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L’Europe à la croisée des chemins

Analyse Macro. La situation économique en Europe a une tendance paradoxale.


Les nouvelles cycliques sont bonnes : elles continuent de s'améliorer depuis plusieurs mois, accentuant ainsi la perception d'une reprise durable. Mais dans le même temps, les marchés financiers envoient des messages remettant en cause, pêle-mêle, l'existence de la zone euro, sa capacité à se réguler ou encore l'appartenance de certains pays à cette zone monétaire particulière.

Une reprise cyclique qui a belle allure

Au regard des indicateurs liés au cycle économique, les signaux perçus au sein de la zone euro sont désormais plus robustes. Les enquêtes auprès des chefs d'entreprise traduisent un optimisme renouvelé. Ce changement de perspectives, surtout perceptible depuis mars, reflète une meilleure inscription de la zone euro dans la dynamique vigoureuse de l'économie mondiale.

En conséquence, les signaux sur le marché du travail sont meilleurs. Après avoir chuté fortement en zone euro, l'emploi est en phase de stabilisation si l'on en croit les enquêtes. Le schéma français semble s’inscrire dans la même tendance. Ainsi, le profil de l'enquête sur l'emploi (PMI/Markit) est cohérent avec l'évolution trimestrielle de l'emploi : les chiffres du printemps suggèrent une stabilisation du marché du travail à l’approche de l'été, qui ne sera pas perturbée
par des tensions inflationnistes.

Face à une activité en reprise et un taux d'inflation réduit, la Banque Centrale Européenne n'a donc aucune raison de se hâter pour modifier sa politique monétaire. La reprise cyclique ainsi décrite suggère que l'activité va progresser au cours des prochaines semaines et mois. Après avoir redémarré en Asie, puis dans les pays émergents et aux Etats-Unis, la reprise de l'activité mondiale arrive enfin en Europe et la baisse récente de la monnaie européenne vient accentuer ce phénomène. Cependant, les turbulences qui touchent les marchés financiers laissent perplexes. Les arbitrages et la défiance constatés sur ces derniers indiquent une réelle inquiétude sur la capacité de l'Europe à retrouver une dynamique solide et durable.

Si l'on veut organiser les explications pour mieux appréhender cet environnement européen tourmenté, il faut prendre en compte les éléments issus du passé et ceux qui vont construire le futur.

Des contraintes issues du passé

La dette publique, et plus généralement les déséquilibres des finances publiques, font partie des dérèglements issus du passé et qu'il faut maîtriser pour ne pas pénaliser les évolutions à venir.
À l’instar des investisseurs, les gouvernements ont bien saisi cette contrainte. Ils font d'ailleurs tous preuve de vertu pour indiquer que le retour à l'équilibre n'est qu'une question de temps et s’inscrira sur un horizon très court ; chacun souhaitant un retour sous les 3 % de déficit en 2013 ou 2014 au plus tard.

Trois remarques sur ce point :
- Les projecteurs ont été braqués sur la Grèce, le Portugal ou encore l'Espagne, mais les projections faites sur la France montrent aussi un déséquilibre profond. Dans un rapport au Président de la République publié le 20 mai dernier, Paul Champsaur et Jean-Philippe Cothis indiquent que, sans correction spécifique sur les finances publiques (mais avec une croissance robuste rattrapant les pertes de la période de récession), le ratio "dette publique sur PIB" français serait de 110 % du PIB en 2020, contre un peu moins de 80 % à fin 2009. Un tel niveau d'endettement limite de facto les capacités de réaction de chaque gouvernement.
- Les expériences passées suggèrent que, pour qu'une phase de consolidation budgétaire (très forte réduction du déficit public) soit efficace, il faut l’inscrire sur une période de 5-6 ans plutôt que de 3-4 ans comme annoncé par les gouvernements "vertueux à tout prix".
- Le processus apparaît trop hâtif pour ne pas pénaliser la croissance européenne. C'est d'ailleurs ce que craignent les américains et d'autres acteurs qui veulent éviter d’être entraînés dans une spirale négative.
On notera aussi que ces phases de consolidation réussie s'accompagnent d'une très forte baisse de la valeur de la monnaie. Les contraintes internes sont ainsi généralement compensées par une compétitivité renouvelée. Mais tout cela prend du temps et, sur ce point, les européens semblent trop pressés.

Il est absolument nécessaire de maîtriser puis d'infléchir les déséquilibres budgétaires pour redonner des marges de manoeuvre aux gouvernements dans la gestion courante des finances publiques, notamment s'ils ont besoin de faire face à un nouveau choc négatif sur l'activité. Dans une période de dette publique excessive, les chocs ne pourraient en effet plus être mutualisés. L'ajustement s'opèrerait alors sur les acteurs économiques, avec un taux de chômage durablement plus élevé.

Comment construire l’avenir ?

Ces éléments issus du passé sont essentiels. Pourtant, ils ne suffisent pas pour comprendre pleinement les interrogations et doutes qui pèsent sur la zone euro.

Trois points clés doivent ici être éclaircis :
- Le premier porte sur les institutions qui accompagneront la zone euro dans le futur. Il a souvent été question d'un gouvernement économique qui coordonnerait les politiques budgétaires. Ont aussi été évoqués, par la voix de la chancelière allemande Angela Merkel, l'obligation d'équilibre des finances publiques et les risques d’exclusion de la zone pour tout pays qui ne respecterait pas cette règle. Ces deux formes institutionnelles (coordonnée d'un côté, autonome de l'autre) traduisent des modes de fonctionnement a priori incompatibles.
Vers quelle forme s'oriente alors l'Europe ?
Angela Merkel fait également souvent référence à la BCE dans un rôle de contrôle. Quel serait dès lors celui de la Commission Européenne ? Si les institutions qui ont permis la mise en oeuvre de l'euro doivent être aujourd’hui renouvelées en profondeur, on ne sait pas, pour l'instant, quelle nouvelle architecture viendra remplacer l’ancienne. Pour les investisseurs de la zone euro, c'est une source d'incertitude majeure.

- Le second porte sur le mode de distribution des 750 milliards d'euros d’aide aux pays en difficulté sur lesquels l'Europe et le FMI se sont mis d’accord le 9 mai dernier. On peut imaginer que l'attribution s'opèrera en fonction de critères s’appuyant sur le respect de règles proches du pacte de stabilité (ou d'éléments similaires). Il est fait l'hypothèse que cela sera suffisant. Mais existe-t-il un plan B si celui-ci échoue ou si un pays fait faillite ? Ce plan gigantesque s'inscrit dans une dynamique de prévention des déséquilibres mais si un pays fait défaut, ces moyens peuvent–ils néanmoins être utilisés ou faut-il mettre en place un nouveau plan ? Là aussi, les incertitudes sont grandes.

- La troisième et dernière interrogation : comment chaque gouvernement mettra-t-il en place ses stratégies de rééquilibrage budgétaire dans la gestion de ses finances publiques ? Tout pays qui choisirait de ne pas le faire perdrait en crédibilité, ce qui impacterait la prime de risque qui lui est associée sur les taux d'intérêt. Chaque pays devra donc faire preuve d'une certaine originalité dans l’implémentation de sa consolidation budgétaire et l'on peut s'attendre à ce que les investisseurs deviennent plus exigeants sur les stratégies et les mesures prises pour les respecter. En d'autres termes, la précision des stratégies pourrait conditionner les profils de taux d'intérêt pour chacun des pays via une prime de risque.

Ce serait nouveau en Europe, mais néanmoins nécessaire, pour faire face à l'hétérogénéité entre Etats de la zone euro en l’absence de "souche de dette" commune. En cela, la situation européenne diffère clairement de la situation américaine où la dette publique est homogène, sans défiance au sein de cette dette.

Conclusion

La situation européenne est complexe. Même si elle était accentuée, avec un euro continuant de baisser pour que l'Europe s'inscrive davantage dans la dynamique globale, l'actuelle embellie cyclique n'apparaît pas suffisante pour rassurer les investisseurs. Reflets de la mutualisation de la crise de 2008-2009, les déséquilibres de finances publiques pénalisent l'avenir immédiat. Des incertitudes sur les institutions à mettre en place empêchent également de se projeter spontanément dans le futur de l'euro. Au-delà des ajustements économiques, des choix politiques forts doivent être faits pour que la zone euro continue de fonctionner et sorte renforcée de cette crise profonde et violente.

Par Philippe Waechter - Directeur de la Recherche Economique de Natixis Asset Management
Rédigé le 27/05/2010

Dimanche 27 Juin 2010




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