposer des montages sécurisés avec, notamment, le jeu de la clause de réserve de propriété. Pour le stock initial, le même type de mécanisme peut être imaginé. Le code monétaire et financier (article 511-7) offre certaines possibilités pour le fournisseur de consentir des avances sur commandes. La LME ne remet pas en cause le régime juridique du dépôt-vente ou de la vente en consignation. La vente en consignation n’est pas interdite. Cependant, appliquer contrairement aux habitudes anciennes, une telle pratique dans le but de contourner les obligations relatives à la réduction des délais de paiement, devient une pratique abusive ».
Les rapporteurs concluent qu’il convient autant que possible d’éviter de remettre l’ouvrage sur le métier législatif, car après les réformes « Dutreil » de 2005, « Chatel » de 2008, et la LME (2008 encore), les entreprises jugent « essentiel de jouir d’une certaine sécurité juridique afin de s’approprier les nouvelles règles du jeu définies par le législateur ». Car comme le déclare l’un des co-rapporteurs : « s’il y a un domaine dans lequel il n’y a pas de place pour l’angélisme, c’est bien celui des relations commerciales ».

Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie
t.charles@allize-plasturgie.com

Lundi 1 Mars 2010




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