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Croissance mondiale : le spectre d'une décennie perdue ?

Les années 2000 ont été caractérisées par un super-cycle de croissance, porté par l'endettement des pays développés et le creusement des déséquilibres mondiaux. Le spectre de la "décennie perdue" plane aujourd'hui sur la décennie 2010-2020. Faut-il craindre une période de glaciation économique ?


Alexandre Kateb
Alexandre Kateb
Les années 2000 ont été caractérisées par un cycle exceptionnel de croissance qui a pris sa source dans les innovations technologiques nées aux Etats-Unis dans les années 1990. L'effet d'entraînement sur la productivité de ces nouvelles technologies de l'information (Internet, téléphonie mobile) a résisté à l'éclatement de la bulle des start ups et à la récession légère du début des anénes 2000. Mais le régime de forte croissance non inflationniste des années 1990 - traduction macroéconomique de cette révolution technologique - a également instillé la croyance en la toute puissance des marchés et en leur capacité à s'autoréguler. En bout de chaîne, la politique monétaire jouait un rôle de fine tuning du cycle conjoncturel, très éloigné de sa fonction originelle de prêteur en dernier ressort .

Le revers de médaille de cet environnement de "benign neglect" et de faibles taux d'intérêt a été une accumulation sans précédent de dette aux Etats-Unis et partout ailleurs dans les pays développés. Quant aux pays émergents, ils accumulaient les excédents et contribuaient à pérenniser un système dont ils bénéficiaient pour accélérer leur rattrapage vis-à-vis des pays riches. La décennie 2000 a ainsi permis un incroyable transfert de richesse du Nord vers le Sud et de l'Ouest vers l'Est, essentiellement vers l'Asie émergente mais aussi vers l'Amérique latine et l'Europe orientale.

La crise des subprimes de 2007 a révélé la fragilité des croyances qui sous-tendaient ce cycle de croissance. Pour éviter le spectre d'une nouvelle Grande Dépression, les Etats ont réalisé un gigantesque transfert vertical, transformant la dette privée en dette publique et faisant voler en éclat les pactes fiscaux bricolés à la hâte dans des environnements plus favorables. Ainsi, le Pacte de stabilité et de croissance institué dans la zone euro n'a apporté ni la stabilité recherchée, ni la croissance espérée. Aux premiers craquements du Pacte en 2003-2004 à l'initiative des grands pays européens (Allemagne, France) succèdent aujourd'hui les déboires de la périphérie (Portugal, Grèce, Irlande) et de la semi-périphérie (Italie, Espagne). Enfin, la dégradation de la note souveraine des Etats-Unis par l'agence Standard&Poor's et celle du Japon par Moody's montre qu'aucun pays développé n'échappe aujourd'hui à la vigilance des analystes financiers.

Face à cela les politiques mises en place pour traiter la crise apparaissent timorées. Le temps de la décision politique dans les grandes démocraties du monde occidental s'accomode mal de l'urgence et du temps de réaction infinitésimal des marchés. Mais ce qui est plus dommageable encore, c'est que les marges de manoeuvres semblent aujourd'hui épuisées. Tant la politique budgétaire que la politique monétaire ont atteint leurs limites opérationnelles, si ce n'est conceptuelles. Partout les gouvernements ont voulu traiter les problèmes du XXIème siècle avec des solutions issues de la crise des années 1930, qu'elles soient keynesiennes (relance budgétaire) ou monétaristes (quantitative easing). Avec plus ou moins de succès.

Faut-il alors craindre une "décennie perdue" pour la croissance mondiale ? La réponse à cette question n'est pas univoque. L'économie mondiale devra faire face à des vents contraires puissants dans les années à venir, en raison de la nécessité de poursuivre le mouvement de désendettement dans les pays développés. Cela se traduira aussi par une baisse des commandes pour les pays émergents exportateurs de biens manufacturés, au premier rang desquels figurent la Chine. Cette dernière devra réorienter son modèle économique et engager une profonde révision de son modèle politique, pour préparer la baisse inévitable de son taux de croissance, dopé par l'investissement étatique et soutenu par les exportations. La transition s'annonce délicate en raison de l'essouflement de la capacité du Parti Communiste chinois à porter les mutations nécessaires, et à présider à un vaste mouvement de démocratisation et de décentralisation qui implique la remise en cause de son monopole. Les technocrates au pouvoir depuis la mort de Deng Xiaoping n'ont ni la légimité révolutionnaire de ce dernier, ni la légitimité démocratique que donne le suffrage universel. La fixation sur le contrôle de l'inflation et sur le maintien du taux de croissance - y compris de manière artificielle en subventionnant les grandes entreprises publiques - ne peut tenir à long terme. Tous les indicateurs pointent en effet vers un ralentissement programmé de la croissance chinoise, ne serait-ce que pour des raisons démographiques (en raison du vieillissement accéléré de la population et des conséquences de la politique de l'enfant unique).

Dans ce contexte, quelles sont les raisons d'espérer ? Hormis une nouvelle période soutenue d'innovation qui préluderait à la hausse de la productivité dans les pays développés, la solution pourrait venir d'une hausse modérée de l'inflation portée par des gains salariaux auto-entretenus dans les pays émergents. Cela suppose un maintien prolongé des taux d'intérêt à un faible niveau aux Etats-Unis (et dans le monde) pendant une longue période, ou la mise en place d'une banque centrale mondiale comme certains le proposent, afin de découpler les problèmes intérieurs des Etats-Unis de la gouvernance économique et monétaire mondiale. Cela suppose en définitive de prendre acte de la fin de la capacité des Etats-Unis - et plus généralement des pays occidentaux - à produire seuls ce bien public mondial qu'est la stabilité économique et financière internationale.

Alexandre Kateb
Economiste, consultant financier
Maître de conférence à Sciences Po et à l'ESG
www.alexandrekateb.com
 

Le spécialiste du conseil et de la formation en banque et finance (IFRS, Bâle II, Risk management, Marchés de capitaux, Asset Management, Finance islamique, ISR)
 
 

Jeudi 22 Septembre 2011




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