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Circulation automobile, circulation financière

La circulation automobile est l'objet d’une régulation sans cesse plus contraignante au fur et à mesure de l'évolution des techniques. La circulation financière a suivi un chemin inverse avec la suppression de nombreuses règles antérieures et l'absence de nouvelles règles. Si l'on transposait à l'automobile, on pourrait dire que n'importe qui peut conduire n'importe comment n'importe quel véhicule sur n'importe quelle route. Est-ce bien raisonnable ?


Circulation automobile, circulation financière
Qu’y a-t-il de commun entre une voiture et un papier financier généralement virtuel ? En fait les deux présentent des analogies et, même si comparaison n’est pas raison, les rapprocher peut fournir un enseignement utile.

Tout d’abord la circulation des biens et des personnes d’une part, et celle des valeurs d’autre part sont deux piliers essentiels de l’organisation de la société. Ensuite les deux secteurs ont vu leur place grandir dans l’organisation de la société de façon longue et progressive dans un cas, sur un rythme échevelé dans l’autre. Les deux secteurs sont marqués par une forte évolution des techniques même si les rythmes sont différents. Ils intéressent tous les deux l’ensemble de la population dans sa vie quotidienne. Ils sont tous les deux sources d’accidents et de désordres, de nature physique dans l’automobile, de nature financière dans l’autre ; mais dans les deux cas ces accidents et ces désordres peuvent être douloureux pour les individus et entrainer des troubles collectifs. Enfin ils occupent une place importante dans les préoccupations des gouvernements.

L’automobile étant plus banale pour le commun des mortels, il est intéressant de commencer par regarder comment la société a maîtrisé son développement et a su concilier liberté individuelle et vie collective ; ceci nous permettra de tirer quelques enseignements généraux.

Les marchés financiers paraissent au contraire mystérieux non seulement au commun des mortels mais sans doute aussi à beaucoup de ceux qui affectent de les maîtriser ; mais ils ne devraient pas échapper a quelques observations de bon sens.

Le développement de l’automobile a été d’abord technique avec la réalisation de véhicules de plus en plus performants et de nombreuses infrastructures.
Nous pouvons à ce stade faire quelques remarques qui nous seront utiles plus loin :
- le véhicule obéit aux lois de la mécanique avec un équilibre entre puissance, inertie et frottements ;
- le développement a des limites physiques ;
- véhicule et infrastructure ne sont pas indépendants, tout véhicule ne va pas sur tout chemin ;
- les impératifs industriels ont entrainé la création de normes et d’instruments de mesure.

Mais la voiture est apparue dès le début source de risques et les pouvoirs publics ont rapidement limité la liberté des “pionniers”.

La première voiture mue par un moteur à essence date de 1884 ; dès 1893 il fallait en France une autorisation de circuler valable pour le couple véhicule-conducteur. Les deux ont été rapidement séparés avec la carte grise en 1896 et le permis de conduire en 1899. Il a fallu fixer des règles de circulation (la circulation à droite est antérieure à l’automobile, 1804). Les diverses règles ont été regroupées en 1921 dans le premier code de la route.

Les règles ont distingué des catégories de conducteurs et de véhicules ; le chauffeur de transport collectif et son car sont soumis à des règles plus strictes que l’automobiliste ordinaire. Mais elles étaient faites pour des citoyens et des véhicules banaux ; le pilote de formule 1 ne peut pas tirer tout le parti de sa Ferrari et de ses talents sur le réseau routier.

Il faut aussi faire respecter les règles ; la police du roulage date en fait de 1851.

Les accidents ont logiquement conduit aux assurances d’abord volontaires, puis obligatoires, enfin à un mécanisme de protection collective. Mais si les pouvoirs publics s’en sont préoccupés c’est uniquement pour les victimes ; le fautif est libre de gérer son risque et de se ruiner éventuellement.

Il faut aussi que le conducteur trouve son chemin et les premiers panneaux sont apparus sur les routes tout au début du 20ème siècle.

Le réseau routier est connu de tous et accessible à tous ceux qui en respectent les règles. Il n’est pas possible de s’en affranchir (on ne peut pas circuler avec un tank et couper éventuellement à travers champs).

Enfin le conducteur et son véhicule vont parfois à l’étranger et des conventions internationales ont été établies pour faciliter ses déplacements.

Ces rappels historiques ne sont la que pour lister les aspects que les pouvoirs publics ont été amenés à traiter pour organiser la circulation.

Le système s’est complexifié avec le temps en se diversifiant et en augmentant les exigences de compétence et de comportement pour les individus et les normes techniques pour les véhicules. Parallèlement la surveillance sur les routes s’est renforcée. Le développement s’est donc accompagné d’une implication croissante de la réglementation non pour restreindre la liberté de circuler (des restrictions politiques existent dans certains régimes) mais pour la rendre possible avec le minimum de risque.

Les pouvoirs publics ont agi sur :
- l’infrastructure dont ils ont gardé la maitrise ;
- l’utilisation de la dite infrastructure avec ses règles et l’information correspondante ;
- les véhicules, qui doivent respecter des normes ;
- l’utilisateur, qui doit prouver son aptitude avec des conditions qui dépendent du véhicule et de son usage.

Si nous considérons la circulation financière, nous trouvons aussi un formidable développement des infrastructures et une révolution dans les techniques. Les grandes différences se situent dans :
- la rapidité des évolutions ;
- l’absence de limites physiques à la croissance possible ;
- la complexité ; il est très difficile de se faire une idée même approximative du fonctionnement de la circulation financière, et les responsables sont esclaves des experts qui eux mêmes n’ont souvent que des vues partielles ;
- la non prise en compte de l’équilibre “puissance-inertie-frottements”, base de la mécanique ; dans la finance on s’est attaché à la suppression de l’inertie et des frottements sans se soucier de la stabilité du système comme le montrent les bulles et leur éclatement.
- la quasi-absence de normes et instruments de mesure compréhensibles par tous ;

En ce qui concerne la régulation (ou réglementation), la philosophie a été différente et même en opposition par rapport à la circulation automobile.

La finance a été réglementée depuis longtemps mais il s’agissait plutôt de limiter les libertés que d’en permettre le sain exercice :
- préserver le privilège du « roi » sur la monnaie ;
- obliger au passage par certains circuits pour faciliter le contrôle (change) ;
- maîtriser l’économie en orientant le crédit sur certains circuits ;
- protéger le consommateur particulier.

La crise de 1929 a amené les Etats-Unis à mettre en place de nombreuses règles :
- spécialisation des acteurs ; l’assureur n’était pas banquier et inversement ; les banques américaines étaient spécialisées par rôle et par Etat ;
- protection de l’épargnant en imposant des contraintes aux intervenants avec des obligations de fonds propres ;
- garanties aux petits épargnants.

Les philosophies étaient différentes des deux côtés de l’Atlantique. Du côté européen (au moins pour la France), la réglementation traduisait la méfiance vis a vis de la finance et le désir d’en garder la maitrise (change, crédit…). Du côté américain, c’était le désir de protéger les clients des banques qui a semblé dominer, avec l’idée que les petits établissements ne peuvent faire que des bêtises limitées et sont plus faciles à surveiller.

Ceci a conduit à un secteur bancaire américain beaucoup plus dispersé mais aussi à la création de circuits spécialisés pour éviter les contraintes.

Jusque dans les années 1980, l’encadrement était donc fort, mais tout ceci a été profondément transformé par la conjonction de deux phénomènes :
- le retrait de l’Etat au profit du marché dans ce domaine comme ailleurs et donc la suppression de nombreuses règles qui visaient au pilotage de l’économie en renvoyant à une grande confiance dans l’autorégulation du marché ;
- la capacité des systèmes d’information qui permettent des opérations de plus en plus complexes de façon quasi instantanée avec des volumes sans limite.

Pour l’infrastructure, les pouvoirs publics s’en sont pratiquement retirés ; un quasi miracle est que cette infrastructure ait suivi et qu’il n’y ait pas eu de phénomène de saturation.

Pour l’utilisation, il faut satisfaire les normes techniques pour les transmissions, sinon les fonds peuvent bouger sans barrière, au moins dans le monde occidental. En filant la métaphore routière, on pourrait dire que ces normes concernent l’infrastructure et quelques aspects du véhicule, mais ni le conducteur ni les performances du véhicule.

Pour les acteurs, les règles de spécialisation ont été levées et il n’y a pas vraiment de barrière à l’entrée dans le système. Contrairement au pilote de formule I, il n’y a pas de limite aux prouesses techniques.

Pour les produits échangés, ils sont laissés à l’imagination des acteurs. Les voitures doivent prouver leur sécurité, les marchés financiers ont permis les produits Madoff ; elles doivent rester sur la route alors que les marchés ont inventé la formule « sous le comptoir ».

Par rapport à la situation routière, on est quasiment dans la situation où n’importe qui pourrait lancer n’importe quel véhicule qui pourrait éventuellement couper à travers champ avec n’importe qui au volant. L’équivalent des poteaux indicateurs n’existe pas et les agences de notation ont montré leurs limites, pour ne pas dire plus. Quant à l’assurance, les Etats ont créé des fonds de garantie ou mis en place des financements exceptionnels, mais finalement ils sauvent les fautifs en espérant qu’ils s’occuperont des victimes.

Au total, les deux secteurs ont suivi des évolutions opposées. Pour la route, le développement de la circulation s’est accompagné d’une régulation de plus en plus importante qui peut apparaitre parfois pesante au conducteur mais qui a permis croissance du trafic et décroissance des accidents. Pour la finance, on a aboli pratiquement les règles pesant sur les acteurs et les produits, et on assiste à une croissance échevelée et non maîtrisée avec augmentation des accidents.

Cette mise en parralèle a évidemment ses limites ; puisse-t-elle cependant contribuer à éclairer les travaux des instances diverses qui se préoccupent, encore timidement, de réguler la circulation financière, et rappeler que la liberté ne se confond jamais avec l’anarchie.

Post Scriptum : Nous pourrions poursuivre les comparaisons en nous dirigeant vers la fiscalité. Les gouvernements ont découvert très vite que la voiture était un merveilleux outil fiscal grâce auquel on pouvait prélever des sommes importantes sans difficulté technique et sans bouleverser l’économie générale. La circulation financière devrait offrir des opportunités au moins aussi bonnes mais les “financiers” ont montre leur efficacité en réussissant à faire croire le contraire aux gouvernements.

Jacques Maire / Directeur général honoraire de Gaz de France
22 Avril 2011

Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Circulation automobile, circulation financière ".
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Vendredi 29 Avril 2011




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