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Confession d'ignorance

Face aux oracles de tous poils, il peut être utile de se souvenir que personne n’avait annoncé, il y a un an, la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.


David Laufer
David Laufer
La lecture de la Bible est une aventure pleine de dangers
Deux mille ans de commentaires passionnés et contradictoires n’en ont toujours pas épuisé les multiples sens. On se fait facilement séduire par tel verset, on croit avoir trouvé réponse à tout dans tel autre avant de découvrir, au hasard d’une épître, la négation complète de ceux-ci. Parmi les épisodes qui me hantent, celui de la femme de Lot est certainement celui qui me laisse le plus perplexe. En vingt ans, j’ai dû changer trois ou quatre fois d’avis à son sujet. Pour rappel, il est conté dans le livre de la Genèse que Lot, sa femme et ses deux filles, sont sauvés par des anges annonciateurs avant que Dieu, que le trop célèbre vice de ses habitants exaspère, ne se décide à détruire la ville de Sodome dans un déluge de souffre brûlant. Comme dans le mythe d’Orphée et d’Eurydice, il est permis à Lot et à sa famille d’être sauvé à la condition qu’ils ne se retournent pas dans leur fuite. Mais la femme de Lot est incapable de quitter sa ville, ses amis, sa maison, tout son passé, pour une vie d’errance et d’incertitudes. Elle se retourne et se fait instantanément transformer en statue de sel. Le même sel dont les Romains couvrirent les ruines de Carthage afin que rien n’y puisse plus repousser. La leçon semble évidente : ne pas se retourner sur son passé lorsqu’il est impie, aller de l’avant avec détermination, faire confiance à la promesse de Dieu, sous peine de quoi on se fait frapper d’immobilisme et de stérilité, c’est-à-dire de mort.

Des experts aussi péremptoires qu’anonymes
Dans la crise extraordinaire qui nous frappe, et dont on dit avec une remarquable inconséquence qu’elle est sans précédents,été passablement influencées par l’histoire de la femme de Lot. Dernier en date, relayé par Le Monde avec fracas, un grand article publié par le groupe d’experts farouchement anonymes du LEAP/Europe 2020, qui n’annonce rien de moins pour l’année à venir qu’une dislocation géopolitique mondiale. La prédiction est agrémentée d’un conseil d’ami: le meilleur moyen de faire face à la dislocation est de quitter votre région, si cela est possible. Voilà qui est fort simple à mettre en pratique et qui résout tout : les Tchèques vont chez les Suisses, les Bourguignons chez les Andalous ; et puis les Andalous vont chez les Tchèques et les Suisses chez les Bourguignons, et on recommence.

Après la décroissance, la dislocation
J’aime beaucoup ce mot nouveau dans le paysage sémantique actuel. On le répète avec l’intention marquée d’en faire un mot-clé à la mode dont il suffira de prononcer les quatre syllabes pour paraître follement visionnaire. Le problème de ce type de discours, c’est que, plutôt que de se mettre dans la peau de Lot ou de sa femme comme le requiert de toute évidence l’exercice, les experts endossent les habits autrement plus seyants des anges annonciateurs.

De gauche à droite, une même excitation
Et ce qui ne cesse de me frapper, c’est qu’on trouve ce langage à gauche comme à droite de l’échiquier. Pour des raisons opposées, on se gargarise trop souvent de cette crise avec la certitude de l’avoir anticipée, de savoir ce qu’elle va changer dans notre monde, et qu’on en tirera personnellement profit tandis que périront dans le souffre brûlant les pécheurs ignorants. A gauche, comme on peut s’y attendre, on célèbre la mise à mort de la bête immonde, celle qui ne vit qu’en costume trois-pièces et qui ne respire que de la fumée de Partagas D4. On ne se lassera jamais d’appeler les lendemains qui chantent en répétant comme des derviches qu’ «un autre monde est possible». A droite, c’est un peu plus vicieux. On se réjouit de voir que la loi de la nature reprend ses droits, que les faibles et/ou les incapables s’effondrent. On anticipe en frétillant un monde où ne règnent que des animaux parfaits, nés pour tuer et sans remords. Et j’entends, de loin en loin, ce murmure satisfait, honteusement jubilatoire, qui ne peut réprimer un gloussement d’aise en voyant que tout s’écroule, que ça ne pouvait pas durer comme ça, que c’était prévu, que cette purge massive était nécessaire. Tous ensemble, ils rêvent d’être des anges annonciateurs vêtus de lumière, nés pour nous expliquer la vérité et nous sauver.
Ils me font penser à un ingénieur naval jaloux, rival malheureux du héros du voyage, qui explose de joie par une nuit glaciale de 1912 lorsqu’il entend le Capitaine Smith déclarer à ses passagers incrédules qu’en dépit de tous les calculs du héros précité, le Titanic va quand même sombrer.

Il serait comique, après ces lignes, Il me semble donc essentiel de commencer par une confession d’ignorance. Même si certains l’ont senti venir, même si j’ai moi-même eu des visions dès 2007, la crise qui nous frappe n’a, en gros, pas été anticipée, ni dans ses dimensions, ni dans ses conséquences. Il faut bien garder cela à l’esprit pour comprendre que nul ne sait ce que l’année 2009 nous garde en réserve. Au-delà de quelques calculs et supputations, personne n’est capable de le prédire sans une bonne dose de pure devinette. Petite anecdote: je travaillais à Londres dans un cabinet d’avocats américain au printemps 2007, et lorsque j’ai demandé à l’Associé responsable des dossiers immobiliers si c’était le bon moment d’acheter un appartement à Londres, sa réponse fut sans équivoque : «C’est le meilleur moment depuis dix ans, achète, achète, achète !» Or l’histoire vient de prouver qu’avril 2007 était le pire moment depuis 1946 pour faire une opération immobilière à Londres.

Qu’est-ce qu’une crise ?
Intervient donc une autre définition de ce qu’est une crise, c’est-à-dire précisément le fait de n’avoir pas prévu, d’être pris de court et par surprise. La crise, c’est non seulement se rendre compte qu’on a été aveugle ; c’est aussi de constater qu’on l’est encore. Alors il est réconfortant de le réaliser, de se frapper le front devant cette évidence, mais on demeure, hélas, aussi aveugle qu’avant. Par les temps qui courent, cette confession d’ignorance et d’aveuglement n’est pas inutile. D’abord elle nous soustrait au pesant devoir de prospectives fumeuses et de plans sur la comète qui ne font qu’augmenter le stress général sans répondre à une seule question. Ensuite, elle permet de ne pas se poser trop de questions sur la route à suivre. Car comme il nous a été fort brillamment exposé durant les mois qui viennent de passer qu’absolument tout est possible, on peut aussi en déduire qu’il n’existe aucune contre-indication crédible à ce mot d’ordre simpliste et jamais démodé: en avant ! Pour inconsciente et légère qu’elle soit, cette attitude est aussi celle des aventuriers découvreurs, qui, de Lot à Christophe Colomb, ont laissé derrière eux un passé corrompu et se sont lancés sur la route incertaine qui mène vers un monde nouveau. Et pour voyager léger, il convient de n’emporter avec soi ni peur, ni nostalgie, ni certitudes. Un bon instinct, beaucoup d’amour et un peu de chance y suffisent.

David Laufer
Partenaire expert CFO-news
www.cfo-news.com/index.php?action=annuaire&subaction=enter&id_annuaire=17005

Mardi 7 Juillet 2009




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