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Carlos Ghosn : Ce que cette crise m'a appris

Il vient de signer un accord de coopération majeur avec l'allemand Daimler. Après avoir traversé, comme tous ses confrères, plusieurs mois de chaos, le patron de Renault et de Nissan tire les leçons de la crise. Il croit en l'avenir d'une mondialisation plus sociale et juge que l‘industrie automobile évoluera de façon inéluctable vers le zéro-émission.


Carlos Ghosn
Carlos Ghosn
Vous avez été l'un des premiers, en juin 2008, à alerter l'opinion sur la gravité et la profondeur de la crise que nous venons de traverser. Aujourd'hui, estimez-vous que nous en sommes sortis ?

Nous sommes sortis du pire de la crise, dont le sommet a été atteint entre la fin de l'année 2008 et le début de 2009. Cette période a vu une conjonction extraordinaire entre une crise financière et économique. Le chaos financier est incontestablement derrière nous. Le cash est revenu dans nos entreprises, les « spreads » sur les emprunts sont limités et les taux d'intérêt ont retrouvé leur niveau d'avant-crise. Ils sont même un peu moins élevés qu'à l'époque. La conséquence, déterminante pour une industrie comme la nôtre, est que nous n'avons plus de problèmes de liquidités. Mais pour autant nous ne sommes pas encore sortis totalement de la crise économique. Les situations ne sont pas homogènes. Certains pays comme l'Inde, la Chine ou le Brésil n'ont pas été touchés. D'autres, comme les Etats-Unis, commencent à surmonter leurs difficultés. D'autres zones comme le Japon ou l'Europe vont mettre un peu plus de temps.

Diriez-vous aujourd'hui qu'au pire moment, c'est-à-dire au coeur de l'hiver 2008, vous avez eu peur pour la survie de votre entreprise ?

Non, dans le sens où tout ce qui arrivait n'était pas lié à la valeur intrinsèque de Renault ou de Nissan. Mais il faut reconnaître qu'à partir de la mi-septembre 2008, date de la faillite de Lehman Brothers et jusqu'à la fin décembre, quand les marchés financiers se sont taris, nous avons tous commencé à avoir peur. Aucun constructeur automobile ne peut durablement vivre sans liquidités. Nous nous demandions alors quelles mesures les gouvernements allaient prendre. Et je dois dire qu'au cours de cette période, j'ai eu plus peur pour Nissan que pour Renault, tout simplement parce qu'en nous accordant des prêts à long terme pour tenir le choc, le gouvernement français a réagi plus vite que le gouvernement japonais.

Cette période est-elle la plus dure que vous ayez connue comme patron ?

J'ai connu d'autres situations difficiles notamment en 1999, lorsqu'il a fallu sauver Nissan. Il y avait cependant une différence avec la situation que nous venons de connaître. Il s'agissait là d'une crise interne. En 2008-2009, nous avons par contre subi un choc extérieur, bien pire qu'une simple récession. Ce choc est le plus terrible que le monde ait connu depuis 1929. Cela dit, des crises, il y en a constamment. Y faire face et les gérer font partie intégrante du métier de chef d'entreprise. Nous ne pouvons fonctionner quand les marchés financiers sont totalement erratiques, mais notre métier est par nature cyclique. Un constructeur doit pouvoir s'adapter à des baisses de marchés. Le devoir du manager c'est d'abord de permettre à l'entreprise, et à l'ensemble des hommes et des femmes qui la composent, de surmonter les risques et de traverser les crises. Mais c'est aussi de préparer le rebond, de transformer la menace en opportunité. La responsabilité d'un leader c'est d'être efficace quand tout va mal. A chaque fois, il s'agit d'en sortir tout en se préparant à affronter la prochaine crise. Dans ce cas de figure, je pense qu'un manager doit faire en sorte de n'abandonner ni ses salariés, ni ses actionnaires, ni ses fournisseurs. Je dirais qu'il faut transmettre à tous, malgré les difficultés endurées, une mémoire positive de la crise. Il faut montrer qu'elle nous a appris des choses qui seront autant d'opportunités à saisir pour mieux gérer les chocs suivants.

Vous-même, qu'avez vous appris ?

Cette crise a d'abord apporté la preuve qu'à n'importe quel moment une entreprise peut être durement secouée sans aucun rapport avec sa propre performance. Il faut savoir en tenir compte. La deuxième leçon, c'est l'importance du cash, de la liquidité. Avant cette crise, nous avions vécu une période où il était facile de trouver des liquidités à tout moment. Tout ceci est révolu. Nous savons maintenant que nous devons disposer d'un matelas de cash plus important qu'auparavant. La troisième chose, très importante, c'est de savoir gérer le court terme que nous imposent les événements sans pour autant sacrifier le long terme.

Concrètement, qu'avez-vous fait ?

J'ai placé l'entreprise en situation de réactivité opérationnelle. Il a fallu se convaincre qu'il était devenu nécessaire de faire l'inverse de ce que nous faisions trois mois auparavant. Il a fallu baisser les stocks, suspendre certains investissements, remettre en cause les plans comme le contrat 2009 que nous avions bâti. Nous avons fait preuve de flexibilité stratégique pour nous concentrer sur la génération de cash-flow qui était l'urgence du moment. Mais, en même temps, il a fallu préserver les projets d'avenir. C'est le cas de la voiture électrique et le développement de moteurs plus propres, pour lesquels nous avons maintenu l'intégralité de notre effort d'investissement. Il a fallu aussi revoir l'organisation afin que ces décisions diffusent très rapidement dans le corps de l'entreprise. C'est pourquoi j'ai nommé un directeur général, Patrick Pelata, et accru le nombre de directeurs par région.

Vous avez dû aussi composer avec un partenaire dont on avait un peu oublié l'existence dans la vie des entreprises en période de prospérité, c'est l'Etat.

Je crois à l'importance du dialogue avec le politique et pas seulement dans les périodes difficiles. Tout gouvernement s'intéresse de près à l'industrie automobile, parce qu'elle occupe une place importante en termes d'emplois. De notre côté, nous avons besoin d'un échange. Nous ne pouvons, par exemple, développer les véhicules à zéro émission sans le concours des pouvoirs publics.

Si l'industrie automobile repartait aujourd'hui de zéro, est-ce qu'elle produirait encore en France ?

Oui, mais il y aurait aujourd'hui une sélection d'activités très différente. Il faut conserver nos bases industrielles en France. Elles sont notre richesse. Si sur le papier une décision de délocalisation est peut-être économiquement la meilleure, elle n'a pas de sens si elle n'est pas politiquement et socialement acceptable.

Pensez-vous que le paysage automobile a été durablement transformé par cette crise ?

Il y avait déjà de lourdes tendances qui ont subi ou vont subir un processus d'accélération. C'est le cas en matière de consolidation. Pour assurer leur survie à long terme, les constructeurs doivent développer une panoplie de technologies et de produits toujours plus impressionnants. Ils doivent en outre être présents dans un nombre croissant de pays. Dans ce contexte, je ne vois pas comment un petit constructeur peut s'en sortir seul. Aujourd'hui, à moins de 4 millions de voitures produites chaque année, c'est difficile de prétendre jouer un rôle. Nous-mêmes, nous avons dépassé ce point d'inflexion puisque, ensemble, Renault et Nissan, nous commercialisons plus de 6 millions de véhicules par an. Nous formons aujourd'hui le 4 e groupe mondial, pas très loin du troisième. Mais, si la taille critique est importante sur le papier, encore faut-il la faire vivre de façon à accroître notre efficience, nos synergies. Renault-Nissan est à ce jour la seule alliance qui fonctionne avec autant d'efficacité. Nous avons déjà onze ans d'expérience en la matière.

Vous avez annoncé au milieu de cette semaine un accord de coopération avec l'allemand Daimler. Cette nouvelle alliance l'auriez-vous conclue sans la crise ?

De mon côté, oui, sans aucun doute. Je ne sais pas en revanche si Daimler l'aurait fait. Il y a une grande cohérence dans cet accord. Nous sommes complémentaires sur les produits et sur les zones géographiques presque sans aucun recoupement. Ils sont faibles là où nous sommes forts, ils sont forts là où nous sommes faibles. Or il vaut mieux faire ce type de rapprochement entre deux entités qui ne sont pas en concurrence.

Vous avez fait le pari de la voiture électrique. Au point de donner l'impression d'être en pointe dans ce domaine, quitte à subir les critiques de certains de vos concurrents estimant que vous allez trop loin trop vite.

Reprenons quelques chiffres simples. Il y a aujourd'hui 600 millions de voitures en circulation dans le monde. En 2050, sous l'effet de la montée en puissance des pays émergents, il y en aura 2 milliards. Or nous savons que l'énergie pétrolière va devenir de plus en plus chère, qu'elle créera une situation de dépendance de plus en plus intolérable. Nous savons aussi qu'en matière de réglementations environnementales, nous n'en sommes qu'aux débuts. Peu à peu, les normes vont devenir plus sévères. Devant ces problèmes, il est évident que le fait de réduire de 15 à 20 % les émissions de nos moteurs n'est pas une réponse à la hauteur de l'enjeu. La seule vraie réponse, c'est d'aller vers le zéro-émission, c'est donc de développer la voiture électrique. Ce n'est pas un hasard si la plupart des gouvernements s'engagent financièrement dans ces projets. Notre plan prévoit de proposer huit voitures, quatre Renault et quatre Nissan, pour un investissement total de 4 milliards d'euros. Dans un premier temps, nous aurons une capacité de production de 500.000 voitures par an. Quand on ne respirera plus d'odeur de pot d'échappement ou qu'on n'entendra plus de bruit de moteur, ce sera perçu comme une vraie transformation par le public. Ce sera un vrai tournant dans l'histoire de l'automobile.

On entend certains hommes politiques, voire certains économistes, décréter que nous sommes en train de vivre la fin de la mondialisation. Quel est votre sentiment ?

Crise ou pas crise, la mondialisation est régulièrement remise en cause. Je pense qu'il s'agit d'une vue de l'esprit. Notre propre industrie subit un déplacement considérable. Nous sommes partis du Nord et de l'Ouest et nous glissons maintenant vers l'Est et le Sud. Rien n'arrêtera ce mouvement. Par ailleurs, même pendant cette crise, nous avons assisté à une très grande maturité des Etats qui, contrairement à ce que nous avons connu dans les années 1930, ne sont pas tombés dans le protectionnisme même quand nos économies ont vu disparaître des millions d'emplois. On peut dire qu'il y aura une globalisation différente, plus sociale, plus riche en création d'emplois, mais il ne faut certainement pas s'imaginer qu'elle prendra fin.

PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID BARROUX ET DANIEL FORTIN, Les Echos
Article paru dans LES ECHOS du 9 avril 2010
Diffusion dans votre quotidien CFO-news avec l'aimable autorisation du quotidien LES ECHOS

Mardi 27 Avril 2010




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