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Draghi fait le max, mais n'efface pas les menaces…

Il faut le reconnaître, Mario Draghi est vraiment très fort. En effet, après avoir déjà sauvé la zone euro à deux reprises (en décembre 2011 et en septembre 2012), puis avoir restauré (certes modérément) la croissance eurolandaise l'an passé, celui que l'on appelle à juste titre « Super Mario » à engager la BCE dans un nouveau mouvement historique. Ainsi, le 5 juin 2014, pour la première depuis sa création et réalisant une première dans le monde occidental contemporain, la BCE a consacré un taux de dépôt négatif, de précisément - 0,10 %. Si le taux refi reste positif à 0,15 %, ce geste a suffi pour mettre les marchés financiers en émoi, et ce en particulier sur les bourses européennes qui ont toutes progressé d'environ 1 % au cours de cette même journée.


Marc Touati
Marc Touati
Une fois encore, le Président Draghi aura donc été au rendez-vous des anticipations des investisseurs, sans pour autant créer une véritable surprise. Et pour cause : sa décision de baisse des taux était non seulement attendue, mais aussi présentée comme la dernière. Il l'a d'ailleurs avoué lui-même « techniquement, nous avons atteint aujourd'hui les limites » en termes de taux bas. Eh bien oui, comme nous l'écrivions dans ces mêmes colonnes il y a deux semaines, Draghi n'est pas le « messie », pour la simple raison qu'il ne peut pas aller au-delà des moyens mis à sa disposition. Or, même si les marchés n'ont voulu voir que l'aspect historique de la décision du 5 juin, il faut malheureusement admettre que cette dernière est loin d'être suffisante pour permettre d'éliminer définitivement les risques de déflation.

La pratique de taux nuls, et parfois temporairement négatifs, au Japon depuis le début des années 2000 n'a d'ailleurs absolument pas permis de sortir l'Archipel de la déflation. Bien au contraire. Il s'agit de ce que l'on appelle « une trappe à liquidités », qui est telle que, par manque de confiance, la gratuité des liquidités ne vient qu'alimenter l'épargne de précaution, voire le financement de la dette publique, mais ne parvient aucunement à financer l'investissement privé et encore moins à relancer la croissance. D'ailleurs, si le Japon est dernièrement sorti de la déflation, ce n'est pas grâce à des taux directeurs nuls, mais à la pratique d'une planche à billets conséquente et d'un mouvement de dépréciation du yen.

De même, si les Etats-Unis ont réussi à sortir de la crise de 2008-2009 dès la fin 2009 et à éviter de sombrer dans la déflation, c'est d'abord parce que la Fed a abaissé son taux objectif des federal funds à quasiment 0 % dès la fin 2008 et surtout parce qu'elle a pratiqué trois phases de « planche à billets », c'est-à-dire de création monétaire ex-nihilo, venant financer en direct l'Etat américain, mais aussi certaines dettes privées. Bénéficiant de surcroit d'un dollar faible, la croissance américaine a pu redémarrer, tant grâce à l'investissement qu'à la consommation ou encore aux exportations.

C'est en cela que les impacts du nouveau geste de la BCE seront mécaniquement limités. Et ce pour au moins quatre raisons. Premièrement, parce que l'assouplissement monétaire intervient trop tard. En effet, n'oublions que toute inflexion de politique monétaire prend de six à neuf mois avant d'agir sur l'activité, en particulier dans la zone euro, dont l'économie est fortement rigide.

Deuxièmement, au-delà du symbole, ce n'est pas une baisse des taux directeurs de 10 points de base avec un jalon bas négatif, qui va changer la face de l'économie eurolandaise. D'ailleurs, les enquêtes menées auprès des banques commerciales sont formelles : l'atonie des crédits dans la zone euro n'est pas due au niveau des taux d'intérêt, mais à la faiblesse de la demande de crédits de la part des agents privés. En d'autres termes, croire que la baisse du taux refi à 0,15 % va relancer durablement les crédits et la croissance relève de la gageure.

Troisièmement, si Draghi a amené la BCE au maximum de ses possibilités au regard de ses statuts, la « planche à billets » est toujours très loin. Cela signifie donc que la « trappe à liquidités » va perdurer, que les financements de la sphère publique vont continuer d'évincer les financements du secteur privé et que l'investissement et la consommation vont rester relativement moribonds.

Quatrièmement, conséquence logique de ces insuffisances et en dépit des efforts sémantiques récurrents du Président de la BCE pour tenter de faire baisser l'euro, celui-ci demeure trop élevé. Pire, à la suite des décisions et déclarations du 5 juin, l'euro/dollar s'est même significativement apprécié, passant de 1,3503 à 1,3660 en moins de trois heures. Exactement l'inverse de ce qui était souhaité. Faut-il effectivement rappeler que le niveau d'équilibre de notre monnaie unique se situe entre 1,15 et 1,20 dollar ?! De quoi rappeler que, souvent, le mieux est l'ennemi du bien.

C'est pour toutes ces raisons que si la politique et le courage de Mario Draghi doivent être salués, ils seront malheureusement insuffisants pour permettre le retour d'une croissance forte et durable dans la zone euro, cette dernière demeurant donc toujours menacée par une déflation dévastatrice. Celle-ci a d'ailleurs déjà commencé dans l'industrie, puisque le glissement annuel des prix à la production y est négatif depuis août 2013. Dans ce cadre, après avoir atteint 0,5 % en mai, le glissement annuel des prix à la consommation devrait encore se rapprocher du zéro pointé dans les prochains mois.

Peut-être qu'alors une véritable « planche à billets » sera engagée dans la zone euro et que l'euro se rapprochera durablement de son niveau d'équilibre. Il faut le souhaiter car, comme les exemples japonais, américains ou anglais l'ont montré, il s'agit là des conditions sine qua non pour permettre la sortie de la déflation et le retour d'une croissance appréciable d'environ 2 %. C'est tout le problème de la zone euro : elle ne sait réagir qu'une fois les difficultés avérées et ne parvient pas à les anticiper pour les éviter.


Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com





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Mardi 10 Juin 2014




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