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Gérer les technologies de rupture : conversation avec Chamath Palihapitiya

« Chaque facette de chaque emploi sera transformée par les nouvelles technologies », déclare Chamath Palihapitiya, un ancien dirigeant de Facebook devenu capital-risqueur.


Chamath Palihapitiya
Chamath Palihapitiya
Pour les dirigeants, affirme-t-il, il ne suffit pas de comprendre la dimension technologique de ces innovations, telles que les capteurs et les véhicules autonomes, qui auront des implications considérables sur l'amélioration de la qualité de vie et sur la productivité. Il leur en faut également saisir les conséquences organisationnelles. Ces innovations vont prendre de court les dirigeants qui n’auront pas suffisamment intégré l’intelligence technique au sein-même de leurs organisations. Cette interview a été réalisée par James Maryika, directeur associé senior au bureau de San Francisco de McKinsey.

Trois technologies à surveiller de près
Je vais vous parler des trois innovations qui m’enthousiasment le plus. La première sont les réseaux de capteurs, que je suis très impatient de voir arriver. La seconde, c’est ce mouvement qui s’amorce vers l’automatisation des transports. Et la troisième concerne une application très spécifique du big data, les grands volumes de données – celle qui concerne le génie génétique.
Commençons par le premier exemple. Ce qu’on peut observer maintenant, c’est que les capteurs sont partout. Avant, les gens pensaient que les capteurs prendraient la forme de puces RFID incorporées à des objets. Non. Les capteurs vont bien au-delà. Le capteur, c’est votre téléphone, capable de mesurer 19 paramètres différents à chaque instant. Ce sont les vêtements que vous portez. Ce sont un Nike FuelBand, un Fitbit, bref, quantité de choses. Mais le fait est que le nombre de capteurs physiques est tout simplement en train d’exploser et de passer à une tout autre échelle. Ils sont là, dans les rues, dans l’air, sur votre corps, dans le téléphone, partout où on peut les imaginer.

Et c’est ainsi que nous allons voir émerger des moyens extrêmement concrets d’améliorer notre qualité de vie, notre productivité, de manière vraiment tangible, simple et qui parle aux gens. Je vais vous donner un exemple. Il y a une petite entreprise géniale qui a construit un capteur qu’on pose au sommet des inhalateurs pour l’asthme. Pourquoi est-ce important ? Eh bien, il y a aux États-Unis environ 30 à 40 millions de personnes qui doivent malheureusement vivre avec l’asthme. Et quand on pense au coût de l’asthme en tant que problème de santé publique dans ce seul pays, cela représente 40 à 50 milliards de dollars par an si on intègre toutes les visites aux urgences, etc.

Or pourquoi les gens se retrouvent-ils aux urgences ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas toujours une compréhension assez claire de quand utiliser leur inhalateur à bon escient. Alors à quoi sert ce fameux capteur ? Ce capteur mesure le temps écoulé depuis la dernière utilisation de votre inhalateur, enregistre la date et l’heure des inhalations, puis il mesure toute une série de données environnementales : « Où êtes-vous ? Quel est le taux de pollen ? Quel temps fait-il ? »

Et à partir de là il commence à construire un modèle heuristique. Et puis il commence prendre les devants et à dire : « Aïe, demain risque d’être un mauvais jour. Prenez une dose préventive. Faites ceci plus souvent, par contre ne faites pas cela ». Partant de là, qu’observe-t-on? Il n’y a plus de crises d’asthme aussi sévères. Le fait est que ces réseaux de capteurs seront un incroyable moteur de valeur ajoutée et d’efficacité pour les gens. Et si je suis le premier à penser que nous sommes encore loin de comprendre vraiment la totalité des répercussions que ces capteurs omniprésents auront sur nos vies, je peux affirmer que ça va en toucher tous les aspects. Alors je suis plus qu’impatient de voir la suite.

Le second sujet est celui des véhicules autonomes, dont Google est aujourd’hui l’un des pionniers. Parmi les diverses technologies récentes que j’ai vues, c’est celle-ci qui me semble la plus susceptible d’avoir un impact massif sur le PIB. Grâce à l’automatisation des véhicules, on pourra complètement repenser les villes, les modèles de transport, de commerce et de logistique.

On peut donc imaginer une flotte de petits véhicules électriques qui livreraient le courrier. Une flotte de drones qui déposerait les colis d’Amazon et des hypermarchés directement à votre porte. Une flotte de camions ne provoquant ni embouteillage, ni engorgement. Toute une flotte de véhicules citadins financés et achetés par une région ou par une ville qui assureraient le transport public d’une manière fluide et prévisible. Autant d’éléments qui auront des répercussions massives sur le commerce et sur la mobilité des individus. Or je pense que ces répercussions sont encore mal comprises.

Et puis, à propos de la dernière rupture dont je veux parler, le Big Data, on entend ici et là que ce serait un peu comme ce concept inepte qui avait un temps fait le buzz – le « growth hacking » – et qui était en fait surtout un habile packaging marketing. Dans le cas du Big Data, je suis convaincu que les applications vont être sensationnelles, notamment dans le champ de la génétique. Je pense que nous sommes à l’orée d’une transition extrêmement importante, qui verra le fardeau passer des mains des biologistes à celles des informaticiens.

Parce que lorsqu’on séquence un génome entier, ce qu’on fait en réalité, c’est cracher un immense fichier de codes de 4 à 5 giga-octets. Avec le Big Data, on va pouvoir l’interpréter de manière très différente. On va pouvoir mettre en place du machine learning, un apprentissage automatique – supervisé ou non – pour déceler des liens, établir des corrélations, avec l’espoir de découvrir des causalités. Ainsi, on accédera à la possibilité de recourir à la science informatique pour travailler de façon transversale sur de larges échantillons de populations, et ce afin de résoudre certains des problèmes les plus complexes posés par la biologie et la vie.
Et donc je subodore que d’ici dix à quinze ans, on va voir des progrès colossaux sur ce terrain, et littéralement il s’agira d’un groupe d’informaticiens qui diront en substance : « Pour favoriser l’expression du gène de suppression du cancer du sein BRCA1, voici le protocole que nous avons vu effectivement empêcher l’apparition du cancer du sein à travers une large population de femmes ». Incroyable.

Gérer les ruptures technologiques
Ce qui me paraît essentiel, c’est de mieux gérer, motiver et développer le capital humain. Alors, oui, de nos jours, tout le monde répète à l’envi : il n’est de richesses que d’hommes. Cela reste malgré tout largement théorique. Pourtant nous avons toutes les cartes en main pour mettre ce précepte en application dans les faits.

Si on réfléchit quelques secondes aux implications des technologies que nous venons d’évoquer, on s’aperçoit qu’il y a un sérieux déficit de compétences quantitatives dans beaucoup d’entreprises. On s’aperçoit qu’il y a aussi un sérieux déficit de compétences techniques dans beaucoup d’entreprises. On s’aperçoit enfin qu’il y a un sérieux déficit d’efficacité de certains systèmes de rémunération et d’incitation : dans une économie de l’innovation, il est important de fidéliser et récompenser la performance des 1 à 5 % de talents qui vont réellement faire la différence. Or les rémunérations et incitations, telles qu’elles sont structurées dans beaucoup d’entreprises, continuent d’être conçues pour le milieu de tableau. Ce sont des biais organisationnels et culturels qui existent dans les entreprises depuis des décennies.

On observe ici et là quelques entreprises qui ont adopté le parti pris inverse. Leur philosophie, c’est de concentrer les dispositifs d’incitation sur les 1 % les plus performants. Elles disent : « nous, nous favorisons les meilleurs, charge à chacun de faire le maximum pour en faire partie. » Elles sont sans états d’âme lorsqu’il s’agit de congédier les éléments les moins performants. Elles ont une compréhension quantitative très fine de leur activité et parviennent à mesure précisément la contribution de chaque salarié à la performance. Elles l’optimisent avec une vision de long terme. Elles sont prêtes à faire des sacrifices à court terme si c’est pour assurer la solidité et le succès à long terme de l’entreprise.

Dans ces entreprises, tous les employés ont la technologie dans le sang, vivent et respirent à travers la technologie. Ils sont parfaitement conscients de l’impact disruptif que la technologie va avoir sur leur métier et leur entreprise. Dès lors, ils peuvent détecter des évolutions et en tirer les conséquences sans attendre que l’information remonte au PDG. Si l’organisation se repose entièrement sur le PDG pour évoluer, cela ne peut pas fonctionner, les informations lui arriveront filtrées et trop tard. Le PDG passe du temps dans des réunions consensuelles, sur des sujets qui ne sont peut-être pas les bons. Tout le monde lui répète que tout vas bien, quand il se rend compte que ce n’est plus le cas, il est trop tard. »

Demain, tous bilingues en JavaScript
Vous l’aurez compris, je suis un fervent partisan de la technologie et je crois dans sa capacité à améliorer la productivité. Le problème avec ces gains de productivité, c’est qu’ils laissent aujourd’hui davantage de personnes sur le côté de la route, à bien des égards, qu’ils n’en tirent vers le haut. Une des façons de voir le problème, c’est que plus l’économie et la société deviendront technologiques, par définition – moins mécaniques et plus technologiques – plus vous aurez en fait besoin de personnes dotées de compétences techniques. Donc l’une des solutions au problème est, par exemple, de repenser l’éducation. Aujourd’hui le système éducatif vous enseigne les sciences sociales, la philosophie, le français, les mathématiques. Or nul n’envisage encore l’intelligence technologique, ou la connaissance d’un système informatique, comme l’équivalent d’un autre langage à découvrir.

Alors, si on peut tomber d’accord sur le fait qu’il est important que tout le monde aux Etats-Unis sache parler l’anglais, et espérons-le, qu’une grande majorité peut-être sache parler l’espagnol, au nom de quoi les gens ne devraient-ils pas savoir « parler » le JavaScript ? Et aussi, pourquoi ne pas diplômer ou certifier des millions et des millions de gamins qui « parlent » la technologie aussi couramment qu’ils pratiquent un langage verbal ?

Et sans doute se rendra-t-on compte qu’avec la maîtrise de ce langage technique, on parlera probablement davantage cette langue dans votre vie quotidienne que le langage verbal réel. Je pense que le codage est le travail des cols bleus du 21e siècle. Il n’y a rien de mal à cela. Nous vivons en ce moment dans un monde où ces abstractions deviennent des réalités. Il y a dix ou quinze ans quand j’étais étudiant, c’était une toute autre chose de coder, à mon avis c’était beaucoup plus difficile à l’époque.

Ce sont devenu des langages extrêmement basiques. Hier le matériel, le hardware, exigeait d’être piloté d’une façon qui n’est plus nécessaire aujourd’hui. Nous avons si bien simplifié le codage et atteint un degré d’abstraction tel que, dans quatre ou cinq ans, mes enfants feront du code en dessinant sur une page et ça se traduira tout seul en code. Alors la définition même de « coder » devient de plus en plus simple, ce qui implique logiquement que de plus en plus de gens devraient être en mesure de le faire.

Alors voilà le genre de chose dont je pense qu’elles sont universellement transposables. Apprenez à coder ; tout le reste est secondaire. Les études universitaires ne comptent plus tant que ça. Coder, c’est le métier le plus important des cent prochaines années.

Chamath Palihapitiya est fondateur et directeur général de la société The Social+Capital Partnership. Cette interview a été réalisée par James Manyika, directeur associé senior au bureau de San Francisco de McKinsey Consulting. Elle a été originellement publiée dans le McKinsey Quarterly [www.mckinseyquarterly.com ]. Copyright McKinsey&Company. Tous droits réservés. Traduit et republié sur autorisation.


Vendredi 30 Août 2013




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