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France Culture et l'assassinat par vente aux enchères

Le mardi 29 juin, chez Sotheby’s à Paris, va se dérouler une vente aux enchères d’un type assez particulier.


David Laufer
David Laufer
On n’y sera pas assourdi par le crépitement des balles de fusil et les hurlements d’agonie de la victime. On n’y frissonnera pas au sifflement sournois des robinets de gaz et au sourd écho d’un corps qui s’écroule sur le sol dur. On n’y souillera pas le lin de son costume avec des éclaboussures de sang ou d’entrailles. On n’aura pas à se boucher le nez d’une main gantée pour se prévenir contre les pestilences d’un ventre ouvert à la baïonnette. Tout au plus entendra-t-on retentir le marteau du commissaire-priseur, quelques oh et quelques ah si l’une des œuvres présentées dépasse sa cote, et puis on ira prendre un verre, pourquoi pas au bar du Bristol tout proche.

Pourtant, ce n’est rien d’autre qu'à un assassinat auquel on assistera, ce mardi 29 juin prochain, chez Sotheby’s à Paris, lorsque, pour la troisième et avant-dernière fois, on liquidera froidement Erich Chlomovitch.

Cette vente est le résultat d’un long, atroce et inimaginable périple de l’histoire de l’art. Le titre que donne Sotheby’s à cette vente résume bien des turpitudes contenues dans cette affaire : « Les trésors du coffre Vollard ». Car de coffre Vollard, il n’y en a tout simplement jamais eu. Il y avait bien, de 1940 à 1996, un coffre Chlomovitch, du nom de celui avait ouvert ce coffre à la Société Générale à son nom et qui en était le propriétaire légal, à moins que la loi n’ait été réécrite entre temps. Et du nom de ce Chlomovitch, on ne verra nulle mention à la vente Sotheby’s, l’auguste maison ayant de loin préféré parier sur l’aura d’Ambroise Vollard, tout en escamotant confortablement l’existence de jeune juif belgradois gazé en 1942 et continuateur de l’œuvre de Vollard. Pourtant, ce sont bien, jusqu’à preuve absolue du contraire, les tableaux de la collection d’Erich Chlomovitch qui partiront sous le marteau, ceux qu’il avait patiemment et passionnément amassés sous le regard de son maître et mentor Ambroise Vollard.

Erich Chlomovitch était un jeune juif belgradois dans la vingtaine tardive. Arrivé à Paris à la fin des années 30, il s’était fait la main dans sa Yougoslavie natale en collectionnant, auprès des artistes de sa génération, autant d’œuvres que ses maigres moyens le permettaient, avec en tête le rêve, un jour, d’avoir sa propre galerie ou son propre musée. Son modèle, depuis l’enfance, c’était Ambroise Vollard, le plus grand marchand d’art de son temps, découvreur de Picasso, de Matisse et de Braque. Vollard, à qui Chlomovitch envoyait depuis ses 13 ans des lettres enthousiastes auxquelles le maître, attendri, répondait pour lui dire que, dans quelques années peut-être, il se ferait un plaisir de le recevoir. Il n’en fallait pas plus pour Chlomovitch. Débarquant dans la galerie de Vollard, il s’y était immédiatement distingué par son flair, par la sûreté de son goût, et avait ainsi acquis la confiance du marchand. En quelques années, par échange, par acquisitions et par charme, Chlomovitch s'est ainsi retrouvé à la tête de centaines d’huiles, de gravures, de dessins, de photos, avec une dilection plus particulière pour Renoir, Rouault, Degas et Picasso.

Mais Vollard meurt dans un accident de voiture en été 39. Et puis la guerre arrive. Erich, prudent, place 200 de ses œuvres dans un coffre à la Société Générale. Il met les 400 autres dans des caisses, direction la Yougoslavie. Il aura même le temps de les exposer à Zagreb, créant l’événement de l’année devant un public ébahi. Et puis la fuite à nouveau face à l’invasion allemande d’avril 41. Une cache dans un village du sud de la Serbie, un double mur dans une ferme pour y cacher sa chère collection. Qui survivra, sans lui, sans Erich Chlomovitch, son frère Egon et son père Bernard, gazés par les nazis à Belgrade en 42. La collection, elle, trouvera, tant bien que mal, le chemin des coffres du Musée National de Belgrade où ils entrent en 1949. Sans mention aucune du nom de leur propriétaire légal, de ce jeune collectionneur fou, passionné et fort heureusement mort.

C’est à Belgrade que je les découvrirai en 2002, en mission pour le ministère de la Culture de Serbie. Mais face à mes questions, à mon insistance et puis, à la longue, à mon indignation devant tant d’inexcusable incurie, la porte se refermera pour ne plus s’ouvrir. Aujourd’hui encore, nulle mention d’Erich Chlomovitch au Musée National de Belgrade. Il est mort, qu’il le reste. On oublie tout, l’histoire, les quarante ans ou presque de procès à répétition menés par des ayants droit désespérés. A Paris, même chanson. En 1979, on ouvre ce coffre poussiéreux et on y découvre un trésor, un trésor au nom de Chlomovitch, pas de Vollard. Alors commence une bataille judiciaire de 15 ans. Au terme de laquelle, contre toute logique, contre toute justice, on attribue la collection aux ayants droit d’Ambroise Vollard, qui la mettent aux enchères ce mardi. A ce jour, les héritiers Vollard n’auront non seulement jamais apporté de preuve définitive de leur propriété, mais aggravent leur cas en accusant Chlomovitch d’avoir volé ces tableaux à Vollard, et pourquoi pas aussi, après tout, d’avoir fait assassiner Vollard. C’est cela qui est bien avec la calomnie : plus on en ajoute, plus c’est crédible.

Ainsi disparaîtra un ensemble cohérent d’œuvres d’art voulu par un jeune homme passionné qui n’aura jamais commis que deux fautes : être juif et inconnu. Les nazis l’auront assassiné, les communistes l’auront spolié en Yougoslavie, puis les ayants droit Vollard l’auront spolié en France, et bientôt aussi, peut-être, vendra-t-on à l’encan la collection belgradoise. Alors enfin tout sera accompli : Erich Chlomovitch aura disparu de la surface du globe, son souvenir effacé, son œuvre dispersée, sa mémoire diffamée. J’en conserve une photo chez moi, avec une dédicace de Matisse qu’il rencontra plusieurs fois en été 39, dans l’atelier de l’artiste. C’est peut-être pour cela, d’avoir tant regardé le visage calme et effacé de ce jeune homme, que ma seule défense aujourd’hui, après tant d’années de combat impuissant, c’est ce petit texte un peu pathétique.

PS : à écouter absolument le docu-fiction d’Amaury Chardeau sur France Culture enregistré le 28 juin à 17h :

http://admin.franceculture.com/emission-sur-les-docks-champ-libre-15-le-monde-cruel-d%E2%80%99erich-chlomovitch-2010-06-28.html

David Laufer
Partenaire expert CFO-news
www.cfo-news.com/index.php?action=annuaire&subaction=enter&id_annuaire=17005

Mercredi 30 Juin 2010




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